mercredi 30 mai 2007

Roch Voisine et Thomas Hellman : la bonne question du bilinguisme

Conversation intéressante avec Roch Voisine, backstage au « Fou du Roi », hier. On poursuit sur quelques remarques faites à l’antenne : ici, on ne connaît de lui que ses chansons en français et tous ses disques en anglais sont à peu près inconnus. « C’est tellement d’efforts d’imposer une chanson en français. Alors, faire entendre une chanson en anglais quand les gens vous connaissent en français… » Il cherche des contre-exemples. Il n’y en a guère. Même Vanessa Paradis n’a pas pu faire oublier, le temps d’un disque, qu’elle est française.
Aussi trouve-t-il dommage que, pour des raisons culturelles, on n’ait pas écouté son disque de Noël en France. Et que, pour cette raison de langue, on ignore tout de ses disques en anglais qui, selon lui, sont les plus ouverts et les plus audacieux musicalement. Personnellement, j’ai beaucoup d’affection pour son Wind & Tears dans lequel on lui entend une voix parente de Willie Nelson, une belle voix dans le masque, bien faite pour faire danser dans une salle de bal où on connaît presque tout le monde – l’essence de la country music. Il est curieusement moins commercial dans cette couleur-là, peut-être plus évidemment singulier (malgré la soumission aux canons du genre) dans la country que dans la variété française. Mais tant pis, on ne conserve que l’idée d’un chanteur sentimental qui lâche haut des mots un peu banals.
C’est un peu la même question qu’avec Thomas Hellman l’autre jour au Zèbre, pour une de ses premières scènes ici. Quelque chose de Bénabar pour l’entrain, le physique, l’envol, Jacques Brel partout dans son univers, Bob Dylan ou Francis Cabrel pour le dévoilement personnel. Une vraie écriture, donc, dans les chansons en français et, soudain, des titres en anglais, enjoués, musicalement forts, émotionnellement puissants mais qui ne passent pas du tout la rampe de la même manière. Juxtaposés aux chansons françaises, ils apparaissent plus abstraits, moins denses (à ce moment-là, on irait bien se prendre un petit coup à boire au bar, peut-être même un petit sandwich). Cette confrontation est un peu absurde et cruelle mais nous rappelle que Georges Brassens n’a jamais vraiment séduit le public de langue anglaise, ni Loudon Wainwright III les Français.
Outre cette question sur nous autres maudits Français se pose une question sur ces Canadiens bilingues, d’une culture évidemment plus urbaine, plus directement contemporaine et plus franchement américaine qu’un Gilles Vigneault ou même un Robert Charlebois. Hellman, d’ailleurs, est de mère française et de père texan, tout autre chose qu’un descendant de colon du XVIIe siècle. Voisine est du Nouveau-Brunswick, fils de deux francophones professeurs d’anglais. Peut-être y a-t-il déjà beaucoup à entendre dans ces singularités individuelles. Les voies toujours plus ambiguës des identités, l’écheveau emmêlé des racines… Et l’impossible simplification du monde et des cultures.

mardi 29 mai 2007

Ben Harper, l’archétype et la situation

Il y a quelque chose d’idéal dans la manière dont Ben Harper aborde la musique : il semble qu’il en sache tout, qu’il soit allé au bout de chacune des voies ouvertes et qu’il en soit revenu avec des certitudes sereines. Un peu comme les guides de Chamonix qui ont fait le K2 et l’Everest, il parait capable de mille fois ce qu’il montre. J’ai reçu Lifeline, son prochain disque, et j’ai l’impression qu’il ne fait entendre qu’une petite partie de son savoir, qu’il ne dévoile qu’un peu de son inspiration. Peu d’albums donnent cette sensation : on a l’impression qu’il y a un autre disque derrière, que l’on a retranché une part de l’œuvre, que l’on a sciemment délivré un instantané arbitraire. On a cela chez des jazzmen, le Sonny Rollins des grands flamboiements ou l’Ornette Coleman de la guérilla contre le jazz raisonnable.
Dans les quelques notes qui accompagnent la musique que j’ai reçue, Ben Harper dit avoir enregistré en sept jours au studio Gang à Paris. Cette forme ramassée fait que ce nouveau disque n’a peut-être pas les séductions mélodiques flagrantes de Both Sides of the Gun, l’album précédent, mais quelque chose de plus dru, de plus personnel. Il y a là une qualité qui tient de l’idiosyncrasie comme de l’archétype et qui est l’équilibre rêvé, je crois, entre l’appartenance revendiquée à un genre et la faculté de s’en échapper jusqu’à rompre toutes les amarres. Ainsi de Say You Will, avec une puissance expressive fédérant blues, rock, soul et gospel tout ensemble (un peu à la manière de Mama’s Got a Girlfriend Now ou Steal My Kisses il y a quelques années), de Needed You Tonight qui relie d’un trait Jimi Hendrix, Marvin Gaye et Prince, de Heart of Matters avec le piano, l’orgue, les chœurs de filles, les grands coups de cymbales, le refrain qui s’enroule, se dévide, se transforme en mantra soul…
Il y aurait beaucoup à dire sur ce disque magistral, et on aura le temps d’ici qu’il sorte, le 28 août. Mais aux premières écoutes, j’ai l’impression que Ben Harper poursuit, au-delà de son voyage de musicien, un parcours d’auditeur et de critique. Il écrit et compose dans un monde toujours daté, orienté, situé : quand, dans Put It On Me (énorme, énorme, énorme), il fait danser, c’est une soul explicitement postérieure à Bob Marley, à Michael Jackson, au blues anglais, une soul beaucoup plus écrite pour nos lecteurs MP3 et nos ordinateurs que pour le fantasme de 45 tours tournant sur des électrophones d’adolescents depuis belle lurette en maison de retraite. Je veux dire qu’il n’y a là nulle nostalgie, nulle reconstruction, nulle citation. Juste la poursuite d’une histoire commencée il y a belle lurette et dont il renoue le fil – les fils – aujourd’hui. Cette capacité-là, cette liberté-là, cette lumière-là, c’est justement ce que Jean-Paul Sartre, dans son métier de critique, appelait « situation ». Et, en l’occurrence, une situation d’une saine radicalité, à la fois ancrée dans les figures classiques et affranchie de toutes les redites.
Une dernière chose : je suis très touché par Paris Sunrise #7, instrumental magistral et discret comme les prodiges sans apprêt de Michael Chapman. C’est moi qui suis nostalgique, maintenant : qui se souvient d’une performance à la fois étourdissante et zen de Chapman dans l’émission « Chorus », vers 1978 ?

