mercredi 11 juin 2008

De Carla Bruni et d’une certaine épreuve

Voici, c’est fait. Les aventures du nouvel album de Carla Bruni commencent. Nous avons, dans Le Figaro, traité dans les grandes largeurs l’écoute de ce disque qui sortira dans quarante jours. Une anticipation de l’événement que je n’avais jamais pratiquée. Hier, j’ai reçu au courrier le prochain album de Thomas Fersen, qui paraitra le 8 septembre. Je pense que l’on attendra septembre pour en parler.
Point n’est besoin de revenir sur les raisons de cet empressement, de la fascination de la société des médias tout entière dès lors qu’il s’agit de Carla Bruni. Mais comment ne pas être sidéré par la figure impossible que représente une sortie sereine de cet album ?
Comment pourront travailler les radios ? Diffuser une chanson de Carla Bruni passera-t-il pour une prise de position politique, ne pas la diffuser pour une autre position politique ou pour un signe d’apolitisme ? Que signifieront les bonnes critiques du disque ? Et les mauvaises ? Les journalistes musicaux qui n’aimeront pas le disque militeront-ils pour un traitement strictement politico-mondain de l’album ou oseront-ils exprimer leur point de vue malgré la peur d’apparaitre comme animés de mauvaises intentions, et ceux qui l’aimeront seront-ils systématiquement classés comme amis du pouvoir ? Si l’on aime Comme si de rien n’était – c’est mon cas, justement –, devra-t-on présenter comme sauf-conduit les critiques positives que l’on avait faites « avant » ?
Situation inédite pour une artiste, situation inédite pour une personnalité de la sphère du politique, la parution de son disque n’est pas seulement une épreuve pour Carla Bruni. Ce pourrait être aussi une sorte d’ordalie pour les médias français. En effet, saura-t-on scinder l’écoute, comme disent les ingénieurs du son ? Saura-t-on écouter séparément et de deux manières différentes une talentueuse artiste de chanson française et la femme qui a lié son destin au leader et symbole d’une famille politique ? Mais, toutes choses égales par ailleurs, n’est-ce pas une tarte à la crème de la critique littéraire, traitée au moins deux ou trois fois dans chaque trajectoire de khâgneux ? Louis-Ferdinand Céline incarne à l’extrême ce possible dilemme entre l’admiration de l’œuvre et la réprobation de la trajectoire individuelle – mais aussi Sartre, mais aussi Malraux, mais aussi Bossuet. Sans avoir épousé la plus ignoble des causes, mais sans non plus avoir laissé à son époque une œuvre du poids du Voyage au bout de la nuit, Carla Bruni devient elle aussi un sujet de spéculation éthico-artistique. Elle ne sera pas cette année dans les énoncés de sujets du bac littéraire. Mais il y a bien des chances que des candidats la citent.