mardi 23 septembre 2008

Monsieur Landru

« Ohé ! Des types comme moi, on n'en fait plus
Oui mais, que ferai-je plus tard si je la tue ?
La brûlerai-je à la Landru ?
Ohé ! Pris du remords des scélérats
J'irai ensuite me dénoncer aux magistrats »
Le Pochard,
Georgius, 1934

« Et le brave homme sourit dans sa barbe
La fillette a le ciel dans les yeux.
Toc toc, quelqu'un frappe à la porte
"Entrez ! s'écrie le grand barbu
- Bonjour, dit l'facteur d'une voix forte
Une lettre pour vous Monsieur Landru !" »
Idylle en forêt,
Francis Blanche, 1955

« Landru, Landru, Landru, vilain barbu
Tu fais peur aux enfants
Tu séduis les mamans
Landru, Landru, ton crâne et ton poil dru
Ont fait tomber bien plus d'un prix d'vertu
C'était, je crois, en mille neuf cent vingt-trois
Que ton procès eut le succès qu'l'on sait
Landru, Landru, dommage qu'elles t'aient cru
Toutes celles qui sous ton toit
Brûlèrent pour toi »
Landru
, Charles Trenet, 1963

« Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte
Qui disait cela
C'est c'que tu n'as ja-
Mais su
Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte
Moi je le sais c'est
Au cours d'son procès
Landru »
Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte
, Serge Gainsbourg, 1963

« Et quand Landru, ce vieux salaud,
Coupa sa femme en p'tits morceaux
Elle lui d'manda dans un sanglot
"Je t'en prie ne me scie pas les os"
Il répondit : "Je fais c'que veux
Car je suis le roi du tango"
(…) C'est le tango de Massy-Palaiseau »
Le Tango de Massy-Palaiseau
, Renaud, 1979

« Après tout, quand on y pense,
Bonaparte et Attila
Ont plus d'morts sur la conscience
Que Landru et Borgia »
Ça n’est pas ce qu’on fait qui compte
, Yves Duteil, 1981

« Vive la barbe et les barbus
Allons au bois monsieur Landru
Envers vous ma confiance est grande »
Il n’est pas de plaisir superflu
, Juliette, 2002

lundi 22 septembre 2008

Yom, clarinette klezmer à suivre

Passé beaucoup de temps, aujourd’hui, à écouter et réécouter le disque de Yom qui paraitra dans un mois, The New King of Kelzmer Clarinet. On ne se lasse jamais des orages délicieux du klezmer, de cette furie savante, instinctive, ivre, insolente, modeste, qui est l’essence d’une de ces musiques-époques comme notre mémoire en connait peu – la musique des lofts pour les jazzeux érudits, le calypso originel ou la biguine de Saint-Pierre pour les vieux créolistes dans mon genre, la très singulière qualité d’accordéon qu’on a joué à la Libération… Donc la musique klezmer, avec tous ses sous-entendus de drame, est une des plus belles joies qu’il soit donné de rencontrer.
Et ce Yom dont je ne sais pas grand-chose est d’abord magnifiquement entouré (dont, au piano,
Denis Cuniot, toujours brillant au-delà de tous les mots). Pour rendre hommage à Naftule Brandstein, il fallait évidemment bomber le torse plus que de raison, surjouer l’épate, exagérer l’exagéré. Et c’est magnifique, d’une santé, d’une verdeur, d’une pétulance délirantes. Yom, en outre, fait entendre un son de clarinette assez singulier, comme éraillé, griffé, la gorge prise. Ce n’en est que plus prenant.

vendredi 19 septembre 2008

Gainsbourg, la Cité et (un peu aussi) moi

Ça y est, c’est très réel, très concret, très précis : je commence le 1er octobre mes cours à la Cité de la musique sur Serge Gainsbourg. J’avais pensé aux chansons à faire écouter, à ce que je vais dire, à la question de mon positionnement dans les querelles gainsburciennes contemporaines (et notamment de savoir si on dit gainsburcien, gainsbourgeois ou gainsbarrien, ce que je tranche en alternant soigneusement les trois adjectifs). Mais je n’avais pas songé à la promo. Et on m’appelle aujourd’hui pour répondre à une interview. Alors, tout soudain, ça devient très sérieux…

jeudi 18 septembre 2008

Julien Clerc-Gérard Manset : une chanson parfaite ?