lundi 28 mai 2007

David McNeil, du romanesque au roman

David McNeil n’est pas important seulement parce qu’il a écrit Mélissa pour Julien Clerc, ni parce qu’il a été une personnalité majeure de la première « nouvelle chanson française », il y a plus de trente ans (ni même à cause d’Hollywood, que je considère comme une des trois ou quatre meilleures chansons du siècle). C’est aussi un merveilleux raconteur d’histoires sur papier, qui sort de loin en loin des romans à l’imagination grandiose. Voici donc Angie ou les douze mesures d’un blues, promenade entre Paris, l’Allemagne, la Belgique et Londres d’un brave garçon qui ne sait guère gagner sa vie qu’en faisant la manche avec une guitare ou un harmonica. Ses pas épousent ceux du bluesman Memphis Slim en tournée pour croiser ceux des Rolling Stones (« Angie, oh, Angie »), avec une docilité devant le destin qui fait penser au sergent Bourgogne, ce grognard qui raconta sa campagne de Russie comme on raconte une pêche sur l’étang.
Je n’en parlerais pas si ce n’était formidable, d’une liberté étourdissante. Ils sont si rares, les gens de la chanson faisant une échappée fructueuse en littérature… McNeil me disait l’année dernière, à propos de l’écriture romanesque, que « les premières fois que j’ai essayé, ça ne dépassait pas trois pages et j’avais tout dit ». Mais il écrivait déjà des chansons qui auraient laissé secs la plupart des romanciers dès l’attaque du deuxième couplet. Je ne parle pas d’Hollywood pour rien, voilà comment ça commence : « Ma mère dansait dans les bars imitant Jean Harlow/Mon père lançait des poignards au cirque à Buffalo/Puis un jour on m’a dit « go West » alors j’ai pédalé/De New-York à Los Angeles sur un vélo volé ». A part Faulkner, qui saurait faire aussi dense ?
Il faudrait rassembler les chansons d’une vie entière, les chansons qui feraient un Jack London de huit cents pages, les chansons qu’on ne peut résumer sans les perdre, à la manière du Hollywood de David McNeil : Charlie-Jos de Gilles Vigneault, Le Tour du monde de Pierre Mac Orlan pour Juliette Gréco, Gros Jean comme devant des Frères Jacques… Et même Lucie la paysanne de Gérard Delahaye, tant il y a de richesses dites sur une vie de si peu. Mais elles sont rares, donc, les chansons au romanesque aussi fervent, au souffle aussi généreux. C’est pourquoi, sans doute, McNeil écrit des romans, des romans de cent cinquante pages et quelques dizaines de personnages extravagants, parce que, sans doute, il faudrait de trop longs disques.


PS. – Tout ça n’empêche pas qu’on en veuille aux éditions Gallimard de laisser passer deux fois « Bobby Lapointe » avec 2 b.

