samedi 29 décembre 2007

« In Rainbows » en CD, ou Radiohead « réel »

Après-demain, 31 décembre, belle date de la nouvelle économie du disque et de ses déjà vieilles hypocrisies : In Rainbows sort en CD. Il y a quelques semaines, les confrères interviewant Radiohead jouaient les étonnés. N’avait-on pas juré que l’album serait diffusé uniquement sur internet à un prix fixé librement par les « acheteurs » (c'est-à-dire, bien souvent, rien) et en une version vinyle à tirage limité et à prix fort ?
A sa conférence de presse avant son concert à l’Olympia, le 22 octobre, Paul McCartney avait lâché une petite vacherie sur cette manière singulière de brader une œuvre au plus grand nombre et de tondre le fan le plus fidèle. Il sait de quoi il parle : depuis toujours (enfin, depuis OK Computer), Thom Yorke et ses petits camarades savent comme personne tondre le fan, notamment avec ces rafales de singles qui ne se différencient les uns des autres que par un titre live, un mix alternatif ou une nuance de couleur de la pochette. On a beaucoup daubé sur la fine nuance entre « relation privilégiée avec la fanbase » et « racket des gogos ». Un symbole ? Ce concert sinistre à Saint-Denis avec l’immense espace réservé devant la scène, sous le chapiteau, pour les invités et les membres du fan club, et quarante mètres plus loin, les payants qui se collaient aux barrières.
Voici maintenant que l’on parle avec une gourmandise goulue de ce revirement. Citons Les Inrockuptibles. Joseph Ghosn, tout ravi : « …quel que soit le format ou la manière de l’acheter, un album demeure avant tout cela : un moment de musique qui nécessite un investissement (financier, affectif) de la part de son auditeur. » Thom Yorke : « Nous n’aimions vraiment pas l’idée de travailler si dur sur un album et que les gens qui aiment la musique ne puissent pas en posséder un exemplaire, comme nos autres disques. » Ah ben voilà de belles vérités. Et si les internautes avaient décidé massivement de payer 30 livres à chaque téléchargement, en serait-on à enfoncer si bellement des portes ouvertes ? Une irrésistible irruption du réel face à l’effort de se concilier le monde virtuel. Une démonstration de réalité, en somme, passablement humiliante si l’on relit quelques-uns des papier de début octobre…
Donc voici maintenant la session de rattrapage pour les finances de Radiohead avec la sortie du disque « physique » en magasins, encore une fois à l’envers de la morale affichée par le groupe. Mais c’est une bonne occasion pour les fans les plus fidèles de dépenser leur argent. Ce sont eux qui auront payé le plus cher le disque sur internet, puis qui auront commandé l’édition de luxe (mise en vente avant l’annonce de la sortie en magasins « normaux »), puis qui l’achètent maintenant en CD. Hail to the thieves !

lundi 24 décembre 2007

Le bilan de l’année, délectable quadrature du cercle

Le bilan d’une année ? C’est toujours une bonne question, quoiqu’évidemment piégée, aussi insoluble que délectable, aussi vaine que passionnante, aussi inévitable que dérisoire. Je ne sais, par exemple, ce que je vais raconter à lalalala.org qui me demande mon avis. Polnareff parce que nous avons été plus d’un million à le voir en concert ? La fin des Rita Mitsouko tels que nous les connaissions et tels qu’ils ont bouleversé la donne dans la musique en France ?
Mais, autrement, tous les poids lourds de l’année (Christophe Willem, Dany Brillant, Vanessa Paradis, Johnny Hallyday, Florent Pagny) ont certes été vraiment imposants, mais rien qui m’ait épaté, à part peut-être Zazie ou Etienne Daho – mais ils ont surtout été nécessaires parce que plus Zazie et plus Daho que jamais. Faut-il toujours une révolution, au demeurant ? Le plus important doit-il être un départ ? Les couronnements d’Emily Loizeau (youpi !), de Rose (ah bon) et de Renan Luce (youpi !) qui ont pris le Grand Rex ou l’Olympia, c’est un vrai plaisir, même si les albums sont parus l’an dernier. Pourtant, j’ai l’impression qu’on a plus parlé de Dalida, Piaf et Barbara pour des raisons commémoratives et commerciales que des nouveautés du paysage. Et la femme de l’année serait-elle, alors, Marion Cotillard ?
Interminables dilemmes entre l’éclairage sur un pari d’avenir (Bastien Lucas, king of 2007) et le reflet de l’actualité sensible (Constance Verluca, Babet, Ours ?), entre la pertinence de masse (mi-chel ! mi-chel !) et le feuilletage des dictionnaires futurs (le dernier concert de Salvador), entre le consensus critique-public (Vanessa et M, le couplet de l’année) et les bons coups commerciaux (le dancing de Dany Brillant)… En plus, je ne me souviens pas de tout ce pour quoi j’ai voté aux victoires de la musique.

