mercredi 22 octobre 2008

Un petit Gardénal

« Moi j'te signale
Que Gardénal
Ne prend pas d'E
Mais n'en prend qu'un
Cachet au moins
N'en prend pas deux
Ça t'calmera »
En relisant ta lettre
, Serge Gainsbourg, 1961

« Quand ça va mal
Je prends du gardénal
Je revends ma bicyclette
Et le soir je la rachète »
Ça va bien, ça va mal
, Pierre Perret, 1962

« Je m'en vais voir les p'tites femmes de Pigalle
C'est mon péché, ma drogue, mon gardénal »
Les P’tites Femmes de Pigalle
, Serge Lama, 1973


« Tu t' souviens à la communale
Quand je m' faisais dispenser d' gym
Et qu'on s'tirait d'ce gardenal
T'étais ma lollypop, mon dream »
Les Ricochets
, Michel Jonasz, 1975

« Je viens de faire une découverte phénoménale
Ce trésor a pour nom le Phénobarbital
Il est de ma famille comme le bel Adénal
Mais je n'abandonne pas ce bon vieux Gardénal
C'est le blues, le blues euphorisant »
Blues euphorisant
, Philippe Chatel, 1976

« Je traîne en souliers bicolores,
Paille et phosphore dans l'eau du port.
C'est une mélancolie banale,
Vodka orange et Gardénal »
J’ai perdu tout ce que j’aimais
, Alain Souchon, 1977

« La nuit prend un goût de gardénal
Quand on aperçoit plus la lueur du phare
Que l'eau entre dans les cales »
Le blues est blanc
, Daniel Balavoine, 1985


« Y'en a même qui jouent femmes libérées
Petit joint et Gardénal qui mélangent vie en rose et image d'Epinal
Qui veulent se faire du bien sans jamais s'faire du mal »
Mademoiselle chante le blues, Patricia Kaas, 1987

« J'attends jeudi comme un toutou sa balle
J'attends jeudi, j'attends jeudi, j'attends
J'attends jeudi comme un anxieux son Gardénal »
Jeudi
, Enzo Enzo, 1997

lundi 20 octobre 2008

Sophie Hunger, c’est pour janvier

Post d’hier, réponse d’aujourd’hui : Sophie Hunger est signée par Universal Jazz et son nouvel album (ai-je déjà dit qu’il est très bien ?) sortira en janvier 2009 en France. Si l’on émet des avis noirâtres sur le flair, l’opportunisme ou la cohérence des labels français, ce ne sera donc pas à cause d’elle.

dimanche 19 octobre 2008

Sophie Hunger, c’est pour quand ?

Eh bien, c’est pour quand, Sophie Hunger ? Il y a plus d’un an et demi, on a commencé à parler d’elle ici ou là, on entendait des chansons superbes sur son Myspace. Après Sketches on Sea, elle vient de sortir Monday’s Ghost, deuxième album tout aussi troublant (quelque part entre Alela Diane et Anja Garbarek, entre une Björk folk et une Joni Mitchell postmoderne). Certes, ce n’est peut-être pas un génie assuré d’entrer dans les dictionnaires à venir, mais c’est un superbe talent d’écriture et une voix vraiment attachante. Dans sa Suisse, la sortie de son album est en soi un événement de business de quelque importance et, sauf erreur ou omission, on ne parle pas encore de son arrivée en France, malgré des concerts ici ou là.
Ne tirons de conclusions abusives, ne sonnons pas le glas, ne crions pas à la fin des temps, mais remarquons que l’on a connu l’industrie du disque française plus prompte à sauter sur le moindre petit talent sans aspérités trop saillantes (c’est son cas) et à la forte puissance émotionnelle. J’espère bien me tromper et recevoir ce matin au courrier le nouveau disque de Sophie Hunger envoyé par un label français, ou recevoir un mail vigoureux me disant « on l’a signé pour la France, le monde et Jupiter il y a un an ». J’espère bien…

Sur les reprises (dans "Musique Info Hebdo")

On me demande pourquoi mes chroniques pour Musique Info Hebdo ne sont pas sur mon blog. Eh bien, pardi, parce qu'elles sont dans Musique Info Hebdo. C'est un excellent journal et il n'est pas compliqué de s'abonner. Mais c'est toujours plus simple d'aller sur une page internet que l'on connait que fouiller dans ses vieux Musique Info Hebdo. Donc je mets en ligne chaque semaine la chronique d'il y a deux semaines. Aujourd'hui, celle du n° 494 du 3 octobre 2008.