vendredi 25 mai 2007

Sylvie Vartan raconte d’autres années 60

Françoise Hardy, Michel Delpech, ma chère Juliette Gréco, Michel Jonasz et maintenant Sylvie Vartan, qui sort l'album Nouvelle Vague dans quelques semaines… Outre ce que la multiplication des disques de reprises révèle sur le moment culturel, il faut bien reconnaitre que ces albums sont parfois stimulants. Avec Vartan, on découvre qu’elle ne fut pas que yé-yé. Il y a même quelque chose d’un peu révisionniste (diront les fans tamponnés) ou de rétrospectivement révélateur à voir le répertoire qu’elle s’est choisi. Elle chante la version française de Blowin’ in the Wind de Bob Dylan, que jamais alors elle n’aurait pu chanter – trop politique. Elle chante Les Yeux ouverts, adaptation française de Dream a Little Dream of Me en se référant explicitement à la version de Mama Cass Elliot, hymne hyper-baba à l’opposé des valeurs qu’elle incarnait à l’époque (elle néglige les dizaines de versions antérieures, comme Frankie Laine ou le duo Louis Armstrong-Ella Fitzgerald, mais aussi Enzo Enzo, créatrice en 1990 du texte français écrit par Brice Homs). Elle reprend le sarcastique Chante de Ronnie Bird qui, en 1966 ironisait sur le commerce de la musique (« Chante, on paye très très mal l'ingénieur atomique/Chante, la musique a du bon lorsque l'on pense au fric ») sur un ton qui lui défendait de faire chorus en ce temps-là…
En effet, ces années 60 ne sont pas complètement celles de ses propres disques : elles sont plus œcuméniques, plus larges, à la fois plus apaisées et plus rebelles. Beatles ou Rolling Stones ? « Plutôt Rolling Stones » nous disait-elle avant-hier au « Fou du roi ». Mais sur le disque il y a à la fois Ruby Tuesday et Drive My Car (consensus bienvenu), auxquels elle a ajouté I’m a Believer des Monkees (Coca Cola pour tout le monde). Quand je lui ai fait remarquer qu’elle avait choisi trois chansons que Richard Anthony avait enregistrées (Nouvelle Vague, Et je m’en vais et Ya ya twist), elle a rappelé qu’il avait sorti un nombre incroyable de disques. Il se trouve que ceux-ci ont parfois des couleurs plus tranchées, des humeurs plus musquées que ses singles à elle.
Avec ce disque, on a l’impression d’écouter les vraies années 60 de Sylvie Vartan, celles de ses engouements et de ses plaisirs propres, comme Le Temps de l’amour, dont elle a souvent dit qu’elle était la plus belle de Françoise Hardy, et dans sa vie une chanson importante. Personnellement, je trouve cela beaucoup plus intéressant que beaucoup de révélations qui furent faites sur les coulisses de la gloire et des amours yé-yé.

jeudi 24 mai 2007

A quoi sert l'ukulélé de Thomas Fersen ?

« Ça fait quelques mois qu’on a commencé cette tournée, Pierre et moi. Et, franchement, on le regrette. Toutes les chansons se ressemblent. » Thomas Fersen joue bien la désinvolture cynique. D’ailleurs, il s’est laissé pousser la barbe.
Avec Pierre Sangra, son guitariste, il était hier au Bataclan. Une drôle d’idée, cette tournée avec presque rien – des ukulélés, deux chaises. On a l’impression, un moment, qu’il manque une flûte de Pan pour faire Quilapayun, qu’on écoute une carte postale polynésienne, que Fersen a fait un vœu ou un pari – du genre de ceux qui envoient pieds nus jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle ou en vélo sur les lacets du Mont Ventoux. Mais à quoi ça sert, ces choses-là ? On ne prouve pas grand-chose, après tout : que les chansons peuvent se transposer sur ces instruments sommaires, qu’il y a assez d’expression et d’habileté chez Fersen et son guitariste pour faire sonner une heure et demi de concert sans redite et sans platitude, que le jansénisme est compatible avec le plaisir (et, en creux, que si on s’ennuie à un concert de Joseph Arthur, c’est sans doute que Joseph Arthur est ennuyeux).
En fait, il y a peut-être dans cette histoire assez étonnante (ils ont quand même fait quelques dizaines de concerts, quelques mois après la fin d’une tournée qui était déjà passée partout) une manifestation de gratuité. Non qu’il faille croire que Fersen lutte contre l’ordre ordinaire des choses ou contre la pente habituelle du métier, mais il doit avoir un plaisir phénoménal à faire quelque chose qui n’ajoute rien. Cette tournée, c’est une manière de ne pas écrire l’histoire tout en la vivant, d’être artiste sans produire d’œuvre neuve. Fersen tourne, s’amuse, le public est forcément ravi et il ne restera peut-être de tout cela que quelques bonus sur un DVD, un live disponible uniquement en téléchargement, un cinq titres « Fnac on aime on aide », que sais-je… Ce n’est évidemment pas une date importante dans sa carrière, juste une récréation après des tournées aux arrangements prodigieusement réglés. Ce partage d’un répertoire énorme avec les spectateurs qui font chorale (Monsieur, Louise, Les Papillons, Les Malheurs du lion, Croque, Au Chat Botté, Pièce montée des grands jours, Diane de Poitiers, Saint-Jean-du-Doigt, La Blatte…), sans apprêt, à la bonne franquette, comme à la maison, c’est un délassement autant qu’un prodige. Fersen s’amuse à construire un peu d’incroyable comme les artisans des contes bâtissaient des chefs d’œuvre dans leur arrière-boutique pour les offrir en ex-voto. C’est inutile et merveilleux. Mais le plus délicieux est que le biz d’aujourd’hui (en l’occurrence, c’est encore Astérios, belle maison d’artistes) permette cela, laisse un espace à de telles ruptures du rythmes et des usages de carrière. L’ukulélé de Thomas Fersen, c’est le bel aujourd’hui des artistes libres. Libres jusqu’à titiller l’absurde.

