jeudi 28 février 2008

Le révisionnisme Blue Note

Depuis huit ou dix ans, je me demande quelle est la part du chiffre d’affaires de Blue Note qui découle de l’utilisation révisionniste de son catalogue. Voici que sort Droppin’ Science, Greatest Samples from the Blue Note Lab (chez Blue Note-EMI), compilation pointue que l’on peut mettre entre toutes les mains : « Dix classiques du catalogue Blue Note utilisés en tant que samples dans des tubes hip hop des années 90 ! », dit le communiqué de presse (d’ailleurs, plusieurs des titres utilisant ces samples datent des années 80).
On retrouve évidemment l’orgue de Lonnie Smith dans Speenin’ Wheel, qui a notamment été utilisé par A Tribe Called Quest dans Can I Kick It, un titre de Donald Byrd utilisé par De La Soul, DJ Krush, A Tribe Called Quest et d’autres encore, deux Lou Donaldson, évidemment Brother Jack McDuff… On entend la part la plus cool et érudite du rap américain, mais on s’attend aussi à voir la jeune Mireille Darc entrer dans la pièce ou Alain Delon pousser la porte du bar – si ce n’est Jean-Pierre Marielle qui danse en Pierre Cardin entre deux pétasses seventies.
Si c’était la première fois que Blue Note se célèbre avec cette gourmandise ! Je ne sais combien il y a eu de compilations, de séries et d’anthologies d’enregistrements de ce label publiés pour leurs strictes valeurs contemporaines. Jazz de lounge, soul instrumentale, musique illustrative, matériau pour le hip hop et l’électro, pépites brésiliennes… Les aligner donne une double sensation encyclopédique et lacunaire : voici les liens généalogiques rétablis (et donc une certaine vérité révélée), mais ce faisant on émonde tellement l’arbre qu’il n’en reste qu’une forme arbitraire et vaguement mensongère. Peut-être est-ce le revers des réévaluations et de la passion des origines en époque postmoderne, que de compiler le passé en fonction de nos visions actuelles. C’est, rapportée à la musique, la confusion entre histoire et mémoire que pointent certains intellectuels, inquiets que nos valeurs contemporaines imposent une polarité morale à la guerre de 14-18 ou au colonialisme. Evidemment, cela n’a guère de conséquences dans le cas des compilations Blue Note, mais le révisionnisme est le même : nos perspectives du passé ne sont plus verticales comme dans les années 60-70 qui croyaient en un progrès linéaire en musique, ni horizontales comme lorsque l’on a inventé la distinction entre musique savante et musique vulgaire, mais strictement diagonales. Une diagonale dessinée par le seul principe de plaisir ? Je n’arrive pas à croire qu’il n’y a là nulle arrière-pensée plus ou moins idéologique.

mercredi 27 février 2008

France Cartigny et les listes

France Cartigny n’en finit pas de revenir. Après tout, tomber et se relever a bien réussi à la Grande Sophie, chiffonnée et jetée dans un coin avant de resurgir avec sa grâce singulière et ses humeurs si actuelles. Donc revoici France Cartigny, ou plutôt Les France Cartigny, puisqu’elle existe maintenant en trio. De l’habileté et des audaces bien pesées, des vivacités charmantes et des quelque chose d’un peu faux (l’album Les Meilleurs, en licence chez Naïve, sort le 25 mars, mais le travail viral sur internet a déjà commencé). Un peu faux, par exemple, une chanson toute simple, transparente, visiblement fa presto mais avec des ouvertures vers de franches profondeurs. Cela s’appelle Toujours les mêmes, titre vaguement punk.
Ça donne ça, donc :
« Alain Souchon, Eddy Mitchell, Bowie
Claude Chabrol, Renaud, Uderzo, Reggiani
Jean Paul Gaultier, Eddie Barclay, Maigret
Robert de Niro, Al Pacino, Pluto
Toujours les mêmes
Toujours les mêmes
Toujours les mêmes
Toujours les mêmes »
Récemment, on a eu le même procédé, avec Putain ça penche, d’Alain Souchon.
« Nike Gap Diesel Chanel Cacharel Vancleef & Arpels Hermès Converse Yamamoto Petit Bateau Dim Prada Armani Helena Rubinstein Calvin Klein Gucci Fendi Ferrari Boucheron Chevignon Louis Vuitton Comme des Garçons
Putain ça penche

On voit le vide à travers les planches »
Et puis surtout un titre magnifique d’A House en 1990, Endless Art :
« All art is quite useless according to Oscar Wilde
Turner 1775 to 1851
Toulouse-Lautrec 1864 to 1901
Andy Warhol 1928 to 1987 RIP
Ernest Hemingway 1899 to 1961
George Orwell, Jimi Hendrix, William Butler Yates, Jack B. Yeats
Richard Redgrave 1804 to 1888
Henry Moore 1896 to 1986
Henry Miller, Sid Vicious only 21
Brian Jones
Otis Redding 1941 to 1967 RIP
All dead, yet still alive
In endless time, endless art »

Toujours cette histoire des bonnes idées devenues classicisme puis lieux communs. Il n’est pas indispensable d’être le premier, même si c’est mieux. Mais arriver si loin dans la descendance, c’est embarrassant.