samedi 22 décembre 2007

L’heureux adieu d’Henri Salvador

Jolie soirée d’adieux d’Henri Salvador, plutôt joyeuse et légère, hier soir au Palais des Congrès. Au-delà du miracle de la longévité, au-delà du miracle de ces années de seconde carrière depuis Chambre avec vue, il y a le charme immarcescible d’une esthétique diablement cohérente. La douceur du crooner, le swing du jazzman, les éclats de voix du chanteur de rhythm’n’blues, tout est sur la même ligne. Le Blues du dentiste, Dans mon île, Syracuse, les passions de musique d’un musicien dans sa pleine maturité dans les années 50, entre Sinatra, Basie et les souvenirs du Brésil.
Alors, il jette le masque avec une joie palpable, éclatante, presque hargneuse. Il attaque Ah c’qu’on est bien quand on est dans son bain et annonce : « Les Américains appellent ça la money music et j’en ai fait des tonnes ». Alors il continue le medley avec Le lion est mort ce soir (« Tu parles d’une connerie »), Le travail c’est la santé, Quand je monte chez toi (« Je vous ai saoulé avec cette chanson »), Zorro est arrivé (« Ça, ça fait manger, ça ! »). Le vieux professionnel se libère enfin, jette le masque à la dernière : il n’avait pas grand respect pour ces chansons-là.
Amuseur ? Bien sûr, il finira sur le sketch du gin. Mais il chante en premier rappel Avec le temps, qu’à une époque on lui aurait interdite s’il avait annoncé qu’il la voulait. Une version magnifique, avec une gravité immense et un rien de gouaille parigote. Une révélation, forcément, que cette capacité à aborder l’immense, à gravir l’Acropole, à bouffer des haubans. Sa carrière a si souvent dit le contraire…
Il y avait un peu de revanche chez Salvador en ce soir historique, un peu de confidences aussi, dans la manière de dresser un autoportrait qui lui ressemble absolument – comme on dit forcément la vérité à son dernier instant. Si cela doit être une conclusion, elle est touchante.

jeudi 20 décembre 2007

Jean-Michel Jarre retourne au physique

Jean-Michel Jarre au théâtre Marigny, pour sa reprise d’Oxygène. D’abord, les retrouvailles avec les synthétiseurs analogiques : l’attaque des notes par une sorte de bulle électrique mate, des sons flûtés qui fonctionnent en mille-feuilles, une impression de souffle sous la note, des couleurs à la fois clinquantes et pas très nettes… Et les instruments comme la fameuse réglette métallique au son de theremin, le Moog porté en bandoulière comme une guitare, les curseurs et les molettes, les fiches à enfoncer dans les tableaux à connexions. Les musiciens sont affairés, la musique y retrouve une dimension physique, une évidence charnelle.
Ensuite, la musique y gagne en imprécision, en fragilité, en hésitation. Si on compare avec les reprises de pièces contemporaines d’Oxygène lors de la dernière tournée de Kraftwerk, il y a évidemment plus d’humanité chez Jarre et ses compagnons de scène, et pas seulement parce qu’ils se démènent derrière des claviers qui ont trente ans. D’ailleurs, le dispositif du grand miroir qui permet de voir par au-dessus les instruments et leurs servants renforce à peine cette sensation d’assister à un travail d’élaboration risquée : l’exécution de cette musique affronte des instruments rétifs. L’impression est curieusement moins proche de la musique classique que de ce qui advient dans la musique indienne, avec les accordages instables, les ergonomies aberrantes, la facture approximative (je me souviendrai toujours de la démonstration que m’avait faite Shubendra Rao, élève de Ravi Shankar, à Delhi). On a l’impression d’une double lutte, d’une part pour faire exister la musique, d’autre part pour qu’elle ne s’éteigne pas.
Et l’entendre sur scène révèle combien cette incertitude construit en partie la musique, dans les brusques changements de direction, dans les équilibres de l’instrumentation, dans l’étagement des couleurs… On pense évidemment aux pionniers de chaque technologie, de l’automobile au robot-mixeur : l’exploit est toujours double, toujours sur deux fronts à la fois, nourri d’une double volonté. D’où aussi la candeur, la limpidité formelle d’Oxygène, sa relative pauvreté de discours, si on compare à Craig Armstrong, à Matmos ou à Matthew Herbert – aventuriers d’un monde de mise en mémoire et de presets.

