mercredi 2 juillet 2008

Blue Note, une sorte d'idéal

Doit-on considérer Blue Note comme une exception ou comme un exemple ? Quand les professionnels du disque s’interrogent sur le devenir de l’exploitation de leurs catalogues, le nom du label d’Alfred Lion (« the finest in jazz since 1939 ») arrive toujours dans la conversation. Le dynamisme de ses signatures actuelles (Norah Jones, Robin McKelle, Erik Truffaz, Stefano Di Battista…) est certes troublant, dans le contexte du calvaire d’EMI et de la fragilisation générale de l’économie du jazz. Mais, surtout, on ne cesse d’être effaré par l’actualité de son passé, par la fréquence et la variété des parutions puisant dans les centaines de sessions d’enregistrement couvrant tous les genres, courants et époques de soixante-dix ans de jazz.
Voici que sortent en même temps deux compilations réalisées par des radios parisiennes : TSF explore Blue Note, vol. 3 et Nova explore Blue Note, vol. 1. La FM spécialisée du jazz propose une lecture très homogène, centrée sur le son Blue Note, avec des titres peu connus d’Ike Quebec, Dexter Gordon, Art Blakey, Jackie McLean, etc. L’essentiel de l’album date de la période 1955-65, dans des couleurs très swing, très réverbérées, très shuffle. La sélection de Nova est plus érudite, piochant entre 1957 et 2004 des enregistrements au son plus mat, aux exigences rythmiques plus variées, aux contours plus inattendus – Sabu, Horace Silver, Charlie Hunter avec Mos Def, Michel Legrand travaillant sur une bande de Claude Nougaro, Jason Moran… Les intentions des deux compilations sont différentes. Le disque de TSF convient à un salon d’hôtel, à des fauteuils cossus et à un vieux whisky ; celui de Nova s’accorde mieux à un lounge contemporain et à la fusion food.
Il y a quelques mois était sorti Droppin’ Science, Greatest Samples from the Blue Note Lab, compilation de « dix classiques du catalogue Blue Note utilisés en tant que samples dans des tubes hip hop des années 90 », qui venait elle-même après quelques dizaines d’explorations thématiques ou chromatiques du catalogue – Blue Note successivement street kid, penseur bebop, salsero chatoyant, pimp du premier funk, jazzeux en chemise à carreaux… On y voit le signe de la plasticité et de la générosité du catalogue, mais aussi de sa légitimité. Car, curieusement, ce label aux contours esthétiques assez amples a suscité une mythologie d’excellence « pointue ». Mais cette frénésie compilatrice impose de se demander si cette mythologie n’est pas, aussi, une fabrication idéale.