lundi 11 juin 2007

Dédé Saint-Prix et Patrick Saint-Eloi : premier bilan d’une génération antillaise

A quelques jours d’intervalle, je reçois deux disques de musiciens antillais de la même génération, Mélanj du martiniquais Dédé Saint-Prix et Zoukolexion vol. 1 du guadeloupéen Patrick Saint-Eloi – un nouvel album et une compilation augmentée de quelques inédits. Au bout d’une grosse vingtaine d’années de carrière et d’une abondante discographie pour l’un et l’autre, comment ne pas se questionner sur le chemin parcouru par ces quinquagénaires qui seront bientôt dans tous les dictionnaires antillais ?
L’un et l’autre ont su imposer leur singularité, une manière unique d’aborder l’actualité de la musique à partir du bagage ancien. La fascination de Saint-Eloi pour le boléro est peut-être ce qui explique sa trajectoire de zouk-lover, main sur le cœur, sucre dans la voix et solide rythmique dans les hanches. L’inaltérable mémoire rurale et enfantine de Saint-Prix s’entend encore quand il enregistre tout récemment Tay wot (un hommage au quadrille de la Martinique) ou quand il chante les solidarités anciennes (et peut-être un peu fantasmées) de la société martiniquaise. Il est évident que l’intention du passeur de mémoire – et d’orgueil – est plus flagrante chez lui que chez le chanteur guadeloupéen, qui vit ouvertement dans un temps plus séculier même si, comme ses autres camarades de Kassav' (qu’il a quittés il y a cinq ans environ), il a toujours tenu un discours de défense et d’illustration d’une culture autant menacée par l’assimilation que par la paresse.
Mais il faudra bien se demander (par exemple quand sortira le prochain album de Kassav', à l’automne prochain ; j’en ai un peu écouté déjà et j’ai été vraiment impressionné par la vigueur fidèle du groupe) pourquoi s’est instauré ce dernières années un zouk si uniment médiocre et pourquoi on a si peu vu surgir de personnalités capables de traverser l’Atlantique, capables de témoigner d’une culture vraiment située dans le monde, capables de faire entendre une autre combinatoire des traits musicaux créoles. L’approche néo-traditionnelle de Dédé Saint-Prix ou la révolution du zouk à laquelle participe, en première ligne, Patrick Saint-Eloi, sont des moments forts de la culture populaire antillaise – respectivement les postures d’un Alan Stivell ou des Beatles pour la culture française. Et on peut mesurer, titre après titre, sur leurs nouveaux disques, quels en sont les conséquences et les produits : le son, les attitudes, les figures rythmiques, l’engagement de la voix, tout semble là pour ringardiser rétrospectivement la Sélecta et David Martial, Maurice Alcindor et les Gramacks.
Hélas, si l’on perçoit bien ce qu’ils eurent de nouveau, on perçoit mal en quoi ils pourraient être dépassés aujourd’hui. Et c’est un peu ça qui m’inquiète. A part quels noms épars (Soft, Admiral T…), et qui n’ont rien osé basculer de fond en comble, la musique antillaise semble bien encalminée à l’ombre de ces grands maîtres. J’en suis évidemment heureux pour Dédé et Patrick, qui tous deux sont des personnalités attachantes. Mais il y a forcément quelque inquiétude à nourrir quant à la fécondité de la créolité antillaise.

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