Des chansons en copropriété

Mars 2008 : le nouvel album d’Alain Bashung sort avec, notamment, Comme un Lego, longue chanson écrite par Gérard Manset. Mai : Maxime Le Forestier sort l’album Restons amants, dont le titre est aussi celui d’une chanson écrite avec Julien Clerc. Juillet : Carla Bruni sort sur son nouvel album la chanson Déranger les pierres, sur une mélodie de Julien Clerc. Septembre : Julien Clerc sort ses propres versions de Restons amants et de Déranger les pierres, Gérard Manset ouvre son propre disque avec sa version de Comme un Lego.
Echanges ? Retours ? Partages ? Copropriété ? Quand, en 1976, Julien Clerc écrit la musique d’Amis sur un texte de Maxime Le Forestier, la chanson ne parait que sur l’album de ce dernier, même si elle inaugure des décennies d’amitié professionnelle. Il est vrai que les mœurs de la chanson française ne sont plus, à l’époque, au partage, à la prodigalité, au potlatch. Car on se souvient que Charles Trenet laissa Roland Gerbeau enregistrer Douce France puis La Mer avant lui… Et que sa propre version de Y’a d’la joie a mis des décennies à s’imposer face à celle de Maurice Chevalier. Mais, dans les années 50-60, la génération des grands maîtres vit la fin de l’usage qui donnait plusieurs voix à une seule chanson. C’est Serge Gainsbourg essayant de faire entendre sa petite voix derrière Petula Clark en enregistrant sans succès Vilaines filles, mauvais garçons (avec La Javanaise en face B), Catherine Sauvage convaincue de mieux chanter Léo Ferré que Léo Ferré, un critique enjoignant Georges Brassens de ne pas s’obstiner à interpréter des chansons que Patachou défend mieux que lui…
Puis, au nom de la vérité du texte, de la sincérité du propos et de la délectation des droits d’auteur, les chansons deviennent peu à peu des propriétés exclusives, des lieux clos, des espaces que l’on n’imagine plus de partager – le règne des auteurs-compositeurs-interprètes. Seule dérogation, l’exercice de la reprise, cantonné dans les années 90 aux hommages, aux Enfoirés et à « Taratata ». Ces restrictions-là tiennent jusqu’à ces dernières années, pendant lesquelles on confond volontiers « chanson par Tartempion » et « chanson de Tartempion ».
Une nouvelle pratique s’impose aujourd’hui, qui partage entre Le Forestier et Clerc ou entre Bashung et Manset l’usage des chansons (ainsi que leur usufruit). On pourra y voir une autre conséquence de la crise du disque. C’est peut-être aussi, une fois encore, une nouvelle liberté. Ou plutôt, au vu du climat idéologique, un nouveau libéralisme.

vendredi 17 octobre 2008

J'ai encore écrit deux livres (mais je n'étais pas tout seul)

Et voilà que j'ai encore écrit deux livres. Heureusement, je n'ai pas tout fait tout seul. Dans Le Bel Aujourd'hui de la chanson (chez Christian Pirot), je ne parle que de Vincent Delerm, de la manière dont, ici ou là, on a déchiré à belles dents ses chansons, sa personnalité et son univers. Je me suis bien amusé en relisant les critiques de ses disques et la façon dont quelques-uns de mes confrères se sont acharnés à l'assassiner consciencieusement.

Il y a dans ce livre dix autres noms des révolutionnaires et des réformateurs des dernières années (je n'en cite aucun pour ne pas les citer tous) sous la plume d'une belle escouade de mes distingués confrères (je n'en cite aucun parce que mon ego me l'interdit).


Dans Amoureuse et rebelle (chez Textuel), je commente des lettres d'amour d'Edith Piaf, et la manière dont cette correspondance et les chansons qu'elle a écrites s'éclairent mutuellement. Magnifique maquette, matière humaine bouleversante, Piaf étant précédée dans ce livre par Arletty et suivie par Albertine Sarrazin.