mercredi 23 mai 2007

Bollywood et repentance

L’an dernier, Paris Jazz Corner a sorti l’extraordinaire compil Paris, plages d’Hawaii, guitares hawaïennes 1930. Voici maintenant l’excellente série de six CD The Golden Voices of Bollywood, dont un disque titré Bollywood Bizarro. Epoustouflant : l’exotisme de l’Inde des années 50, c’est-à-dire le mambo, la valse suisse ou allemande, la guitare hawaïenne, le swing… Il y a là tout un jeu de miroirs, de correspondances, de décalages, de diagonales et de raccourcis qui est hautement réjouissant. Car l’industrie du divertissement cinématographique de Bombay travaille comme Hollywood ou les studios de Boulogne : un palmier et quatre mètres carrés de sable blanc, voici une plage du Pacifique ; un réverbère, une enseigne « Café » et un petit gros avec un képi bleu, voici Paris… Musicalement, c’est la même idée : des percussions vaguement latines, un yodel extraterritorial, l’Amérique réduite à une section de cuivres…
Ce n’est pas loin, dans le procédé, d’un Dario Moreno chantant une rumba de Rio de Janeiro ou de l’amourette hawaïenne Salade de fruits enregistrée par Georges Jouvin sur rythmes cubains… On s’en tient à quelques signes de l’altérité, on réduit la culture lointaine à quelques traits, on résume une part de l’humanité à deux ou trois timbres d’instruments, à une adaptation sommaire d’un rythme (vous vous souvenez d’Il faut danser reggae par Dalida, la même année qu’Aux armes et caetera ?) et on ne soucie ni de vérité, ni de vraisemblance, ni même de sincérité. Il est toujours amusant de voir les autres procéder de même avec notre culture. Et Bollywood Bizarro fait bien rigoler, par exemple avec Hal Kaisa Hai, duo de la mirifique Asha Bhosle et de l’étonnant Kishore Kumar, avec violons et chœurs romantiques, trompette à la Satchmo, déhanchement afro-cubain et yodel.
Pourtant, « On peut me rire au nez… ça dépend de quel rire », disait Léo Ferré. Quand nous nous délectons, en bobos parfaitement au clair avec les droits de l’homme, des naïvetés, des paresses, du provincialisme du Bollywood des années 50, nous étalons, d’une part, un discours très conscient sur le regard de l’autre et sa relativité (en gros, Roland Barthes meets Nelson Mandela) et, d’autre part, une sacrée dose de condescendance (le second degré, le « c’est une autre culture », le « ils en sont tous dingues »).
Autrement dit, comment prendrions-nous l’envie de bobos indiens de rééditer les cassettes audio de paso doble d’André Verchuren et tout ce qui peut nous faire passer pour des ploucs ? L’autre n’est-il pas plus ridicule – et donc méprisé – quand on l’habille de vêtements qui ne sont pas les siens ? Souvenons-nous que le nègre Banania porte l’uniforme du tirailleur, qui est tout sauf un vêtement d’Afrique Noire. Justement, le mambo ou la valse ne sont-ils pas l’uniforme de tirailleur de Bollywood ?
Donc, devrons-nous aussi nous considérer – rétrospectivement et collectivement – comme pas si innocents que ça, dans quelques lustres, quand on exhumera Bollywood Bizarro ? Devrons-nous repentir de nous être délectés au second degré du kitsch indien comme nous nous repentons volontiers aujourd’hui du nègre Banania qu’inventèrent nos arrière-grands-parents ?
En attendant, qu’on se rassure : j’adore ce disque.