Après avoir écrit sur des milliers de chansons, je ne sais toujours pas ce qu’est une chanson parfaite. Je dis parfois que c’est une chanson qui vaut mieux que ceux qui l’ont écrite et interprétée. Ce n’est pas très aimable pour les artistes, mais ils ont tous – je crois, je crois – le fantasme à la fois vaniteux et humble de laisser derrière eux des œuvres qui vivront sans eux, après eux.
C’est évident pour No Milk Today ou In the Summertime : qui se souvient d’Herman’s Hermits ou de Mungo Jerry, à part précisément pour No Milk Today ou In the Summertime ? Curieusement, je me sens plus démuni dans le cas des stars, des habitués des sommets, des bonnes maisons. J’ai beau savoir qu’il ne faut prendre l’air trop plouc quand on trouve une pépite dans une mine d’or, mais je ne sais jamais trop comment classer mentalement une chanson qui vient s’ajouter à tout un tas de grandes chansons.
Ainsi, Une petite fée, que j’avais pourtant écoutée en mai en studio, et à laquelle je ne m’habitue toujours pas. Je la redécouvre avec reconnaissance ces jours-ci, puisque l’album Où s’en vont les avions ? vient de sortir, que Julien Clerc est en pleine promo et qu’on se croise plusieurs fois ces jours-ci. Une petite fée, Julien Clerc, donc, et un texte de Gérard Manset. Une chanson semée d’épiphanies sublimes, comme « Un autre matin peut venir/Une petite chose ailée », sur des notes heureuses, la voix doublée sur ces deux vers. Et puis la petite sécheresse de la voix dans les débuts de la chanson, et puis le piano qui rétablit la temporalité de l’univers sensible… Donc, deux minutes simples et étourdissantes, sans importance et très profondes, virtuoses et franches du collier…
Je ne sais d’ailleurs pas quel sera le destin de cette chanson très courte, à la fois folk et mallarméenne. Il n’y a pas de refrain, pas de pont, pas de gimmick soluble en FM. Mais j’ai l’impression heureuse d’avoir une nouvelle fleur au jardin – ce doit être ça, aimer les chansons.

mardi 16 septembre 2008

103 ans après, Dranem prend toujours le thé

Un tube? En ce moment, je ne me lasse pas d'une photoscène d'Alice Guy de 1905 (une caméra qui filme, on enregistre un disque en même temps et on synchronise au doigt mouillé). C'est Dranem dans Five O'Clock Tea. Le voici :

Les paroles ? Voici, d'après la partition éditée par L. Maurel, Aux Répertoires Réunis, 1905, disponible à la Bibliothèque nationale, département de la musique, sous la cote Vm7 121049 (Dranem ne chante que les deux premiers couplets) :

Five O’clock Tea
Simple idylle franco-anglaise
Créée par Tod Cams au Tivoli de Londres
Paroles de Jules Combe, musique de Désiré Berniaux, mouvement de marche moderato

I
L’autre jour le p’tit’ baronne
Miss Thone
D’Charonne
Invita l’milord Jones
A son five o’clock
Vite, il fait son toilette
Liquette
Chaussettes
Et s’rend chez le brunette
Qui dit : vieux loufoc..


Ref. :
Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Nous allons five o’clockter
Si j’vous ai invité
C’est pour gôter mon chaste thé !
Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Nous allons five o’clockter
Il est neuf heures moins l’quart
Mais j’m’en fous, on prendra l’thé tard

II
L’milord pense : elle est chique
Pioudique
Magique
C’est pas d'la crott’ de bique
C’est du mond’ rupin
Alors il dit : baronne
Mignonne
Friponne
J’en pinc’ pour ton personne
Ell’ répond : vieux daim…

Ref. :
Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Nous allons five o’clockter
J’vois qu’vous vous apprêtez
A m’dire des choses crues au thé
Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Puis ajoute sans s’épater
Maint’nant comm’thé, mon vieux
Taisez votr’ gueul’ ça vaudra mieux

III
Dans le nid du princesse :
Caresses
Tendresses
Il goûta les ivresses
De son thé si bon
Mais après le causette
Toilette
Galette
Ell’ lui dit : vieill’ poir’ blette
Pour vous r’mettr’ d’aplomb

Ref. : Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Nous allons five o’clockter
Mais l’milord éreinté
Dit j’vous r’merci’ de votre bon thé !
Ce s’rait du thé mérité
Mais j’peux plus five o’clockter
Dans c’cas vieil amputé
Reprend-ell’ tu n’as qu’à calter !