mardi 26 février 2008

Nick Cave, pan sur Radiohead

Je voyais hier Nick Cave pour la sortie de l’album Dig, Lazarus, Dig !!! (fin mars chez EMI, j’en ai parlé ici il y a déjà quelques semaines). Ce n’est pas moi qui l’y conduis par la main, mais il en vient à parler de Radiohead et de la sortie sur internet d’In Rainbows. Il parle d’un « stratagème marketing cynique » (« Cynical marketing ploy ») .
Oh, oh ! « Extrêmement décevant. J’aime certains albums de Radiohead, qui est un groupe vraiment influent. Ce qu’ils ont fait revient à dire que la musique n’a pas de valeur intrinsèque. Dire que l’on peut payer ce qu’on veut pour la musique, ou ne pas payer du tout, c’est rompre le pacte entre le consommateur et celui qui fait le disque, qui est que l’on vend à certain prix un objet qui a le potentiel de changer des choses énormes dans la vie – ce qui est ce que m’ont fait certains disques. »
Au passage, il remarque que beaucoup des champions de cette nouvelle économie aux élans volontiers démagogiques n’ont pas les soucis du lendemain des artistes en développement. « Cynical marketing ploy », derechef.

lundi 25 février 2008

Claire Diterzi, une jubilation d'économie mixte

Première, vendredi soir, de Claire Diterzi à Chaillot. Il y a toujours, en filigrane, une question de légitimité à installer les musiques populaires dans les théâtres « nobles » et, dans ses commentaires entre les chansons, elle en joue bien. Sa jubilation n’a pas seulement pour source le confort de travail : le rock en est toujours à s’essuyer les pieds et à tenir son chapeau à la main en entrant dans les institutions de la haute culture.
Ce qui est superbe, également, c’est l’exemplaire liberté scénique qu’elle s’est donnée. Certes, pas de duckwalk et de stage diving dans l’écriture visuelle de Tableau de chasse : des déplacements très réglés, des lumières de théâtre, une écriture vidéo très éloignée du système habituel de l’image de scène, une exigence musicale impressionnante… Le parti pris du réglage des voix, ouvertement inspiré du Mystère des Voix bulgares, tranche avec toutes les habitudes et même avec le mixage parfois très sage de son album. Tout cela correspond à une filière culturelle dans laquelle le principe de la commande est d’ouvrir le coffre à jouets et la boite à outils à l’entière fantaisie de l’artiste. Et c’est cela qui peut stimuler une fécondité révolutionnaire.
Claire Diterzi a montré un spectacle, ce qui est autre chose qu’un set ou un concert. Et, dans ses intentions comme dans sa génétique, il tranche avec la simplicité de la mécanique album-tournée. Ce qui dépasse la mise en live des chansons, c’est précisément tout ça : les éclairages et la vidéo de La Vieille Chanteuse (génial, absolument génial), le dispositif d’A quatre pattes (génial, absolument génial), l’outrance surélectrique d’A genoux (génial, absolument génial)…
Bien sûr, elle est en France la seule avec Camille à pouvoir revendiquer une björkité pleine et entière. Mais ce détour par la commande publique est sans doute ce qui rehausse son travail de scène à cette hauteur. Alors que l’on commence à se poser ici ou là de funestes questions à son propos, une jolie démonstration en faveur de l’économie mixte.

vendredi 22 février 2008

Melingo, le bel aujourd’hui du tango

Melingo est une des meilleures choses qui soient arrivées au tango post-piazzollien. Nouvel album, Maldito Tango, qui parait chez Mañana (un CD-objet extraordinaire, comme toujours sur ce label distribué par Naïve). Pour moi qui ne parviens pas à m’arracher à la nostalgie de Charlo (injustement méconnu de ce côté-ci du monde, malgré qu’il ait tant illuminé les années 30), quand ce n’est pas au culte perpétuel de Carlos Gardel, c’est peut-être une des rares manières de me faire croire en un futur ouvert pour le tango (je veux dire un futur qui ne soit ni la perpétuation méticuleuse des valeurs d’avant-guerre, ni le radotage d’une modernité mal mimée).
Il y a chez lui quelque chose de ces acteurs dont le visage est la meilleure autobiographie, à la fois séduisant et inquiétant. C’est un chant mal rasé, âpre, fervent, avec de fugitifs effluves flamenco, mariachi ou chanson. Un miracle urbain et rêveur, saturé de références (on chavire avec son Paris arpenté sur les traces de Gardel dans Montmartre hoy, plus de soixante ans après Noches de Montmartre ou Madame Ivonne pendant les Années folles) et d’une puissance romanesque incroyable.
Evidemment, on cherche la ligne de partage entre le neuf et la tradition, entre l’habitude et les amarres larguées – peine perdue. Il y a chez Melingo le même type de bornage que chez Jacques Brel ou chez Olivier Messiaen : une généreuse narration, une liberté baroque, un mélange de cohérence et d’imprévu. Postmoderne ? Un peu mieux, sans doute.
L’album finit sur des chants d’oiseaux.

jeudi 21 février 2008

Francis Cabrel et Alain Bashung, « un regard sur la cité »