mardi 22 mai 2007

Viktor Lazlo, beau visage du Tout-Monde

Moment riche, l’autre après-midi, avec Viktor Lazlo. Son album sort dans quelques jours, mis en scène et en couleurs par David Linx. Begin the Biguine, un disque d’une beauté calme et limpide. Elle-même est brillante, d’une intelligence acérée. Dans la conversation, elle dévoile un intéressant rapport à son métier et à son image, incarne tout autre chose que la fille qui a eu un succès démentiel dans les années 80 et n’en est toujours pas revenue. Au contraire : de la maitrise, de la sérénité, une manière élégante de laisser entrevoir la complexité de ce que suscitent le succès et l’ombre.
Femme belle, donc, comme installée dans la paix et la prospérité. Un instant, pourtant, elle laisse frémir un peu la voix, vaciller les yeux : qu’on ait pu lui dire « que je n’étais pas assez noire ». Une des grimaces nouvelles du vieux masque de l’homme. Pas assez noire pour celle-ci, trop blanc pour l’autre, pas assez d’accent, pas assez roots, peut-être inauthentique... Des générations de filles qui se faisaient belles, qui se donnaient à des brutes, qui rêvaient que leur enfant aurait la peau sauvée – comme on dit là-bas –, qui essayaient d’arracher d’elles-mêmes et des leurs jusqu’au reflet de l’esclave, pour finir quelques générations plus loin, « pas assez noire ». Elle raconte son père, mulâtre martiniquais établi en Belgique qui un jour, dans la rue, se fait héler en créole : « Il a répondu en flamand ». Comprendre ce plan collectif des Antillais pour quitter une race, pour échapper au miroir d’une histoire effroyable. Pardonner ces stratégies qui érigeaient la haine de soi en valeur fondatrice. Et se faire dire que l’on n’est « pas assez noire ». L’histoire ne ricane pas, ces jours-là, elle se frappe sur les cuisses en hurlant de rire.
C’est l’histoire de Karim Kacel, le chanteur de Banlieue. 1984, la marche des beurs, Mitterrand ému, la presse énamourée pour ce fils d’ouvrier algérien nourri de Ferré. Phénomène de société, éditoriaux, débats télévisés. Et puis un jour, une nouvelle sale gueule. Pas celle qui attire le flic au coin d’un couloir de métro, pas celle qui empêche de se faire servir au bar ou d’entrer dans une boîte. Non, la pire sale gueule : l’accent parigot, pas de derbouka, même pas besoin de visa pour venir chanter au Café de la Danse. On ne lui a pas dit franchement « pas assez arabe », mais c’était presque aussi franc.
C’est l’histoire de Salif Keita et de Sosie. Disque superbe, introuvable, indispensable : il chante Serge Gainsbourg, Léo Ferré, Mort Schuman, Nino Ferrer (la meilleure version jamais enregistrée du Sud)… Personne ne veut du disque qui, après avoir trainé des mois de label en label, sortira finalement au Danemark et arrivera en France en import. Pas assez africain, sans doute.
Viktor Lazlo, elle, est un peu consolée. Elle sait ce qu’elle va chercher en Martinique lorsqu’elle y part – pas tout à fait chez elle, pas tout à fait étrangère. Elle a beaucoup parlé avec Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau, et je sais quel viatique de courage, de légèreté et d’ivresse ils ont pu lui apporter. L’imprédictible, l’imprévisible, le toujours stimulant mouvement du Tout-Monde… Conversation avec elle sur la malédiction du métissage, qui nous garantit que lorsqu’on remplira les prochains trains à wagons plombés, nous serons sûrs d’y avoir une place – trop blancs, trop noirs, trop tout, trop rien… En attendant, les critiques, les directeurs artistiques et les politiques classent eux aussi – trop blancs, trop noirs, trop tout, trop rien… En attendant, beau visage du Tout-Monde, Viktor Lazlo sort dans quelques jours un disque de chanson jazz, avec un rien d’Antilles ici ou là. Peut-être « pas assez noire », évidemment. Peut-être même « pas assez blanche », non plus.

lundi 21 mai 2007

De la souchonité d’Ours

Eh bien je ne savais pas. J’ai eu l’air un peu bêta quand un confrère m’a dit : « Tu ne savais pas qu’Ours est le fils de Souchon ? » Non, non, je ne savais pas. « Ça s’entend, pourtant. » Premier sous-entendu : « Tu es sourd. » Second sous-entendu : « On n’échappe pas à d’où l’on vient, les chats ne font pas des chiens, l’enseignement technique c’est pour les fils d’ouvriers. » Je ne commenterai pas ces sous-entendus mais seulement l’assertion explicite : Charles Souchon est manifestement le fils de son père, un Souchon ne peut faire que du Souchon (ou, pire : un Souchon ne peut parvenir à faire que du Souchon). Joli sujet de conversation, jolie occasion d’être fielleux.
Parce qu’évidemment il y a des pièces à charge, comme Comment c’est, chanson d’Ours adressée à une ex (figure ô combien classique, néanmoins) qui semble faire écho, mélodiquement et dans le texte, à J’aimais mieux quand c’était toi, parue sur La Vie Théodore. Et, en plus, les textes donnent une preuve par la navigation de loisir : Souchon père évoque le Raz Blanchard, Souchon fils évoque Bréa… Quand, dans Chérie c’est quand, Ours dit « Je vous déclare unis par les liens sacrés du mariage », on croirait entendre dans les premiers mots le timbre de voix de son père. Mais là, je suis désolé, cette chanson aurait pu être écrite par JP Nataf, sur son album solo, non ? Et, franchement, Le Cafard des fanfares, c’est Les Innocents période Post-partum. Et La Maison de mes parents n’a rien de souchonien, bien on contraire : là, Ours a l’air d’être le petit frère de Mathieu Boogaerts. Et si on entend beaucoup de Voulzy dans Pollen, on y repère aussi quelque chose d’Hubert Mounier – le beatlesisme français orthodoxe.
Alors, évidemment, la langueur des humeurs, le jeu d’ombres obliques, les lueurs tamisées, ça n’est pas loin d’une tradition familiale. La souchonité d’Ours résiderait plutôt là, dans la manière d’écrire dans l’intime, de se dévoiler par ses faiblesses, de se laisser voir dans ses fêlures. De ce point de vue, Allô Maman bobo avait été une révolution : personne depuis Polnareff ne s’était autant fait traiter de tapette, avant que la presse féminine ne fasse de Souchon le symbole du « nouvel homme » (celui qui n’imagine pas de donner des claques à sa femme et qui veut bien changer les couches, ce qui – savez-vous ? – était un bouleversement). Sans lui, pas plus de Miossec chantant ses soirs de flanelle ni de Cali s’ouvrant le cœur en public. Et pas d’Ours non plus : comment chanter aujourd’hui sans Souchon, comment se déprendre de sa stature monumentale de réaliste-romantique, comment échapper à l’ombre de son verbe réinventé ?