mercredi 19 décembre 2007

Rodolphe Burger, l’humaniste en électricité

Suivre Rodolphe Burger, c’est un peu pister le saumon. On sait que ça va remonter le courant, mais on ne sait jamais de quel côté du rapide. Voici un DVD de concerts avec Yves Dormoy, Planetarium, et un nouvel album, No Sport, pour février. Une sorte d’aristocratie aux guitares très sobres, très crues, à la fois drues et flottantes. Une affaire de mélodies étales et musclées, d’arrangements aussi incroyablement limpides que savants. Sur le DVD, un concert à Tashkent avec des musiciens traditionnels ouzbèkes ; sur le CD, une nouvelle rencontre bouleversante avec James Blood Ulmer.
Sa grammaire de voix compressée, de verbe attentionné, de figures musicales obliques, d’oriflammes électriques claquant au vent, tout cet univers semble orienté par une manière très douce de torturer la forme, par une chaleur et une générosité d’intentions que l’on entend peu dans le rock. Peut-être est-il un humaniste à la manière des grands généreux de la chanson – Herbert Pagani, Julos Beaucarne, Anne Sylvestre. Une candeur et une inquiétude du cœur appliquées au rock, une limpidité d’âme derrière le voile noir de la distorsion. Cette posture-là, curieusement méditative et – osons le mot – et spirituelle est particulièrement rare dans cette musique à bruit et à fureur. Comment ne pas lui savoir gré de désarmer la guitare, d’être un poète du jeu, de poursuivre encore et toujours le chantier de la beauté ?

lundi 17 décembre 2007

Carla Bruni et le péché

Je suis surpris, depuis quelques années, par la manière dont Carla Bruni est désignée comme pécheresse. C’était le fond d’interminables discussions, début 2003, quelques temps après que fut sorti son premier album (Libé, Le Monde et Le Parisien avaient titré tous les trois « Chanteuse modèle »). On ne contestait pas que ce soit pas mal, peut-être même bien, mais déjà trop entendu, trop vu, trop promotionné. Des chansons cousues de fil blanc, taillées pour la gloire, programmées pour le succès.
Il y a eu quelques conversations déplaisantes. Pourtant, elle était allée chercher Louis Bertignac, pas Jean-Jacques Goldman, Didier Barbelivien ou Jean Lamoot – selon les besoins qu’elle aurait eus. Et Louis Bertignac était quand même, avant justement qu’elle le rédime, un gentil cambouis vaguement ronwoodiste et plutôt franchement ringard. A cette époque, les chanteuses devaient encore gueuler pour gagner leur pain, on n’avait pas enterré Lara Fabian, la Kaas n’était pas en exil, Jenifer venait de pointer son haut-parleur : la mode n’était pas au susurré, au tout doux, à la « langue de chat », comme elle disait. Mais tant pis : elle était forcément dans l’air du temps, puisque ça marchait. Et si elle l’était, c’était parce que c’était fabriqué pour ça. D’ailleurs, ça avait couté des millions, ça avait été masterisé à Los Angeles (pourtant, ce n’était pas écrit sur la pochette), ça n’était même pas elle qui chantait vraiment.
Donc, la Carla était un produit. Une machination, une manœuvre, une construction. Et cela est un péché – qu’y peut-on, ce que l’on exige de sa télévision est interdit aux chanteurs.
La question n’est pas de savoir si c’est parce qu’elle est belle, parce qu’elle née riche, parce qu’elle a été mannequin, parce qu’elle est libre, mais on a bien senti à ce moment-là que Carla Bruni était sale d’un péché originel singulier : tout en elle était forcément faux, puisque superbe ; tout en elle était mensonge parce que successfull.
Depuis hier s’ajoute un péché pire, ou plutôt un catalogue de péchés. L’homme politique, le pouvoir, l’addition des renommées, l’assomption des photos, le mélange des sangs avec la droite… Ça répugne ? Alors on réécrit dare-dare le passé. Ses chansons n’ont jamais été belles, son succès était un effet de mode, cette fille est décidemment d’une âme noire…
Quelle opinion pourrais-je avoir sur ses amours ? Aucune, comme sur celles de quiconque n’est pas de mes proches. Ni dragées, ni pronostic, ni position morale. Rien non plus à dire sur ce que cela signifie sur notre époque, une époque de corruption et d’affaissement éthique. Un peu d’embarras quant aux enfants qui doivent assumer ce qu’ils lisent sur leurs parents en passant devant les kiosques ; un peu d’embarras quant aux difficultés qu’il y a à vivre sa vie privée au su de tous, et surtout de ceux qui ne vous veulent pas de bien.
Mais elle est une fois de plus pécheresse, ce péché-là venant confirmer les précédents, ce péché-là dénonçant l’ancienneté du péché en elle. Sur quelques blogs de confrères, à la radio ou dans quelques papiers ce matin, on sent courir ce frisson-là : on ne lui reproche pas de déroger ou d’avoir mauvais goût, mais de démasquer soudain vie et œuvre antérieurs, qui étaient forcément de la même malice que ses amours actuelles. Le péché, le péché, le péché...