Début 2009 viendront mes livres suivants, cette fois-ci écrits tout seul (mais pas toujours).

vendredi 10 octobre 2008

Sur Yves Duteil (dans "Musique Info Hebdo")

On me demande pourquoi mes chroniques pour Musique Info Hebdo ne sont pas sur mon blog. Eh bien, pardi, parce qu'elles sont dans Musique Info Hebdo. C'est un excellent journal et il n'est pas compliqué de s'abonner. Mais c'est toujours plus simple d'aller sur une page internet que l'on connait que fouiller dans ses vieux Musique Info Hebdo. Donc je mets en ligne chaque semaine la chronique d'il y a deux semaines. Aujourd'hui, celle du n° 493 du 26 septembre 2008.

L’image arrêtée d’Yves Duteil

On le savait déjà lorsque le théâtre antique connut ses premières stars (sandales d’or, couronnes de laurier, orgies à l’Uderzo) : la gloire n’est pas toujours une bonne affaire. On lui reproche volontiers son infidélité, ses manières de fille publique, son indécision, sa volatilité. Mais elle sait aussi faire peser de tout son poids sa placidité, sa paresse, son conservatisme, ses paisibles certitudes. On se l’imagine volage comme une pétasse sur HBO ; or elle a plus souvent l’âme d’un pharmacien de province attaché à la Boldoflorine et au tiers payant.
Parlons d’Yves Duteil, qui retrouve la scène ces jours-ci. Il avait beaucoup gardé le silence, hésité, raturé avant de sortir (fr)agiles, bel album écrit avec Art Mengo et paru au printemps dernier, sept ans après son disque précédent. Il est vrai qu’entretemps il avait publié quatre compilations, ce qui ne contribue pas à rafraîchir l’atmosphère, pour peu qu’elle soit encombrée de vieilles vapeurs. Or, c’était le cas : on peut dire qu’Yves Duteil a un problème d’image.
Il a été si caricaturé que sa caricature a fini par prendre lieu et place d’Yves Duteil. Chanteur gnangnan puisque monogame depuis plus de trente ans, chanteur officiel parce que jadis il se battit comme un beau diable pour les quotas, chanteur de droite parce qu’il fut un temps chiraquien… Et il se bat aujourd’hui pour refaire vibrer une image arrêtée – arrêtée malgré les neuves orientations musicales de son nouveau répertoire, arrêtée malgré ses efforts d’explication aux médias, arrêtée malgré tout le chemin parcouru depuis J’ai la guitare qui me démange… On l’écoute avec un sourire attentif, on hoche la tête et on replace Duteil sur l’étagère habituelle – chanteur gnangnan, chanteur officiel, chanteur de droite.
La musique populaire connait bien ces hiatus entre la réalité des artistes et l’immobilité marmoréenne de leur image. On se souvient de la désinvolture de certains médias et des certitudes définitives de certains professionnels lorsque sortit l’album Chambre avec vue d’Henri Salvador en 2000 : rigolo il avait été, rigolo il resterait, rigolo il rentrerait chez lui après le bide programmé d’un album qui ne correspondait pas à son image. Le souvenir de ce triomphe à rebours de toutes les prédictions est finalement consolant : une réputation peut se retourner. Mais, pour que se révèle au grand jour la vérité profonde des goûts de Salvador, il a fallu une patience infinie. Peut-être Yves Duteil parviendra-t-il à résoudre la question avant ses quatre-vingt-trois ans…

jeudi 9 octobre 2008

Anaïs, un univers acide

Quand on a vu arriver Anaïs (ou, du moins, quand elle a explosé à la soirée des victoires de la musique), il y a eu beaucoup de discussions sur le thème « ce n’est pas vraiment une chanteuse, son spectacle est un one-man-show dans lequel elle chante ». Puis il y a eu la première preuve : quand on vend des disques de chansons, et qu’on en vend beaucoup, on est quand même une chanteuse. Maintenant, voici le deuxième disque, Love Album, qui sort le 10 novembre.
Conclusion, après écoute : c’est une chanteuse. Et même assez une chanteuse pour pouvoir déplaire. On va lui reprocher (je sais qui!) son univers narquois, son démontage systématique des mécaniques amoureuses, son air de retourner le quotidien des sentiments pour y traquer les petites obsessions, les petits secrets, les petites hontes communes. J’aime beaucoup ses chansons saignantes sur les faux semblants de la séduction, son Elle sort qu’avec des blacks (férocement incorrect politiquement, tant il va chercher dans le plus enfoui des représentations sexuelles), la simplicité de son travail formel sur les chansons, son univers où même le romantisme prend des saveurs acides très réjouissantes. D’ailleurs, à ce propos, on peut noter la sobriété de la patte de Dan the Automator, producteur de l’album, qui a respecté l’impératif français de voix en avant et parfaitement intelligible.

mercredi 8 octobre 2008

Brassens et Dieu, Brassens et Dieu, Brassens et Dieu...