Ce n’est pas pour cette filiation que j’aime Mi, son album. Sa veine auto-ironique, sa manière inquiète de dire le plaisir, son habileté d’écriture, ses gaietés d’amoureux, tout cela est bien plus qu’un héritage bien géré. Et il n’est pas plus souchonien que la moitié des disques qui sortent aujourd’hui.

vendredi 18 mai 2007

A propos de Marithé + François Girbaud : pourquoi la mode fait-elle de bons disques ?

La question de l’érudition en musique excite peu la critique. Pourtant, elle est instructive, cette mutation du savoir. Pour parler musique sans déroger, l’exigence est passée en quelques années de l’obsession de la profondeur, du complétisme, de la spécialisation, de la monomanie (toutes les chansons qu’a interprétées Elvis Presley) à la valorisation de la surface, du papillonnage, de la compétence éparpillée (toutes les musiques dans lesquelles on entend un vibraphone). Les compilations Nuggets furent l’arme du savoir des profondeurs ; la compilation de couturier pourrait être le symbole du savoir horizontal. Il y a quelques mois, j’avais passé des heures délicieuses avec Karl Lagerfeld à propos de la parution des Musiques que j’aime, le double CD qu’il avait signé. On avait parlé de Devendra Banhart et d’Igor Stravinsky (présents sur sa compilation), d’une chanson de Juliette Gréco écrite par François Mauriac et des Scissors Sisters. « Je ratisse large parce que tout m’intéresse, tout m’amuse, tout peut m’apporter quelques chose. Ce n’est pas par manque de rigueur, c’est par excès de curiosité », disait-il, attablé dans une salle encombrée de catalogues de ventes aux enchères et de livres de design, entre l’espace public de sa librairie, rue de Lille, et son studio de prises de vues. Chez lui, le territoire musical est sans limites a priori, sans idée d’achèvement, sans segmentation du goût. Un homme qui aime Kylie Minogue et Le Pierrot lunaire de Schönberg…
N’est-ce pas le même genre de manifeste que Marithé + François Girbaud by Pradat, compilation (pardon, un « totem sonore », plutôt) ? Douze titres : Otis Taylor, Brisa Roché, Big Boss Man, Bettye Swann, The Divine Comedy, David Walters, Automato, Lucienne Delyle, Kelis, Patricia Barber, Makossa & Megablast, Zero dB.
Au total, donc, ce que mes confrères et moi considérons comme chic (Otis Taylor, Patricia Barber) et comme suspect (Brisa Roché), l’incontestable (The Divine Comedy) et le faisandé (David Walters), le pointu trentenaire (Automato) et le pointu quinquagénaire (Lucienne Delyle)… Evidemment, on peut voir çà ou là quelques paresses (pourquoi David Walters pour aborder les langueurs tropicales ? pourquoi pas Rika Zaraï et son Casatschok pour parler de la Russie ?). Evidemment, on peut repérer quelques délectations du paradoxe (Kelis !). Mais le plus important reste le dessin d’un territoire, un de ces territoires définis par des critères de couleur, de texture, d’humeur, et non par les frontières de genre. Il ne s’agit pas seulement d’une affaire de liberté : il y a là-dedans une vision culturelle plus intéressée par le courant que par la rupture, par le vivant plus que par le classement. Peu importe que la sélection de ces douze titres puisse apparaître aux uns comme snobissime et aux autres comme vaguement suiviste : ce disque ressemble à un sentiment humain, lisible et imprévisible, complexe et dru.

mercredi 16 mai 2007

Pascal Comelade, un Catalan from London

A Tombouctou sans mariachis, Lumpen-Harmony, Le Fakir de la chapelle, L’Argot du bruit, September Song avec Robert Wyatt, Love Too Soon avec PJ Harvey : 25 titres, une heure pile. Une compilation de Pascal Comelade, Monofonicorama, best off (?) 2005-1992, sort dans deux semaines, indispensable visite à un des univers les plus riches et les plus attachants de la musique actuelle. Il y a là, à la fois, Kurt Weill, Frank Zappa, Moondog, Nino Rota, un Kraftwerk unplugged, un Ravel post-bruitiste…
Le disque sort chez Because. Pascal Comelade chez Because, ça ressemble à une vengeance, à une remontée du fond de la piscine, à un prêté pour un rendu. Après Manu Chao et les Rita Mitsouko, ce n’est pas le premier artiste ex-Virgin à refaire surface via le label d’Emmanuel de Buretel, ex-patron de Virgin. Mais ce n’est sans doute pas par là que Comelade se revanche le plus : le voici signé à Londres, lui à qui Paris a fini par tourner le dos.
J’avais craqué avec l’album Topographie anecdotique, puis révéré Danses et chants de Syldavie (apologie de la reprise individuelle), sardonique cérémonie de destruction de la mémoire populaire de la musique, de Honky Tonk Women à La Bella Ciao. J’avais été chaviré à son concert au Printemps de Bourges 1993. Un moment de prodige : des instruments-jouets dont il sortait une musique dérisoire et exigeante, ironique et sublime. J’étais avec Michel Orier, à l’époque patron de la Maison de la culture d’Amiens et de Label Bleu, mélange de l’arbitre des élégances et du guide en jubilation. Il m’avait fait remarquer que l’écrasante majorité des spectateurs portaient leur pass autour du cou – des professionnels, des professionnels, des professionnels, peut-être une poignée de « payants ».
Michel n’y aurait sans doute pas vu un présage, et moi non plus. Année après année, à la fois prolifique et ramassé, Comelade a sorti des albums étourdissants, majestueux, foudroyants. Des cinéastes, des documentaristes, des journalistes sportifs lui demandaient ou lui empruntaient de la musique, tantôt à la recherche d’un haïku postmoderne, tantôt en panne de Spike Jones. Petit public, conspiration nourrie de papiers tout en majuscules dans Télérama, Les Inrocks, Le Figaro… Petites ventes. Toutes petites ventes.
Et puis Yann Tiersen est arrivé : une autre musique, une tout autre musique, certes, mais de la musique instrumentale, des pianos-jouets, des instrumentations bizarres… La preuve que ce n’était pas la musique sans paroles qui faisait problème au public français. Un carton colossal, cumulant en un album plus que ce que Comelade avait atteint en une douzaine de disques. J’ai souvenir d’interviews un peu aigres, de phrases un peu amères quant à la France…
Virgin n’a pas renouvelé le contrat, Comelade s’est tourné vers la Catalogne d’outre-Pyrénées, où il a continué à enregistrer et à jouer. Je suis sûr qu’en fouillant dans Hommage à la Catalogne de George Orwell, on trouverait une explication – le vent fou et musqué, les têtes dures et libres, la mémoire féconde… Et voici donc qu’il nous revient, traversant la Manche plutôt que remontant par la N20. Le front grave et l’âme rieuse.

