jeudi 28 juin 2007

En Créolie (VII) : dans mon trésor de quadrilles

J’ai trouvé mon joyau de ce voyage en Guadeloupe. Chez le petit disquaire créole d’avant-hier, j’ai acheté une réédition Debs d’un album Célini, un disque de Man Dupuits et du violoniste Cologer. Il y a d’abord les figures d’un quadrille – un délice, notamment le romantisme taquin de la deuxième figure l’Eté et l’enjouement étourdissant de la quatrième figure Pastourelle. Le commandeur Antoine Gouala est bellement classique, simplement entrainant. Le miracle vient du violon, machine à danser impeccable, mais surtout porteur d’un extraordinaire discours de musique dans le cadre clos du quadrille. Comme Iphano Salières et Ariste Ramier, les deux accordéonistes de quadrille enregistrés par Moutoussamy au début des années 60, il se tient aux limites très précises de style mélodique, de rythme et de fonction d’une musique de bal déjà en franche perte de vitesse à l’époque de l’enregistrement, en 1972.
Le plus étonnant est que dans les deux biguines de bal à quadrille qui complètent ce qui me semble être une face de 33 tours, Cologer joue salement faux par moments. Et, sur les biguines chantées par Man Dupuits (voix un peu criarde formée avant le micro, expression bien bligidi, sans nuances), il intervient parfois avec une curieuse raideur, qui d’ailleurs s’accorde bien au débraillé d’un enregistrement salement roots (je me souviens des séances de ce studio à Pointe-à-Pitre, au bout de la rue Lamartine je crois, derrière la baie vitrée qui donnait sur la rue, avec le gamin que l’on envoyait bloquer la circulation le temps d’une prise).
J’aime passionnément ce quadrille-là, virtuose et convivial, vieillot et si fécond de vraie musique. Il y a une très longue tradition dans cette forme-là, tant dans l’excellence instrumentale du soliste que dans l’imperturbable rythmique des tambours et du triangle, et dans le parler du commandeur : on devine une extraordinaire fidélité dans la transmission, une troublante originalité par rapport à ce que nous enseigne la Vulgate actuelle sur les anciennes musiques de la Guadeloupe.
Nous en parlions, Michel Giraud et moi, dans notre conversation pour le film Urban ka : la concentration du discours identitaire sur le gwo ka exclut de la mémoire le quadrille et son histoire ambiguë. Voilà pourquoi ce disque est si précieux, tant il raconte une autre histoire, une histoire de survie et d’invention culturelle, de liberté et de dignité humaine – oui, les grands mots ! je ne les sors pas souvent, ceux-là, mais le quadrille ne parle que de ça.
Alors j’ai copié les quatre figures sur mon iPod, rangés avec d’autres enregistrements qui constituent mon trésor de quadrilles de la Guadeloupe. J’aimerais bien n’être pas le dernier que ce trésor émeut.