IV
Après cette aventure
Quelle hure !
Fêlure !
L’milord avait la figure
Comme un vieux chaudron
Il faillit rendre l’âme
Infâme
P’tit’ femme
Et l’docteur avec flamme
Lui dit : mon garçon

Ref. :
Faudra prendre des tass’ de thé !
Vous avez five o’clockté
Mais j’crois qu’en vérité
Vous avez pris de l’impur’thé !
Avouez qu’dans ces tass’s de thé
Vous en aviez un’ sans thé !
Et le moralité
C’est qu’il n’faut pas prendr’ de sal’thé!

lundi 15 septembre 2008

Reprendre encore les Beatles…

Dans le dernier numéro de Mojo, la suite du dossier détaillé sur l’album blanc des Beatles. Et un CD titré The White Album Recovered n° 0000002. D’autres reprises, donc, par des artistes de troisième division, mais la troisième division indé, novatrice ou bien inspirée. On fonce évidemment à la plage 12, Revolution 9 par le trio du pianiste Neil Cowley : une très énergique fantaisie post-Bill Evans sur la rythmique du « number nine, number nine ». On aime la curieuse furie de la version au banjo d’Helter Skelter par Derwood Andrews, le bricolage naïf de Honey Pie par A Cuckoo, la fausse ingénuité vénéneuse de My Brightest Diamond dans Everybody’s Got Something To Hide, Except For Me And My Monkey
Au bout du compte, de relecture radicale en décalages précisément dosés, d’hommages soigneusement dégagés de toute politesse en approches vertueusement contemporaines, on n’a presque pas remarqué le Sexy Sadie de Paul Weller, déjà presque trop classique, trop empesé d’appartenances croisées, quatorze ans après avoir été enregistré – l’ombre portée de Lennon, un pied dans le blues anglais, un pied dans la réappropriation eighties du music-hall américain.
L’enjeu est-il de prouver que l’on reprend mieux les Beatles aujourd’hui que naguère ? Et pourquoi pas, finalement ? Il semble que soit à l’œuvre un processus dialectique qui accentue la fidélité à mesure que s’éloigne la référence, qui affirme la liberté à mesure que s’atténue la timidité devant les maîtres.

vendredi 12 septembre 2008

Carla Bley et sa grosse chose légère

On aime bien Carla Bley, en France. Le personnage a quelque chose d’éminemment attirant, comme un composé de Sonia Rykiel, de Claire Bretécher et d’Agnès Jaoui (la cinéaste ombrageuse, pas la chanteuse). Dans les festivals, elle envoie plein de signaux de reconnaissance à la fois : du jazz très actuel que l’on comprend sans peine, une sorte de féminisme du fait, sans l’aridité des suffragettes…
Appearing Nightly, son nouvel album avec son Remarkable Big Band, est d’une belle tenue de jazz franc. Beaucoup de puissance, beaucoup de charme, beaucoup d’exigence, beaucoup de générosité. Il est d’ailleurs étonnant de parvenir à une si singulière alliance de valeurs et de textures qui n’ont parfois rien à voir ensemble : ici, un peu des facéties héritées des big bands de Dizzy Gillespie, pas loin de l’écriture stravinsko-swing du jazz européen subventionné. On est facilement pris par ses jubilations, par l’inscription très physique du plaisir – quelque chose qui tient de la voltige en camion, du comique en side-car, de la sculpture en fer forgé… Une énorme chose légère, un monument gracile, ça ressemble presque à une leçon de morale.

jeudi 11 septembre 2008

Hector Zazou, un passage chez Dreyer

L'autre soir, après avoir écrit à toute allure la nécrologie d'Hector Zazou pour rfimusique.com, je repensais à mes souvenirs personnels : le concert de Zazou-Bikaye au TGP de Saint-Denis, le concert avec Sandy Dillon au Printemps de Bourges, les semaines d'émerveillement à la sortie de Chansons des mers froides, le spectacle Sahara Blue à La Villette... Il m'avait parlé un jour d'un travail qu'il avait fait sur La Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer. Je ne l'avais jamais vu. Machinalement, j'ai cherché sur le net et voici : quelques minutes du visage si humain de Maria Falconetti, le regard d'Antonin Artaud et la création sonore d'Hector Zazou.