mardi 15 mai 2007

Linkin Park et les lois de la normalisation

Linkin Park a été une histoire d’adolescence, de fièvre et d’envie. Il s’agissait d’établir le vacarme avec les instruments disponibles dans l’époque : les guitares et les cris du metal, les scratches et les slogans du hip hop. Les gamins s’amusaient de ce bricolage bruyant, les parents étaient vaguement agacés – les uns à cause du son, les autres parce qu’il leur semblait entendre les Stooges ou Public Enemy sans un mot de vraie révolte.
Est-ce qu’on dira qu’avec Minutes to Midnight ces Californiens jettent le masque ? Est-ce qu’on accusera le producteur Rick Rubin (accoucheur chez Red Hot Chili Peppers, sorcier sardonique de Slayer, serviteur génial des dernières années de Johnny Cash) d’avoir une fois de plus conduit par la main un groupe vers la caisse du supermarché ? Est-ce qu’on ne parlera pas plutôt de l’implacable mécanique des lois de normalisation ? Car, à part la nécessité de chanter les mêmes titres dans un stade et sur « MTV Unplugged », qu’est-ce qui peut pousser à écrire de si scolaires pastiches de U2 ? A part la pratique des listes de diffusion sur les iPod (qui démembrent et éparpillent les albums), qu’est-ce qui peut conduire un groupe au son si reconnaissable à sautiller désormais de style en style et de couleur en couleur ? A part la mollesse générale du marché de la musique, qu’est-ce qui peut inciter un groupe dont l’âge laisse espérer encore une longue carrière à poser en préretraité de la pop ? Autrement dit, si seulement deux titres de Minutes to Midnight rappellent vraiment ce qui fit la pertinence et la gloire de Linkin Park, n’est-ce pas un signe de plus de la panique qui a saisi le monde des variétés internationales, bol d’eau tiède dans laquelle on laisse flotter çà et là une rondelle de piment pour se souvenir des nourritures puissantes de jadis ?

lundi 14 mai 2007

Bastien Lucas et la question du classique

Conversation tout à l’heure avec Bastien Lucas, prix Claude-Lemesle 2006 et protégé de Gabriel Yacoub (on peut être l’un et l’autre, c’est rassurant !). Vingt-six ans, professeur de musique et toujours étudiant au Conservatoire de Paris, il a sorti Essai, disque incroyablement abouti malgré son titre. Quelque chose de roide et d’envolé à la fois, une poésie fulgurante et étale, des mélodies d’une simplicité parfaite et pourtant curieusement sophistiquées. Il lâche qu’il a longtemps « pensé que Mozart n’existait que pour apprendre le piano ». Sa découverte du domaine classique, en arrivant en faculté de musique, a été le choc de sa vie, quelques années après une enfance tout entière partagée entre Francis Cabrel et Méthode Rose.
Son histoire fait écho à la conversion de Bertrand Belin à Mendelssohn et Debussy pour La Perdue (de la guitare électrique au violon, du riff à la partition), son histoire fait écho à D’un siècle à l’autre, superbe aventure d’Emily Loizeau, Helena Noguerra, Daphné et une huitaine de voix de la pop française actuelle dans des mélodies de Fauré, Duparc, Reynaldo Hahn, Chausson, Satie et Debussy (il faut vraiment écouter ça, j'en ai notamment parlé dans Le Figaro), son histoire fait écho au vieux fantasme de Jean-Louis Murat d’enregistrer du Fauré… Son histoire est celle de la réconciliation de la musique classique et de la chanson populaire, à moins qu’il n’y ait jamais eu de rupture, mais une sorte d’histoire secrète qui lierait les compositeurs du XIXe à Jacques Brel ou au Michel Fugain des débuts. Bastien Lucas, étudiant en contrepoint et harmonie au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, ajoute à cette généalogie Art Mengo ou Laurent Voulzy, mélodistes nourris des couleurs du jazz et des grâces classiques françaises. Une lignée longue et riche, donc, mais que de réponses récentes à cette vieille question du classique. Le retour du lettré dans la culture populaire ?