Conversation hier avec Francis Cabrel, conversation aujourd’hui avec Alain Bashung. L’un et l’autre pour des albums à paraître fin mars. Bleu pétrole, presque tout entier écrit par Gaëtan Roussel et Gérard Manset, est explicite comme jamais un album de Bashung (« comme si on n’avait pas le temps de comprendre certaines choses par fantasme interposé », dit-il). Des roses et des orties est d’une inspiration majoritairement politique – « humaniste », préfère dire Cabrel.
La conjonction des deux disques est intéressante : Cabrel qui avoue « un an d’avance » sur son planning habituel et trouve finalement, presque vingt ans après Sarbacane, que « cinq ans entre deux albums, c’est trop long ». Et en même temps la nécessité du politique, de l’écriture sur l’humain autour de lui, les religions, l’immigration, la société du spectacle… Album écrit pendant les mois de campagne et d’élections.
Bashung parle d’« un regard sur la cité, sur la vie qu’on partage ». D’où l’appel à Manset et Gaëtan Roussel, pour avoir les textes qui permettent de « survoler la confusion ». Bashung le dit franchement : « Quitte à dire quelque chose, on n’a plus le temps de tergiverser. On a besoin de dire quelque chose de direct, qui ne soit pas forcément une provocation ou quelque chose qui raconte une éternelle quête. » Cette urgence-là, c’est le même moment, la même saison, la même situation historique que pour Cabrel.
Alors, le politique revient, le politique s’affiche en même temps aux deux extrémités d’un possible axe de la chanson française. La saison va être forte.

mercredi 20 février 2008

Une jolie idée de Philippe Meyer pour les enfants

Par les bizarreries des circuits de promotion, je reçois seulement maintenant les deux premiers livres d’une collection dirigée par mon cher Philippe Meyer aux éditions du Rouergue, avec des livres consacrés chacun à une chanson illustrée à destination des enfants accompagnée d’un CD de la version originale.
Deux jolis premiers choix : La Complainte du progrès de Boris Vian avec des collages d’arts ménagers des années 50 et Les Goûts d’Olga de Gérard Morel avec des illustrations très farce. Les postfaces de Meyer sont gentiment érudites, souriantes et tendres – il sait bien le faire. Cette manière de détailler les chansons par l’image compte parmi les intéressantes pratiques de transmission du répertoire. Et, une fois de plus, on peut espérer que nos gosses apprennent des chansons qui en valent la peine.

mardi 19 février 2008

Rodolphe Burger et ses retrouvailles avec EMI

Conversation avec Rodolphe Burger l’autre jour, à propos de son nouvel album, No Sport (une fois encore, une puissance, une inspiration, une ferveur exemplaires). Nous en arrivons à ce paradoxe qu’il y a quelques années il s’est fait jeter à la rue, avec Kat Onoma, par EMI. Compression de personnel, compression des artistes, parce qu’il fallait rassurer les actionnaires avec un beau plan social.
Il maintient que ça a été une chance : il a pu fonder
Dernière Bande, label sur lequel il a réédité Kat Onoma et sorti toute une tralée de projets personnels. Une image exemplaire de la liberté artistique telle qu’on peut la rêver : des initiatives, des audaces, une inépuisable générosité.
Et voici Rodolphe Burger de retour chez EMI avec No Sport, alors que la maison de disques navigue à vue, toujours entre deux plans sociaux. Il n’y voit d’ironie particulière : le nouveau modèle économique de la musique populaire est un champ de bataille que chacun sillonne en tous sens en rêvant d’un abri. Il avait besoin d’un peu de temps d’écriture et de studio pour son aventure en solo et les conditions ont bien changé pour EMI. Indépendamment de la question d’hommes (il n’y a plus guère là-bas de décideurs qui ont décidé de son éviction), le poids mort de chaque album s’est abaissé, le seuil de rentabilité et les ambitions commerciales se sont tout autant abaissées. Trop petit pour rester au catalogue vers 2002, il est maintenant éligible, tant on sait que les artistes « spé » ont mieux résisté à la crise. Mais il précise aussi qu’il a appris « à ne pas formuler des désirs artistiques détachés des paramètres de budget » – l’expérience du patron de label indépendant…
Le phénomène est intéressant : dans une économie sinistrée, la convergence des réalismes. Ce qui est étonnant – et heureux –, c’est la force et la liberté du disque né des retrouvailles de Burger et d’EMI.

lundi 18 février 2008

Pierre Henry, comme à travers le corps

Après le coffret 8.0 pour lequel je l’avais rencontré à l’automne dernier, Pierre Henry vient de sortir Compilation amoureuse dédiée à Maurice Béjart. Le titre est bien composé : il y a plus de jubilation que de déploration dans cette vingtaine d’extraits de musiques pour la danse, plus d’élan que de mélancolie, même lorsque les jerks de Messe pour le temps présent déploient leur instrumentation franchement datée et leurs motifs tellement associés à l’enfance de ma génération.
Sur ces quarante ans environ de compositions, il y a partout la même pensée, qui porte le son au rythme, la matière inarticulée à l’écriture des corps. Un autoportrait, évidemment, mais l’autoportrait de la part sensuelle de Pierre Henry. A ses moments-là, sa musique concrète s’écarte (et pas seulement par l’usage que l’on sait être fait de ces pièces) de toute sécheresse, de tout lien avec une réflexion stylo en main. Elle devient plus électrique ou plus charnelle, plus dense ou plus aérée, plus solaire ou plus nocturne, mais toujours plus incarnée, plus agitée. Toutes ses questions, toutes ses angoisses, toutes ses jubilations, mais comme à travers le corps, comme en dictant le geste. Une musique de danse dans laquelle il semble déjà que l’on voit le mouvement, peut-être précisément parce qu’elle est par essence concrète.