mercredi 10 septembre 2008

Bénabar, un « Infréquentable » très fréquentable

Le 9 septembre au soir, dans un joli lieu sobrement fastueux, on écoutait le prochain Bénabar, Infréquentable. Comme le Vincent Delerm sortira peu après, il y a fort à parier que, fin octobre-début novembre, la conversation bénabaro-delermienne se focalise sur le renouvellement, l’immuabilité, le toujours pareil et le tourne-en-rond. Après tout, Bénabar chante A la campagne, et ça rappelle la chanson Bon anniversaire (il y a des week-ends dans les deux chansons) et aussi L’Itinéraire (il y a des trajets et des copains dans les deux chansons). Mais l’on pourra objecter qu’il ne parle plus vraiment des tracas de trentenaires et qu’il signale avoir bientôt quarante ans dans la chanson Malgré tout (ce sera pour de vrai l’année prochaine). Ça va faire des choses intéressantes à lire et à entendre, je crois.
Donc si l’on prend le large de ces considérations sur la capacité des pommiers à faire des poires, des fraisiers à faire des prunes et de Bénabar à faire du Trust, on se retrouve avec un album de douze titres qui montre une palette légèrement décalée. Un décalage dans les humeurs, peut-être : aucun titre de grosse comédie (même Allez ! sur la dépression d’un pote, use d’une panoplie de ficelles amincies), aucun grand titre réaliste rude (rien à la mesure de Je suis de celles, en tout cas). En revanche, l’écriture est plus droite, les sentiments plus patients, les émotions plus limpides. Il se dégage peu à peu, de disque en disque, une humanité Bénabar aux contours de plus en plus nets : on s’y étonne de la vigueur de nos émotions, on s’y rêve meilleur que l’on est, on se sait dérisoire mais on se veut important…

Il y a quelques chansons très justes et très franches sur ces questions de faux-semblants et d’apparences trompées, dans la gravité (Voir sans être vu, beau jeu de miroirs inversés, dramatique tout ce qu’il faut avec des élans moralistes à la Sardou – pardon si je vexe – quand il chante « je ne reproche rien à personne ») comme dans le sourire (Pas du tout, espèce de forro avec bendir et chœurs à la Bombes 2 Bal). Ces deux chansons-là, d’ailleurs, ont la capacité de devenir énormes, de conquérir les ondes et de gagner les mémoires.
Et c’est peut-être cela qui nous attache tant à Bénabar, comme à la gravité légère de Michel Delpech ou de Joe Dassin : l’idée qu’il nous donne quelques instants rapides de plaisir un peu écervelé, et la manière dont cela tangente les grandesgrossesquestions, dont cela côtoie l’air de rien des abîmes à la Ferré et des vertiges à la Brel. Plus que jamais, d’ailleurs, il y arrive. On va commencer vraiment à se dire qu’il est important.

mardi 9 septembre 2008

Honolulu, Honolulu...

« Ils n'en n'ont pas à Liverpool
A New-York, à Honolulu
De mieux foutue »

Maurice Chevalier, Ah ! si vous connaissiez ma poule, 1938

« Nous nous sommes connus un beau soir dans la rue
Quand vous êtes venue à Honolulu »
Georges Guétary, A Honolulu, 1945

« Voici la danseuse nue
Qui nous vient d'Honolulu »

Jacques Hélian, Le Bal à Doudou, 1948

« L'avion géant a pourfendu
Le monde obscur des lourds nuages
Rio, New York, Honolulu »
Jean Sablon, Ciel de Paris, 1950

« L'accordéon s'est tu
Les oiseaux sont partis
Peut-être pour Honolulu »

Philippe Clay, Bleu blanc rouge, 1958

« Pour un moustique de qualité
A Saint-Tropez, à Honolulu
Tout l'monde, il est gros, tout l'monde il est nu »

Joe Dassin, Le Moustique, 1973

« Honolulu Lulu, ouh qu’as-tu fait
Je traîne avec les loulous
Dans tous les cafés »

David McNeil, Honolulu Lulu, 1975

« J'voudrais te dire des mots silence
Des silences comme on n'en fait plus
Du style vent doux qui se balance
Sur les fonds bleus d'Honolulu »
Isabelle Mayereau, Des mots étranges, 1980

« Amours sans amour
Une fois de plus
A Honolulu
Comme à Singapour »

Jean Ferrat, Chambres d’un moment, 1995

« Ce monsieur n'en peut plus
Le traitement qui convient
Se donne à Honolulu »
Richard Desjardins, Les Bonriens, 1996