dimanche 13 mai 2007

Les trente ans de « Rockollection » de Laurent Voulzy

Vendredi à l’Olympia, première de Laurent Voulzy. La Septième Vague triomphe, avec ses chansons de goût douteux devenues de nouveaux classiques licites – Everybody’s Got To Learn Sometime des Korgis, Yesterday Once More des Carpenters. On en oublie le trentième anniversaire de Rockollection, on en oublie qu’en 1977 ce fut déjà un hold-up génial sur la mémoire. A Hard Day’s Night des Beatles et Satisfaction des Rolling Stones dans le même sac que The Loco-Motion de The Little Eva (Carole King peut-être, mais The Little Eva quand même !), c’était déjà un discours postmoderne, un manifeste de liberté d’élection. Voulzy mettait à même hauteur (celle du « truc qui colle encore au cœur et au corps ») les maîtres pour lesquels on se serait fait couper un bras (Beatles, Dylan, Stones) et l’écume des tubes, le refrain d’un été, un instant d’adolescence.
Rebelote l’an dernier avec son disque de reprises de chansons de vacances : La Madrague de Brigitte Bardot (une chanson médaillée, respectée, révérée) à côté d’Oh Lori des Alessi Brothers (qui ça ?, demande tout le monde). Rebelote avec le Rockollection de vingt-trois minutes qu’il joue vendredi soir : toujours les Beatles au deuxième couplet (cette fois-ci, Eleanor Rigby, Get Back et A Hard Day’s Night), un attelage Herman’s Hermits-The Kinks au huitième (No Milk Today et You Really Got Me, ça semble raccord si on s’en tient à la seule chronologie, mais quel choc entre chanson pour collégiens et rébellion existentielle) et un bombardement tous azimuts à la coda : Heart of Glass de Blondie, Moonlight Shadow de Mike Oldfield, Tri Martelod d’Alan Stivell, Pass the Dutchie de Musical Youth, Don’t Stand So Close to Me et Message in a Bottle de The Police… Si on écrit une histoire des musiques populaires, il y a là des gens qui ne feraient pas une note de bas de page. Mais ces chansons sont dans Rockollection, hors de tout a priori et sans risquer le délit de sale gueule.
Une leçon ? Simplement celle du sourire et du plaisir, la leçon de la chanson qui reste attachée à la mémoire malgré tout ce qu’on est censé dire en voyant la pochette chez un copain. Nous, cadets de Voulzy, sommes parfois fiers d’être la première génération postmoderne, d’être les premiers à nous être libérés des glorioles et des fureurs de la modernité et de la distinction. Or voilà : ça a commencé il y a trente ans, avec Rockollection.

samedi 12 mai 2007

Bonne nouvelle : Magyd Cherfi n'est pas un gentil garçon

Passionnant Magyd Cherfi, qui nourrit des paradoxes à la Bernard Lavilliers : l’épaisseur physique et la légèreté de donzelle, l’œil de boxeur et la lyre de danseur. Passionnant Magyd Cherfi, parfaitement correct politiquement et capable de ruer contre les bienséances les mieux partagées. L’histoire commence avec Zebda, évidemment : « On nous a plus respectés pour ce que nous étions que pour nos chansons », me dit-il mercredi dernier. Il est radieux et soucieux, usufruitier de Tomber la chemise mais comptable d’une histoire de groupe curieusement inachevée. « Je suis poursuivi par le « beaucoup d’estime » : tes chansons… ouais, bon… mais on a beaucoup d’estime pour toi. Des fois j’aimerais être haï mais dans la reconnaissance de la singularité artistique. C’est aussi pour ça que j’ai fait Bénabar ou Delerm. »
Ah, Bénabar ou Delerm ! Même moi, à la première écoute, ça m’a agacé. Qu’est-ce qu’il leur veut, à la fin, à Bruno et Vincent – gros talents, belle popularité, humains impeccables –, qu’est-ce qu’il a contre ces bons géants de l’époque ? Pourquoi chanter « Ecris-moi des trucs qui me concernent/Ecris mais fais pas du/Bénabar ou Delerm/Bénabar ou Delerm/Bénabar ou Delerm » ?
Il explique : « Je te dis tout de suite que ce sont des gens que j’écoute et que j’aime bien. Je n’ai pas de problème sur leur travail. Pour un album de Zebda, j’avais écrit un morceau qui s’appelait Troisième degré, qui dénonçait la vacuité de la chanson engagée, qui demandait ce que sont tous ces mots, tout cet engagement, toutes ces envolées, toutes ces condamnations, toutes ces sentences alors que le monde va de plus en plus mal. Là, la question est sur le traitement de la chanson inoffensive. Pourquoi êtes-vous inoffensif et moi coléreux – sans que ça appelle de réponse. C’est plus un exercice de style. » Il a un petit sourire. « Et puis ce n’est pas gentil et on a toujours un malin plaisir à faire quelque chose de pas gentil. » Ah, si ce n’était pas pour être gentil, tout va bien.