On dit souvent que personne n'a autant cité Dieu dans ses chansons que Georges Brassens. Ah bon? Et dans quelles chansons?
1952 : Corne d’Aurochs, Le Fossoyeur, La Chasse aux papillons, Le Bricoleur ;
1953 : Brave Margot, Il suffit de passer le pont, P… de toi ;
1954 : Je suis un voyou, La Mauvaise Herbe ;
1956 : Le Nombril des femmes d’agent ;
1957 : La Marche nuptiale ;
1958 : Le Vieux Léon, La Femme d’Hector, La Ronde des jurons ;
1960 : Embrasse-les tous, L’Orage, Le Mécréant ;
1962 : La Ballade des cimetières, Dans l’eau de la claire fontaine ;
1965 : Saturne, Le Petit Joueur de fluteau, Le Grand Pan, Les Deux Oncles ;
1966 : Jeanne, La Fessée, Le Grand Chêne, Le Moyenâgeux, Le Pluriel, Les Amours d’antan ;
1969 : La Religieuse, Misogynie à part ;
1970 : Jean rentre au village ;
1972 : Mourir pour des idées, La Princesse et le Croque-notes, La Ballade des gens qui sont nés quelque part, Fernande ;
1976 : Lèche-cocu, Mélanie, Tempête dans un bénitier, Trompe la mort, Le Boulevard du temps qui passe ;
1979 : Elégie à un rat de cave ;
chansons posthumes ou chansons sans musique : Dieu s’il existe, Clairette et la fourmi, Quand les cons sont braves, Le Passéiste, Le Vieux Normand, Les Bacchantes, Le Mécréant repenti, Le Mérinos, Le Myosotis, Le Petit-fils d’Œdipe , Honte à qui peut chanter, Il n’a pas eu la chaude-pisse, L’Antéchrist, L’Auberge du Bon Dieu, L’Enterrement de Paul Fort, La Légion d’honneur, S’faire enculer, Le Pince-fesses, Le Sceptique, Les enfants qui chapardent des crânes terreux, Les Illusions perdues.

mardi 7 octobre 2008

Erik Truffaz, carnet de voyages

Les jazzmen ont toujours enregistré plus vite que les autres, et donc un peu plus, beaucoup plus, diablement plus. Le marché va mal ? Pas grave, Erik Truffaz sort, le 3 novembre, trois albums d’un coup, reprenant l’idée du carnet de voyages, du scrapbook, de la liberté de musicien en mouvement. Paris, Mexico et Benares, avec à chaque fois des intervenants différents.
Pour Paris, Truffaz est avec Sly « The Mic Buddha » Johnson. Quelque chose frétille, en ce qui concerne un des plus effarants vocalises d’ici. L’autre jour, j’écoutais un titre de sa rencontre récente avec Lucky Peterson et son énorme abattage de chanteur soul (aussi un projet à sortir), j’entends ici et là parler de dix de ses projets. Avec Truffaz, on ne sait pas qui emmène l’autre en plus de liberté, qui retient l’attelage au ras du précipice, qui relance le mouvement quand ils s’arrêtent devant leur grand miroir…
Truffaz est très électro dans la rencontre avec Murcof pour Mexico, raisonnablement fusion avec deux musiciens indiens et le pianiste Malcolm Braff dans Benares. Cela dessine une sorte d’éthique du dialogue, parfois réduite a minima et parfois extrêmement casuiste, à mesure que la musique se fait profuse, généreuse, ambitieuse, touffue, féconde.