« Parce que ces pièces-là, y'en a plus
A moins d'en faire venir de Grèce
Ou du Caire ou d'Honolulu »

Lynda Lemay, L’Incompétence, 1998

« J'veux pas finir ma vie à Honolulu
Chanter comme un oiseau ça n'se fait plus »

M, Belleville rendez-vous, 2003

lundi 8 septembre 2008

Yann-Fañch Kemener goes baroque

Depuis que je l’ai reçu, il y a quelques jours, j’ai du mal à cesser d’écouter un des deux nouveaux disques que sort Yann-Fañch Kemener ce mois-ci (deux albums à la fois, j’aime vraiment cette idée, tous deux déjà téléchargeables et bientôt en CD), Tuchant e erruo an hañv-Bientôt l’été. Avec Aldo Ripoche à la viole, Florence Rouillard au clavecin et Ruth Weber au violon et à l’alto baroque, il a poursuivi sur une piste entrouverte il y a quelques temps déjà en mariant la tradition bretonne et la musique baroque.
Le credo est connu : par le tempérament inégal, par la syntaxe de l’ornementation, par le rapport entre mélodie et accompagnement, il y a plus d’une parenté entre musique baroque telle que pratiquée par la nouvelle orthodoxie du genre (baroqueux et héritiers) et les traditions de l’Europe pré-Bach telles que respectées par des musiciens fidèles à l’idée de vérité des formes. Ce n’est pas vraiment étonnant de trouver Yann-Fañch sur ce terrain. Pour la méthode, d’abord, puisqu’il a toujours été à la recherche de formes neuves, inexplorées, démonstratives d’une réflexion sur la musique bretonne. Pour les couleurs aussi : il y a toujours une sorte de raideur dans ses disques, une sorte de contention qui interdit de croire qu’il jette la musique sur la bande par seul instinct.
Avec cette promenade entre clavecin et voix de lande, entre salon de musique et auberge, il rappelle combien est civilisée sa culture et combien est simple la parole baroque. Tout se rapproche à la fois, formes musicales, langue, mélodie, appareil harmonique, modes du chant… La confluence est flagrante avec
Madame Deshoulières de Jean-Louis Murat, évidemment, comme si vouloir ré-enchanter la musique populaire conduisait facilement à des solutions terriblement proches : une sensualité un peu cérémonieuse, une gravité nouvelle de l’érotique, une distance gracieuse, un sourire d’intelligence.

vendredi 5 septembre 2008

Delermité I : Vincent Delerm toujours au théâtre

Vincent Delerm n’a pas quitté le théâtre. En réécoutant son prochain disque, Quinze chansons (formidable, émouvant, virtuose), je suis encore une fois frappé par l’emploi presque systématique du vocatif. Dans Tous les acteurs s’appellent Terence, par exemple, qui ouvre l’album (arrangements mi-Georges Delerue, mi-George Martin), ce n’est pas un tableau brossé avec l’apparat de l’objectivité. Il s’adresse à une seule personne : « Tous les acteurs s’appellent Terence/Tu vois un peu l’époque, l’ambiance ». Et dans ce récit de tournage, il remet du style indirect : « Dans quarante ans les deuxièmes rôles/Diront « Elle était tellement drôle ».
C’est-à-dire que, non content de mettre une origine à son point de vue (il y a beaucoup de « je » dans son écriture), il formalise aussi l’adresse, la direction du discours. Ce n’est pas une personne qui parle d’une situation, d’un sentiment, d’un personnage, c’est l’enregistrement de dialogues, un théâtre où bruisse une parole d’une vérité intense (sublime parfois, dérisoire parfois, foudroyante parfois).
Rarement ses chansons sont d’un point de vue surplombant, mais s’extirpent du flot de paroles contemporain. C’était La Vipère du Gabon sur le premier album, c’est encore Un temps pour tout, North Avenue, Shea Stadium et quelques autres sur le nouvel album. Des phrases saisies au vol, retranchées du monde pour entrer dans l’art, un peu comme jadis chez Nathalie Sarraute. Une écriture qui, même lorsqu’elle est lyrique, emprunte aux constats du théâtre plus qu’aux romantismes de la chanson. La continuité est parfaite entre ses albums et sa pièce Le Fait d’habiter Bagnolet.
D’ailleurs, cela convient bellement à la technique chantée de Delerm, qui énonce plus qu’il ne projette, qui dévoile plus qu’il ne transfigure, qui dit plus qu’il ne chante.
(Enfin, je ne veux pas dire qu’il ne chante pas. Il n’est pas techniquement de la confrérie de Réda Caire, de Florent Pagny et de Roberto Alagna, mais plutôt de celle de Maurice Chevalier, Serge Gainsbourg et Miossec, pour qui le propos est central dans l’intention.)