PS. – Une dernière chose, utile à répéter dans ce pays catholique : Jean Calvin (ami de la gaudriole s’il en est !) nous a sainement rappelé que le contraire du péché n’est pas la vertu. Le contraire du péché, c’est la foi. Cela seul compte.

vendredi 14 décembre 2007

Les bons conseils de Claude Lemesle

Après qu’il a fêté ses quarante ans de chanson en scène il y a quelques mois, Claude Lemesle poursuit une sorte de bilan plus ou moins testamentaire – plutôt moins que plus, j’espère ! – avec un joli livre intitulé L’Art d’écrire une chanson. Il s’agit de conseils pratiques illustrés d’exemples, tantôt dans ses propres chansons, tantôt dans celles des autres.
Lemesle ose parler de technique plutôt que du souffle de l’inspiration, parler du propos délibéré qui fabrique l’émotion plutôt que de la fiction de l’auteur-médium traversé par les mots et leur puissance. Il apporte bien sûr sa propre expérience mais aussi la manière dont Brel, Brassens ou Trenet fabriquent leurs coups de génie, ce qui doit être à la fois angoissant et désinhibant pour les impétrants. L’idée que l’art soit du travail est une vieille lune dont on fait des proverbes (90% de transpiration, le talent est une sale manie et tout ça…) mais sur laquelle on a parfois du mal à mettre le doigt.
L’utilité foncière de ce petit bouquin est de rendre absolument concrète cette obligation de précision et de patience. Il va sans dire que je me demande s’il arrivera en une quelconque manière à réduire le flot des amour-toujours-tendresse-caresse que l’on continue de subir.