lundi 6 octobre 2008

Jean-Louis Murat, le folk et l’élégie

Enfin, Murat en solo. Je vais prendre un son à l’Européen, dimanche soir. Apparat minimal, évidemment. Une table pour les harmonicas, le gobelet et la bouteille. Une douze cordes, quelques pédales.
Il est curieux qu’il y vienne si tard, finalement, après toutes ces tournées dans lesquelles il jouait souvent seul aux rappels. Et si tard après Dominique A, qui s’était imposé l’ordalie du solo pour réinventer une envie, une grâce, une lisibilité.
Il est beau et juste dans cette liberté d’étaler, de détourner, de rétracter, de déployer les chansons. De les interrompre, aussi, quand un spectateur éternue dans le quasi-silence entre deux chansons.
Les chansons sont rhabillées d’espace et de lenteur, ouvrent de grands plans contemplatifs, mais aussi des turbulences nouvelles, comme une intro très énergique et presque égotiste pour Ne pleure pas caillou, ou son insistance pour que le public l’accompagne aux refrains de L’Au-delà. Et des surprises dévoilées, comme les accents maliens dans la guitare et même dans le chant du refrain de Taormina. On découvre que, sous le folk, il y a encore l’autre siècle, plus flagrant que jamais, comme si la houle disciplinée de l’élégie se revanchait encore et toujours sous la forme moderne et instinctive.
Curieusement, tout cela est superbement familier alors qu’assez neuf (son septième concert en solo, me dit la fidèle Marie Audigier), comme si cette révélation du Murat solitaire était seulement arrivée avec retard, avait seulement été différée jusqu'à présent.

samedi 4 octobre 2008

Sur Thomas Fersen (dans "Musique Info Hebdo")

Je me fais engueuler depuis quelques semaines: pourquoi mes chroniques pour Musique Info Hebdo ne sont-elles pas sur mon blog? Eh bien, pardi, parce qu'elles sont dans Musique Info Hebdo. C'est un excellent journal et il n'est pas compliqué de s'abonner. En même temps, c'est toujours plus simple d'aller sur une page internet que l'on connait que fouiller dans ses vieux Musique Info Hebdo. Donc je mets en ligne chaque semaine la chronique d'il y a deux semaines. Aujourd'hui, celle du n° 492 du 19 septembre 2008.

Thomas Fersen et le mythe du chanteur

On connait l’histoire d’Yves Montand qui refuse à Charles Aznavour sa chanson Je m’voyais déjà, au prétexte que « les chansons de métier, ça ne marche jamais ». Créée à l’Alhambra en décembre 1960, symbole du triomphe qui installe définitivement Aznavour dans les sommets de la chanson française tout en tendant le miroir à tout le show biz – « Je m'voyais déjà en haut de l'affiche/En dix fois plus gros que n'importe qui mon nom s'étalait ». Souvent, depuis les années 60, les chanteurs ont ensuite raconté les affres de la chanson qui se refuse (Ma douzième et Une chanson me manquait d’Anne Sylvestre, Pourquoi d’abord ? de Renaud, Chanson ouverte à mon directeur artistique de Pierre Barouh…) et même, parfois, la vie de tournée (Demain le monde de Patrick Bruel, Dans un camion de Dominique A, Six jours sur la route de Claude François).
Il a beaucoup été écrit que le personnage principal de Trois petits tours, le nouvel album de Thomas Fersen, est sa valise Germaine. Un certain nombre de personnages secondaires gravitent autour d’elle : un douanier et son caniche renifleur, un ukulélé dans son étui, quelques musiciens, un poulet dans une cage à poulet…
Encore une fois avec lui, il s’agit de ré-enchanter le monde, de le séparer de son implacable réalité tangible. Il est parent des réalistes poétiques qui firent dans les années 30 un cinéma français immortel, d’un Robert Doisneau arrachant la splendeur aux rues les plus banales, d’un Nino Rota fabriquant ses éternelles bandes originales sur des débris de mélodies de cirque et des souvenirs disjoints de kiosque à musique du dimanche. Et il raconte drôlement le lot commun de la tournée : le sommeil dans le train avec la tête sur la valise, l’odeur du linge sale, les soupçons systématiques de la Douane qui cherche toujours « la boulette de chmilou » dans les bagages des musiciens, l’engourdissement des voyages en avion…
Au passage, cela révèle beaucoup du rapport au réel de Fersen, beaucoup sur la collision qu’il pratique entre petits faits vrais (il y a vraiment à l’aéroport de Montréal un caniche qui renifle les bagages suspects, comme dans sa chanson Chocolat) et notations nostalgiques fantasmées (le radiocassette…). Et cela nous rappelle combien, génération après génération, le métier de la chanson a fini par devenir un objet familier de la chanson. Et, peu à peu, le chanteur se fait personnage mythique, dérisoire et familier, comme jadis le maçon sur son mur et le poinçonneur de la station des Lilas.