vendredi 15 février 2008

Leonard Cohen, Philip Glass, la gravité et la légèreté

Il y a des disques dont on ne sait pourquoi ils passent aussi inaperçus. Pourtant Book of Longing aurait tout pour éveiller un intérêt excité : « A song cycle based on the poetry and images of Leonard Cohen », signé de Philip Glass (chez Orange Mountain Music-Codaex). La rencontre à elle seule serait un sujet de film : deux révolutionnaires des années 60 croisant leurs inspirations au bout de décennies de route, deux juifs bouddhistes écrivant sur l’amour et la spiritualité…
Glass a sainement évité d’écrire des chansons à la Cohen. Son lexique et sa syntaxe restent les mêmes, avec les oppositions de la flûte et d’un ostinato des cordes, avec les écarts si significatifs de ses cordes et son goût pour le sprechtgesang féminin, ses motifs mélodiques romantiques tronqués et répétés ad lib… Mais le matériau poétique et surtout son sens semblent le conduire à un curieux mélange de gravité et de légèreté, comme si faire chanter des textes aussi proches de lui – j’imagine, j’extrapole – enlevait sa solennité habituelle à sa musique.
Quand Leonard Cohen intervient, c’est avec un détachement du même ordre : sa foi affichée, la solidité de ses doutes pleinement assumée, la limpidité de ses choix franchement revendiquée… et une sorte de grâce souriante, aussi radieuse que discrète. Ce « livre du désir » en deux CD ressemble peut-être plus à l’homme que j’ai rencontré il y a quelques années à la sortie de Ten New Songs qu’au moraliste désenchanté ou à l’hédoniste incertain des années 70. Il semble à la fois sur son quant-à-soi et pleinement sûr de lui, détaché et plus présent.
Curieusement, c’est une posture qui semble être non seulement celle d’un Leonard Cohen de soixante-dix ans, mais aussi celle d’un Leonard Cohen désiré, fantasmé, projeté, comme celui d’Henk Hofstede et de l’Avalanche Quartet vu l’été dernier aux Tombées de la nuit à Rennes. Un Leonard Cohen sage et malicieux, serein et turbulent.

Les cent jours de Portishead

Conversation mardi avec Goeff Barrow et Adrian Utley de Portishead, à propos de la sortie prochaine de Third (disque impressionnant dans ses constructions sonores, presque plus tenté par la réconciliation avec le prog rock que par la perpétuation du trip hop). Pourquoi dix ans sans nouvel album ? A cause du succès, expliquent-ils en substance. Deux albums, deux tournées, quelques événements exceptionnels, avec pour finir deux divorces, l’épuisement moral et nerveux, le vide, des années sans pouvoir faire de musique – enfin une musique qui vaille pour Portishead.
Adrian a son bon sourire carnassier quand je lui fait remarquer qu’ils agissent comme s’ils ne voulaient absolument pas – ou plus – devenir des stars. « On ne pourrait pas faire ce qu’il faut », dit Goeff.
Ils ont donné cent jours à la maison de disques (Barclay-Universal pour la France). Cent jours pour la promo et la tournée, alors tant pis pour les Etats-Unis ou la Pologne, tant pis pour les dizaines de médias qui frappent à la porte et n’auront rien. A peine vingt-quatre heures à Paris, puis Berlin, à la maison pour des tournages, de la promo en Europe continentale encore, la tournée à partir du 26 mars… Et le 29 mai ce sera fini.
J’aime bien cette manière de se concentrer sur l’essentiel, de préserver des temps aux choses… Même si au bout du compte je trouve ce jeu-là assez coupablement malthusien. J’espère qu’ils filmeront un beau DVD.
J’ai un curieux souvenir avec Portishead, à propos. Nous étions dans les tournées de Dummy, peut-être en prévision de leur deuxième passage en France, ou alors pour la sortie de l’album Portishead, je ne me souviens plus. J’arrive au Royal Monceau. Attachées de presse, salut à mon confrère des Inrocks. Celui-ci voit arriver Goeff. Poignée de main. Qu’est-ce que tu fais là, tu viens m’interviewer ? Ben non, je suis venu voir Beth. Ah bon elle fait de la promo, maintenant ?
Enervement, sur le mode : je me tape toute la promo parce que madame dit qu’elle ne supporte pas d’en faire, et alors que je fais dix interviews par jour, elle prend dans mon dos des rendez-vous discrets avec des journalistes classe et se prélasse le reste du temps ? Il s’est assis. Il s’est relevé. Il s’est rassis. Il est parti.
On avait l’air con, au bar du Royal Monceau, à le regarder partir. On a su plus tard qu’il est allé se calmer en achetant des disques sur les Champs. Mais en tout cas il n’y a pas eu de promo Portishead ce jour-là. Et même, pendant quelques heures, plus de Potishead du tout. Je comprends mieux leur histoire des cent jours.