mardi 11 décembre 2007

Led Zeppelin à l’O2 Arena : la musique quand même

Evidemment, un événement mondial, c’est toujours un peu nouille. Il y a la cuisine derrière. Je me souviendrai toujours d’un train spécial pour aller voir l’éclipse totale de soleil à Reims et du journaliste de TF1 qui hurlait aux garçons dans le wagon de première classe : « vous le servez le champagne, j’ai besoin de mes images ! » Donc, dans les deux press rooms, on n’avait pas de son sur les télés pendant la première partie. Et, alors, le journaliste devient nerveux, se ronge les ongles en disant « ils vont quand même tout réparer, non ? », se tourne vers son confrère allemand et lui dit « I’ve never seen such a mess, no ? », se dit que ça va être facile de faire une critique du concert sans le son. Et puis tout s’arrange. Son énorme, gros beau lyrisme, on comprend mieux.
On comprend mieux qu’il n’y ait pas que Joe Satriani et Eddie Vedder qui parle de Led Zeppelin. On comprend mieux la filiation avec Sonic Youth ou Tool, une sorte de fureur libertaire et terriblement musicienne. Tout à l’heure au O2 Arena, l’enjeu n’était pas seulement de hisser le drapeau et de raconter les pages déjà légendaires (enfin, tout ça y était, la guitare à deux manches de Jimmy Page, Robert Plant avec son harmonica ou ses tambourins), mais aussi de remplir les blancs pour ceux qui n’avaient pas vu, avant : la manière singulière de déstructurer le rock, de laisser la matière passer au-dessus du bord de la casserole. C’est au fond pourquoi on peut bastonner aussi fort qu’on veut derrière Patricia Kaas, ça ne sonnera jamais avec la même valeur, même s’il y a le même bruit (eh oui, il faut réécouter son dernier live, une sorte de furie dans la course aux armements).
Evidemment, je n’avais vu Led Zep qu’en vidéo. La différence avec ce soir ? Le mouvement, le décalage, le tremblement, le travers, le curieux langage modal de l’archet à la guitare qui émerge sous l’épate, un moment presque Bud Powell dans le fatras Liberace de John Paul Jones au piano (depuis, il y a eu plus cruel : The Edge au piano). Peut-être pas de quoi les absoudre de toutes les images de sports extrêmes sur lesquelles on pose Stairway to Heaven sur les chaînes du câble, mais de quoi les rétablir dans une certaine noblesse de musiciens – et pas seulement d’icônes seventies.

lundi 10 décembre 2007

MC Solaar, une histoire de chansons

Depuis une lointaine lurette, MC Solaar n’avait plus fait de scène. L’y revoici, dimanche soir au Bataclan, bien entouré (DJ-clavier, guitare, basse, batterie, trois choristes-MC). Couleurs volontiers rock, volontiers fières, volontiers convergentes avec le commun des mortels.
Il y a une délectation aznavourienne à retrouver Bouge de là, Caroline, Nouveau western, Qui sème le vent récolte le tempo, tout un panthéon de titres qui touchent, frappent, caressent, émeuvent avec une efficacité étourdissante. Bien sûr, si ses problèmes avec Universal n’avaient pas gelé son catalogue, il y aurait sans doute plus de chœurs du public, peut-être plus de gamins qui, souvent, ne connaissent Solaar que de réputation (un bon best of de temps en temps, ça réveille les chansons).
Chansons, justement. On peut commencer à amorcer un bilan, non ? Il y a quinze ans, son premier album le mettait dans le premier numéro de Chorus qui, comme tout le monde à l’époque, se posait des questions sur une possible entrée de ce garçon-là (ou d’autres) dans le caveau de famille de Bruant, Brassens et Renaud. A entendre les objets musicaux qu’il affiche sur scène, on est obligé de convenir qu’il n’est pas loin du compte. Il ne s’agit pas seulement du style, de la forme, de la scansion, de telle ou telle liberté ou de telle ou telle guinde dans son expression. Non, ce qui le constitue homme de chanson tient sans doute à ce que sont devenus les titres cités plus haut – des familiers, des compagnons, des exemplae le cas échéant. Victime de la mode est à la fois classique et tout proche, Bouge de là reste une déambulation de comédie… C’est cela, l’aznavourisation, à la fois glorieuse et difficile à gérer : que les chansons finissent par sembler vivre plus densément dans la salle que sur la scène, que l’artiste soit toujours, quoiqu’il fasse, en-deçà des dimensions de mythe de ses créations. Ici ou là, il en reprend une à son public, comme La Concubine de l’hémoglobine, qui passe à une forme dilatée, rock, reconstruite. Et puis, pour le reste, il offre son gros bouquet de chansons énormes, tout en présentant les nouvelles pousses de l’année.