jeudi 4 septembre 2008

Les brouillons de Juliette

Juliette, ma chère Juliette, a été pendant quelques saisons une belle voix de radio. Elle est aussi une formidable blagueuse d’elle-même, riant sans relâche de ses chansons et de son public. Elle réunit les deux plaisirs sur son blog, avec une jolie rubrique de podcasts inaugurée cet été. Des digressions, des brouillons, des souvenirs qu’elle fait écouter et commente au micro. Il n’y en a que trois pour l’instant. On attend plus, car c’est bien drôle, bien nécessaire, bien heureux. Espérons qu’avec la rentrée elle s’y remette ardemment et nous serve mille digressions par an (euh, peut-être pas mille, il faut qu’elle écrive et chante, aussi ; une par semaine, alors).
Et il faut se promener aussi sur tout son nouveau blog, plein de choses stimulantes et joyeuses.

mercredi 3 septembre 2008

Petit voyage latinoriental

Retrouvailles avec une compilation Music Rough Guides sortie il y a quelques temps déjà, Latin Arabia. Une série de rumbas, de flamencos, de salsas, de latineries variées du Moyen Orient et du Maghreb. L’Egyptien Amr Diab en pleine mélopée flamenca très gitane et le Turc Omar Faruk Tekbilek dans une inspiration plus Gipsy Kings, le si enjoué et si mélancolique Oran Oran de Maurice El Médioni avec Alfredo Rodriguez
On sait bien les trajets qu’ont pris les musiques, leurs détours et leurs lignes droites. Les GI latinos qui expliquent la rumba au petit Maurice El Médioni qui jusqu’alors ne connait que Charles Trenet, et qui attire dès lors de jeunes gars du raï avec son jeu latin… Les ruses des musiciens accompagnant les danseuses de cabaret pour ne pas être accusés de dénaturer la musique nationale… Et puis les envies de dépaysement, les rencontres de musiciens dans les halls d’aéroport et les coulisses de festivals, les nécessités du commerce de musique…
Latin-Arabia, dit-on en anglais. On devrait dire latinoriental en français. Il se mélange là le commerce le plus cynique et l’aventure la plus sincère. Un des multiples visages de la globalisation, une des couleurs irisées du monde ouvert.

lundi 1 septembre 2008

Amy Winehouse, le prodige par caprice

Le journaliste qui circule depuis des années dans les villages pro des festivals goutait vendredi soir un tableau passionnant avec l’annulation d’Amy Winehouse à Rock en Seine. La rage atterrée de l’équipe du festival, son sentiment de s’être fait rouler dans la farine. Les ricanements pleins de sous-entendus de certains confrères. Le sentiment général d’avoir vu quelqu’un marquer un superbe but contre son camp.
Mais, plus loin, il y a la question de ce que nous allons faire d’Amy Winehouse, la question de son statut dans notre univers artistique dans lequel tout le monde agit dans le même sens (d’ailleurs, les gens de Rock en Seine ne donnaient pas l’impression d’être victimes d’un arnaqueur, mais d’avoir été trahis par un vieux pote). Elle chante, et puis non ; elle fait carrière, et puis non ; elle est une star, et puis non.
Ces attitudes-là, ce n’est pas le destin de Janis Joplin, avec l’overdose qui arrangerait bien les marchands de papier. C’est plus Nina Simone, sublime et suicidaire. C’est plus Camaron de la Isla, génie par intermittence, prodige par caprice. Amy Winehouse est plus de cette tribu, imprévisible et mal civilisée, gratuite et pourtant championne de voltige.
Et, pour s’habituer, pour l’accepter telle qu’elle n’est pas toujours, il faudrait s’affranchir de tout ce qui garantit, justement, la sécurité de nos vies – la constance, le contrat, la fidélité, le souci de ses intérêts propres. Or, elle n’est pas censurée par ce surmoi, par ce contrat social. C’est passionnant, donc, mais harassant.