mercredi 13 février 2008

Henri Salvador, André Salvador, une histoire créole

Le départ d’un doyen laisse toujours une tristesse sans doute plus sereine que de voir fauché une star de vingt-huit ans dans un accident bêta. On se dit qu’il a bien profité de sa seconde carrière, de l’adoration finale des bobos et – par anticipation – du défilé de corps constitués au pied de sa dépouille.
Il reste que la mort de Salvador semble de celles qui closent le XXe siècle – un homme qui a joué dans les années 30 avec Django Reinhardt ! Car il n’a pas appartenu à notre monde relativiste, à notre univers culturel aussi rassuré par l’âge que par la nouveauté, il a connu les combats de générations, le ringardisme et l’opprobre du succès. Il appartient à ce monde de violence symbolique et d’exclusions mutuelles auquel la postmodernité a mis fin.
Mais il appartient aussi à son univers créole, au combat compliqué d’un peuple abandonné (chez qui ai-je lu cela ?) dans le brouillard sans lanterne mais avec un bâton. J’aime qu’il ait toute sa vie porté cet accent parigot à couper au couteau, qu’il n’ait jamais vraiment réussi à parler créole comme un créolophone courant, qu’il ait subi tant de choses – Charles Trenet qui parlait de lui comme du « petit nègre », les si bonnes blagues à la télévision sur les bananes… – sans brandir le poing. On revient à ce qu’on se disait il y a quelques mois avec
Viktor Lazlo : il y a une histoire des mulâtres qui porte beaucoup de souffrances, de renoncement, de volonté, d’ambition, et qui ressemble beaucoup à la vie de Salvador. Je ne veux pas faire de sa vie et de sa carrière la métaphore, le parangon ou l’exemple de la situation d’un certain nombre de lignées dans les sociétés créoles, mais je suis convaincu que la dureté du personnage, son mélange singulier de nonchalance et d’acharnement, tout cela a quelque chose à voir avec l’histoire douloureuse de son univers natal.
Si on croise son histoire avec celle de son frère telle que racontée dans le livret de
l’intégrale Ernest Léardée publiée il y a quelques temps par Frémeaux & Associés (les activités de fantaisiste, le Québec, le sport, la France…), c’est le même climat de négociation permanente avec les lois du commerce, de tension entre ce qui est indispensable à la survie et de ce qui constitue le plaisir naturel (et que l’on appelle parfois l’identité), de quête d’une histoire qui soit souverainement individuelle et non plus strictement collective.

mardi 12 février 2008

Les Puppini Sisters, avant le temps de la spontanéité

Conversation hier avec les Puppini Sisters, qui venaient à Paris pour un peu de promo avant la sortie de leur album, Betcha Bottom Dollar, début mars chez Verve-Universal. Elles redonnent vie au jazz harmonisé des Andrews Sisters, elles recréent cette manière si singulière d’équilibrer et de faire sautiller la voix. Avec elles, jolie réflexion historique sur les raisons de la disparition du paysage de ce genre d’harmonies vocales. Marcella pense que l’irruption des auteurs-compositeurs-interprètes, que l’envie et le besoin d’exprimer soi-même son discours personnel a mis fin à cette manière de chanter très réglée. « Un travail d’équipe », dit Kate. Stephanie parle de « commitment and discipline ». On est très loin de l’idéologie rock, de tous les spontanéismes connus après les années 40 (le caractère concomitant de l’apparition du bebop et de l’apogée des Andrew Sisters). On en rit : non, il n’y a pas d’impro, d’impromptu, de reprise spontanée bricolée en trois minutes. Non, il faut construire, préparer, écrire.
Le concert est assez habile (Ça plane pour moi de Plastic Bertrand interpolé dans Boogie Woogie Bugle Boy), charmant, parfois encore un tout petit peu maladroit (ce ne sont sans doute pas des instrumentistes !), bien au-delà des seules qualités de la recréation virtuose. Beau réglage de Wuthering Heights de Kate Bush, qui achève de démontrer la valeur de cette technique.

lundi 11 février 2008

Le prochain Bashung revient au texte

Il y a peu d’albums que l’on attend autant, cette saison, que celui d’Alain Bashung, qui doit sortir le 25 mars chez Barclay-Universal, semble-t-il sous le titre Bleu pétrole. Après les lueurs obliques, les crissements et les ellipses de L’Imprudence (2002, quand même !) et de la « Tournée des grands espaces » qui avait suivi un peu plus tard, cela va être un choc troublant : Bashung revient au texte, aux valeurs de la chanson explicite, aux mélodies commandées par le sens.
Pour l’écriture, il a travaillé avec Gaëtan Roussel et Gérard Manset – deux générations, comme le symbole d’un passage entre les précurseurs éternellement marginaux des années 60-70 et la gloire sereine de la nouvelle scène.
Donc, trois premiers titres assez acoustiques : Je t’ai manqué, comme pour installer les retrouvailles avec la voix moirée de Bashung, Résidents de la République, le premier single, chanson la plus diagonale de l’album sous la limpidité du discours amoureux, Tant de nuits, une bashunguerie presque littérale d’Arman Méliès et Joseph d’Anvers. Puis déferle l’énergie d’Hier à Sousse, dans lequel on retrouve une des forces de Louise Attaque, son énorme puissance de feu acoustique. De Roussel aussi, plus loin dans l'album, Trapèze, superbe fable aussi conjugale qu’amoureuse (« On dirait qu’on sait lire sur les lèvres/Et que l’on tient tous les deux sur un trapèze (…) On dirait que les pirates nous assiègent/Et que notre amour c’est le trésor/On dirait qu’on serait toujours d’accord »). Et puis Le Secret des banquises, dans lequel il écrit comme un Jacques Lanzmann pour Jacques Dutronc. Sur ce disque, on se rend bien compte que Gaëtan Roussel est là, avec ses guitares acoustiques fébriles, son sens de l’avancée, du mouvement, de la course.
Par comparaison, les titres de Gérard Manset ont quelque chose de cérémoniel : Vénus, son vocabulaire savant et ses arrangements rêveurs et vaguement méditerranéens ; Comme un Lego, qui dure neuf minutes, dans lequel Bashung se fait très docile par rapport à la métrique de Manset, tout en amenant peu à peu la mélopée vers une déchirure moins théâtrale que folk ; Je tuerai la pianiste, avec une hargne désespérée, les plus lourdes guitares électriques de l’album et aussi une solide rythmique de guitare acoustique. A la fin de l’album, Il voyage en solitaire, dans lequel il ne peut se défaire des contours de l’interprétation canonique de Gérard Manset.
Avec Manset et Roussel, Bashung revient à la mélodie, à la chanson chantée (l’anti-Osez Joséphine, ligne de chant impossible à reprendre sous la douche), à l’arrangement construit autour du texte. Moins d’abstraction, moins d’énigmes, moins de décrets jetés avec les grands gestes du poète devant son vaste chaudron.
Et puis une reprise du Suzanne de Leonard Cohen avec le texte français de Graeme Allwright, en version mid-tempo électro, comme pour confirmer une généalogie souvent sous-évaluée.