jeudi 6 décembre 2007

Missill, une électro hors hypnose

A Pékin, pendant l’expédition des Transmusicales en 2005, j’avais rencontré Missill, DJette survoltée et drôle, grosse puissance de mix en club et personnalité à la suractivité stimulante. Voici que l’on reçoit, deux mois avant sa sortie, son nouvel album perso, Missill Targets, belle tuerie tous azimuts, du ragga à l’électro pure, du funk rock au hip hop énervé. Tout lui correspond bien, hâbleur juste ce qu’il faut mais avec une vraie énergie de l’intérieur.
Très impressionnant, l’enchainement des quatre titres de la fin, solidement charpentés, bondissants mais avec un je ne sais quoi de bégayé, de boitillant, de posé de travers dans la rythmique, comme un big beat dansé à cloche-pied. Le son est d’une dynamique énorme avec ses filtres sales et sa compression têtue, avec ce côté obsessionnel de l’extase de dancefloor. Ce qui est passionnant à l’écoute, c’est la manière qu’elle a de ne pas aller tout droit, de ne pas remplir tous les vides, de ne pas être systématiquement roublarde (cela tranche avec l’impeccable parade de Justice et son électro Danette). Il y a comme une place pour ouvrir les yeux, pour ne pas se laisser enivrer totalement, pour échapper à l’hypnose. Une sorte d’électro indépendante.

mardi 4 décembre 2007

Badume’s Band, une Bretagne éthiopienne

Les voies qu’emprunte la musique sont irrésistiblement intriquées, emmêlées, impossibles à pister. Badume’s Band compte parmi les cas à la fois extrêmes et ordinaires de cette histoire : des musiciens du Centre Bretagne qui jouent la musique du swinging Addis Abeba des années 60. Il y a une évidence dans le schéma de départ, quand à la texture de la voix et du chant d’Eric Menneteau, avec une pulsion, une houle, une intériorité du rythme qui signalent la gwerz sous la langue amharique. Quand il hausse les syllabes fortes, la note vibre exactement comme en Bretagne, dans une voix de tête très fervente et très ductile.
Mais la basse slappe, les cuivres roulent, la rythmique tourne fermement, on comprend cette soul africaine dans Addis kan, leur album qui vient de sortir (chez Innacor, le formidable label du formidable Erik Marchand). Et ça raconte bien autre chose qu’un jeu de folklores et d’emprunts, mais plutôt la recherche d’une vibration intérieure et hétérogène en même temps. La démarche est un peu celle qu’on imagine chez un Serge Gainsbourg à Kingston, chez un Claude Nougaro à New York, comme pour une régénération du matériau sensible. On a tout de suite envie du disque suivant…

lundi 3 décembre 2007

Radio Nova, à rebours du temps

L’an dernier, Nova avait sorti un coffret tout jaune avec vingt-cinq CD pour vingt-cinq ans de radio. Impressionnant, certes, mais un rien narcissique, après tout. Voici un exercice bien plus stimulant, 1956-1980, les racines de Nova : vingt-cinq CD pour les vingt-cinq années d’avant. Donc Bizot et Kolpa Kopoul ont fouillé dans la production de chaque année ce qui aurait été l’enthousiasme de la radio si elle avait existé.
Evidemment, c’est encore plus facile, dans ces conditions, d’avoir bon goût ! Mais c’est passionnant de voir réécrire les hiérarchies, de voir reconstruire le passé : M. William par Léo Ferré, In a Mellow Tone par Lambert, Hendricks & Ross, la confrontation de Please, Please, Please par James Brown et Les Pantoufles à Papa par Jean Constantin (ça, c’est diablement pertinent !), Yaô par Pixinguinha… Une nouvelle carte des goûts, des courants, des connexions, des croisements, comme l’histoire à la fois underground et révélée de notre culture populaire. Çà et là, bien sûr, un peu de révisionnisme ne fait pas de mal, comme l’exhumation du Moral nécessaire d’Alfred Panou, un des pires désastres commerciaux du label Saravah (1970) ou des Nuits d’une demoiselle par Colette Renard (1963) qui ne dépassa guère la diffusion sous le manteau (et pour cause !) à l’époque.
Mais on entend un autre air du temps, sans Beatles et avec le Tiers-Monde, sans pop music et avec la constante réflexion du jazz, sans yé-yé et avec les quartiers noirs de l’Amérique. Géopolitiquement, c’est sublimement généreux. Culturellement, c’est plus du Greil Marcus que de l’histoire rigoureuse. Musicalement, c’est étourdissant. Et puis, c’est jouissif. Jusqu’à présent, on a l’impression que le passé des compilations nous était toujours raconté par France Inter ou par RFM…