vendredi 8 février 2008

Un roman impeccablement fontainien de Brigitte Fontaine

La machine créatrice de Brigitte Fontaine fonctionne depuis plusieurs années avec puissance et constance. A peine plus d’un an après l’album Libido et le roman Attends-moi sous l’Obélisque, voici Travellings (chez Flammarion) Un roman écrit au fil de la plume, à la fois virtuose et erratique.
Sa Judith lui ressemble, ou du moins ressemble à ses chansons : elle agit abruptement, de volte-face en décret imprévisible. Le cœur, le corps, les nerfs de Judith sont un lieu incompréhensible, impossible à cartographier, impossible à prédire. Elle s’est choisi une écriture rapide, vive, d’humeur parfois abrasive, parfois taquine comme une enfant. « … juillet bat son plein, des moissonneurs travaillent la tête courbée et quelques exaltés prennent la Bastille, c’est-à-dire qu’à la fraîche ils se mettent minables dans les bars alentours. » ou « On ne passe pas par Paris, ça brûle, on va dériver sans doute par Orléans et son eau fourbue, Poitiers la belle, Bordeaux l’andouille… »
A tout petits chapitres, elle suit sa Judith comme dans un feuilleton de psycho brouillonne et sans souci vériste, comme dans un Fantômas sensuel. C’est un peu
comme du David McNeil, mais avec des nerfs à la place de chacun des sens, des impulsions au lieu de la mémoire.

jeudi 7 février 2008

The Do : quelques réponses encore…

Prolifique musicien pour le cinéma, la danse ou l’art contemporain, Dan Lévy a changé de vie et d’ambition musicale en rencontrant Olivia B. Merhilati. Il en est résulté The Do, duo dont l’album, paru le 14 janvier, a été précédé d’un buzz forcené. Alors que vient de commencer la tournée, longue conversation avant-hier, pour le papier de ce matin dans Le Figaro, au-delà duquel voici encore quelques réponses.

Reste-t-il dans l’album de The Do quelque chose de toutes les compositions que vous avez faites sur commande ?
Dan.
– La chanson The Bridge Is Broken est une commande pour la danse contemporaine du chorégraphe finlandais Juha-Pekka Marsalo, une pièce produite par Carolyn Carlson, sorti sur un petit disque vendu à la fin des représentations du spectacle Scène d’amour, qui a tourné dans toute l’Europe. Il y avait trente minutes de musique contemporaine et une chanson qui commençait la pièce. C’est le début de The Do, parce que quelqu’un a voulu que l’on prenne encore plus de risques, nous a dit qu’on était un petit peu trop politiquement corrects dans nos compositions. C’était la déformation des commandes pour les films : il fallait toujours une jolie voix avec une jolie mélodie sur une petite guitare. Marsalo est un chorégraphe assez violent qui travaille sur le physique, qui a une façon très dure de s’exprimer. Il est venu au studio et le rendez-vous s’est très mal passé, je l’ai presque foutu à la porte. Au moment de se séparer, je lui ai dit : « Les gens viennent nous voir pour ce qu’on sait faire. Toi, tu viens nous voir et tu ne trouves rien dans ce qu’on te propose : ça nous intéresse, il va sans doute naître quelque chose de ce projet-là. » En trois jours on a fait les maquettes de la musique instrumentale et une chanson, The Bridge is Broken, qui est le point de départ de l’album.
Le fait d’être un couple avant d’être un duo change-t-il quelque chose à la musique ?
Olivia.
– C’est comme si on était nés il y a trois ans.
Dan. – Au début, on voulait cacher le fait que nous étions un couple. Comme Olivia l’a dit dans une interview – et que je trouve très beau –, on n’aurait pas pu donner tout ce qu’on a donné si on n’était pas amoureux l’un de l’autre. Tout est fluide…
Et cela explique votre autarcie, le fait que vous jouiez de tous les instruments sur votre album ?
Dan.
– A part les cordes, des nappes et deux morceaux sur lesquels joue notre batteur Jérémie Pontier, nous sommes obligés de le faire nous-mêmes. Je ne pouvais pas expliquer pendant trois heures une batterie, alors je la faisais et Olivia enregistrait. Je savais ce que je voulais pour la basse, la guitare, les vents… En deux ans, on a fait énormément de progrès en instruments parce que cet album a été fait de manière laborieuse. Il y a des fois où l’on pensait que l’on ne finirait jamais d’enregistrer les cinq instruments d’une chanson : on avait des mauvais instruments, pas de matos, on ne savait pas vraiment jouer… Il fallait tenir.
Tenir dans votre bulle…
Dan.
– Si on devait prendre à la lettre tout ce que les gens nous disent… « Vous êtes un groupe français et vous chantez en anglais : ça ne passera pas à la radio, ça ne marchera pas… »
Olivia. – On est parasité par plein de commentaires et de conseils. Il faut seulement prouver le contraire tout le temps. Tracer…
La publicité pour les cahiers Oxford utilisant On My Shoulders a contribué à vous faire connaître avant la sortie de votre disque. Avez-vous accepté facilement ? Il y a une époque où les groupes français se méfiaient de la pub…
Olivia.
– C’est normal qu’il y ait un débat là-dessus parce qu’aujourd’hui la musique passe peut-être trop par la pub. Dans notre cas, tout s’est déroulé très simplement et très sainement. Nous sommes édités chez Universal et la chanson était au catalogue du bureau de la synchro. Quand ils sont venus vers nous, la chanson existait depuis déjà quelques mois.
Dan. – Ce n’était pas une pub pour la moutarde. C’était un mini-court métrage qui laissait de la place à la musique. C’était des cahiers, et nous nous servons tous les jours de cahiers, nous aimons écrire. Le slogan était « le talent, c’est d’avoir envie ». Ça nous allait. Mais on a vraiment hésité parce qu’on savait qu’on pourrait nous poser une étiquette. D’ailleurs, on nous a proposé d’autres pubs depuis, pour lesquelles ça a été un non catégorique.
La sortie de votre album a été précédée d’un gros buzz. Pas trop stressant ?
Olivia.
– Ce qui a été un petit peu stressant, ce sont les premiers concerts il y a un an. C’était nouveau, surtout pour Dan, et il fallait que ce soit très bien très vite.
Dan. – C’est ça le défaut du buzz : on n’a pas eu le temps de prendre nos marques depuis notre premier concert, le 20 février 2007. Mais on n’aurait peut-être pas fini ce disque avec autant d’enthousiasme s’il n’y avait pas eu un buzz qui nous porte.
Olivia. – On aurait sans doute travaillé de la même manière s’il n’y avait pas eu cette impatience. Mais c’était quand même motivant d’avoir tant de gens sur Myspace qui nous demandaient quand l’album allait sortir.

mercredi 6 février 2008

« Al Son del Diableton », une rencontre immédiate avec notre passé

La proximité éteint parfois notre capacité d’émerveillement. A force de penser nos compagnes comme étant un foyer d’arriération, nous en avons oublié qu’elles sont aussi riches de culture que des villages de savane africaine ou de rizières indonésiennes, avec des sociabilités, des rites de passage, des échanges esthétiques avec l’extérieur et tout un poids de musiques traditionnelles.
A Cordes, la Talvera, qui est aussi un groupe de musique néo-traditionnelle à la fécondité insolente, possède de très belles archives de collectage de musiques rurales du Haut Languedoc. Voici l’album Al Son del Diableton, anthologie de l’accordéon traditionnel occitan, vol. 1, qui regroupe des enregistrements de cinq accordéonistes de quatre communes du Tarn (Anglès) et de l’Hérault (Riols, La Salvetat-sur-Agout, Saint-Etienne-d’Albagnan) qui se connaissaient tous et formaient d’une certaine manière une communauté artistique cohérente, tant dans les répertoires que dans les pratiques. A l’accordéon diatonique, ils jouent de très anciens airs à danser (la bufatièira, lo virolet, lo butavam) comme des danses dont la mode déferla avant la guerre de 14 (mazurka, polka, valse, scottishe). La sensation est curieuse, entre l’extrême familiarité et l’étrangeté radicale, entre la découverte de sophistications inattendues et la lisibilité instinctive de l’essentiel de cette musique.
Entre ethnomusicologie et nostalgie de nos racines rurales à tous, un voyage dans le temps qui nous ramène à une sorte de naturel de l’identité musicale française, dont la trace s’entend évidemment dans le musette de papa, mais aussi chez les Têtes Raides ou chez Manu Chao.

mardi 5 février 2008

Céline Caussimon contre le sens de la marche

Céline Caussimon n’est pas dans le sens de la marche. Elle le chante dès le titre d’ouverture de son DVD, En public à l’Olympic Café et il n’y a guère besoin d’une plus longue étude de marché. Elle appartient à ce monde qui ne regarde pas la télévision, non par manque de temps mais par clair désir d’y échapper. Elle appartient à ce monde qui éteint la radio lorsqu’arrivent les nouvelles du CAC 40. Elle appartient à ce monde un peu perdu dans l’époque où ferment les bureaux de poste des villages, où la lenteur est devenue obscène, où l’obligation de connexion est presque un impératif moral. Ce n’est pas seulement qu’elle soit la fille de Jean-Roger Caussimon qui l’a ancrée dans la chanson poétique rive gauche : c’est une humaniste aux mots sévères, une éditorialiste obsédée de beauté, une inquiète qui prêche la tendresse et l’attention envers tous les hommes.
Cela n’est pas vraiment le sens de la marche, aujourd’hui dans la chanson commerciale. Alors elle reste au dehors, comme un certain nombre de ses confrères et consœurs, naviguant de petite production et petit lieu. Leur conspiration de rebelles du verbe donne souvent de beaux fruits, comme le précédent album de Céline Caussimon, Le Moral des ménages, et son présent DVD. Des fruits volontiers candides, donquichottesques, dérisoires face au grand torrent des productions culturelles qui adoptent le sens de la marche. La question n’est pas circonscrite à l’expression explicite d’un certain refus, d’une certaine résistance : dans sa manière de chanter, dans ses arrangements mi-Bobino mi-Portal, dans son écriture pointilleuse, elle dit peut-être encore plus qu’en vilipendant l’âge digital et la malbouffe. Quelque chose de franciscain et de gandhien plus que du Cohn-Bendit ou du Renaud, une sorte de bulle hors du temps mais le regard braqué sur l’époque. Certes, elle sonne plus années 50 que chanson de fille contemporaine, mais son enracinement est franchement au présent. La parole d’un certain désarroi en même temps qu’un geste artistique puissant, comme la confirmation du fait que la chanson sait toujours être libre.

lundi 4 février 2008

Soft au défi du deuxième album

Le premier album de Soft, Kadans a péyi-la, portait avec une certaine majesté les ambiguïtés des directions possibles de cette musique antillaise qui rêve de sortir du zouk. La recherche d’une expression à la fois « authentique » (je tiens aux guillemets, tant ce mot peut être dérisoire en culture créole) et explorant de nouveaux territoires passait par le retour à l’acoustique et donc par une navigation aux parages de la bossa brésilienne, de l’art des troubadours haïtiens, du jazz et de la musique latine les plus dépouillés, mais avec un soin égal à ne pas retourner à l’expression littérale de la biguine ancienne ni à la chanson française tropicalisante. Et les textes à l’engagement parfois fervent de Fred Deshayes finissaient de donner à l’ensemble des couleurs de nouveauté et de radicalité. Exagérément ? Si on se contente d’écouter le premier disque de Soft, oui. Si on le compare au tout-venant de la production antillaise, cette surévaluation se justifie, tant le zouk-love et le r’n’b ont stérilisé la création.
L’enjeu du nouvel album (on peut l’entendre à la scène ce soir au Casino de Paris) était donc intimidant : poursuivre la même route sans se perdre, confirmer les espérances, dépasser le « peut mieux faire ». Premier constant : ni virage, ni salto, ni plongeon. Les mêmes humeurs mélancoliques et subtilement politiques (joli, cette ouverture des chœurs chantonnant « bumi, bumi, bumidom, bumidom, dom, dom », du nom du
Bureau d’immigration des départements d’outre-mer, qui organisa le départ de milliers d’îliens vers la métropole), les mêmes constructions musicales précises qui se gardent bien d’aborder les styles dans leur pureté, la même alternance de colère et de douceur romantique… On trouvera que les titres les plus virulents empruntent à la parole du conteur créole comme à l’insolence du We Insist ! de Max Roach, à la rage maintenant historique d’Eugène Mona comme à l’obsession identitaire de la poésie antillaise contemporaine. Et l’on peut aussi remarquer que, pudeur pour pudeur, il vaudrait mieux accepter un plus large emploi du français courant des Antilles (comme dans Partout étranger, avec ses subtiles singularités guadeloupéennes) que s’affadir dans l’anglais scolaire de la soca de clôture de l’album.
Le projet d’ensemble conserve ses ambiguïtés, n’étant ni tout à fait un nouveau style (et, même, il est de plus en plus difficile de contester la proximité avec Beethova Obas), ni vraiment une entreprise commerciale orthodoxe. Mais il y a assez de belles chansons pour hausser l’album à un niveau remarquable et confirmer que le chemin de Soft, pour étroit et risqué qu’il soit, est d’une nourrissante pertinence culturelle.

vendredi 1 février 2008

Catherine Ringer va ramener les Rita Mitsouko sur scène

Rien n’est officiel encore, rien ne sera annoncé avant une quinzaine de jours au moins mais la belle nouvelle semble se confirmer : Catherine Ringer va reprendre la route. Il semble qu’elle ne se produira pas sous le nom des Rita Mitsouko, même si elle va chanter le répertoire écrit pendant presque trente ans avec Fred Chichin.
Le duo était en tournée
quand Fred a disparu. Une tournée prodigieuse, qui montrait les Rita Mitsouko à des sommets de puissance, de ferveur, de pertinence, bien au-delà de ces années pendant lesquelles on quêtait les retrouvailles avec le frisson originel. L’été dernier, ils n’étaient plus les révolutionnaires turbulents des années 80, mais les empereurs de la postmodernité, à la fois souverains dans toutes les catégories musicales bobo et englobant d’un grand mouvement cent autres traditions – le music-hall, Berlin, les divas populaires, l’off-Broadway…
Donc Catherine Ringer va continuer de faire vivre l’album Variéty. On ne sait pas encore si elle reprendra
l’ambition internationale des Rita Mitsouko et des disques Because, mais elle sera sur scène en avril (on parle çà et là d’un certain festival de saison pour commencer la tournée). Ne commentons pas dès maintenant la pulsion de vie, l’envie de scène, la force de continuer la route. En tout cas, le geste est magnifique.