mardi 26 juin 2007

En Créolie (VI) : le disquaire créole, espèce en voie de disparition

Comme il y a le bœuf créole et le chien créole, il y a le disquaire créole. Ce n’est pas un disquaire aux rayons débordants et rationnels, un espace commercial entièrement maitrisé. Le magasin de disques créole a quelque chose d’extensif et de foncièrement désorganisé – si la norme métropolitaine s’appelle organisation –, un peu à la manière des épiceries créoles : un certain surréalisme dans le rangement (Noël antillais et Tino Rossi mélangés, Cesaria Evora avec le latino, zouk et r’n’b antillais tout ensemble), une notion particulière du stock (on dirait qu’il y a une commande par an, aucun réassort), un aménagement curieux, dans lequel les disques semblent toujours au large dans le magasin.
Il ne reste plus beaucoup de ces magasins. J’ai tout à l’heure fait un tour rapide : quatre ou cinq ont fermé dans le centre de Pointe-à-Pitre depuis ma dernière visite, dont l’historique Discorama, à l’angle de la rue Nozières et de la rue Lamartine. Il reste évidemment le magasin d’Henri Debs, et puis les disquaires à la française, mais les magasins créoles disparaissent. Ici comme ailleurs, on télécharge, et la chute des ventes de CD a massacré ce petit commerce.
Survivant, Zouk’is Music, rue Sadi-Carnot, presque à l’angle de la rue Nozières. Le comptoir de bois, les rayons avec plein de trous, des CD à couvertures décolorées par le soleil, les posters de promo au mur, la sono bricolée, l’énorme enceinte posée sur le trottoir, le carrelage anonyme… Ce n’est pas un magasin visant la fortune, ni même un lieu de passion : il s’agit ici d’une petite activité dans laquelle on cherche seulement à tenir le courant. Il y a bien sûr les gros tubes, diffusés à toute force, mais le back catalog souffre volontiers d’amnésie : il n’est qu’à voir le peu de disques anciens, de rééditions de musique traditionnelle, le sort du gwo ka et du quadrille, l’oubli même d’une bonne partie de la discographie de Kassav'… Il ne s’agit curieusement pas d’un commerce culturel, mais d’un exercice sommaire de gestion de boutique. Quelque chose qui manque de grandeur et parfois même de dignité, mais qui ressemble à cette culture dans son entier, soumise aux hasards du monde et à peine consciente de la présence de sa voix au concert des peuples. Même si cette approche-là du commerce de musique était terriblement désuète, elle a porté les plus belles folies d’ici. On ne peut pas lui en vouloir…

En Créolie (V) : le retors « tan lontan »

La mémoire forcément emmêlée du tan lontan, d’une histoire qu’il faut toujours remesurer et redéfinir en fonction des combats, des enjeux, des conflits d’aujourd’hui. Nous parlons, le réalisateur Christian Grandman, mon acolyte Michel Giraud et moi, avec Armand Chérubin, poète et gwan moun qui témoigne de l’avant-guerre et de ses pratiques. La sérénade, par exemple. A quelques garçons, habillés des dimanches, ils allaient devant la maison de la belle, chantaient du Tino Rossi, du Maurice Chevalier, plus tard du Luis Mariano. Des chansons sentimentales en créole ? « Non, jamais. » Le répertoire d’histoires de cette pratique : un garçon chante J’ai fait le tour du monde, de Tino Rossi. La belle répond : « Ah, ou fè le tour du monde pou vini fè sa ici mèm ! » Et il se prend le contenu du pot de chambre (vaz pisa) jeté par la fenêtre.
On ne comprend vraiment tout cela que si l’on admet qu’il y a un continuum culturel par-delà l’Atlantique, des élans de la société semblables à Béziers, Maubeuge et Pointe-à-Pitre, mais inconnus à Roseau ou Port-of-Spain. Une espèce de francité obstinée, note tenue perceptible dans la musique, les sociabilités (« nou ké bwè on champagne »), la cuisine (l’absence de sauces aigres douces). Sans la comprendre, on ne comprend pas tout le paysage, à commencer par le quadrille, que tant de gens évacuent de leur description de la musique guadeloupéenne.
Avec Napoléon Magloire, Chérubin évoque aussi le bénadin, appelé aussi filé droit, danse des mains dans laquelle il fallait toucher et feinter l’autre, accompagné au tambour ou, le plus souvent, au boulagèl – les percussions vocales.
Chérubin raconte aussi le gros tambour – en français dans le texte –, sortie des tambours pour la fête de la commune, pour le 14 juillet ou pour la fête Schoelcher, le 21 juillet. Pas de chacha, pas de siak (qui est actuellement en train de disparaitre, d'ailleurs), un seul boula – deux tambours seulement, donc, sous l’Arbre de la Liberté, à Anse-Bertrand. Il y tient : on ne danse plus comme avant, tout s’est perdu, à commencer par le fait que c’était le danseur qui commandait au tambouyè, que c’était le batteur qui demandait parfois un autre pas au danseur pour pouvoir changer de rythme. Que le tambour et sa danse n’étaient pas réservés aux nèg la ri, qu’on y voyait même, à l’occasion, de « vraies dames ». Donc, au gros tambour a succédé l’appellation gwo ka, puis léwoz.
Il a créé en 1965 le Cercle culturel ansois, groupe pionnier en folklore. Disque fondateur avec le tambouyè Robert Loyson et le chanteur Chabin. C’est Chabin qui un jour de fête à Petit-Bourg improvise le fameux « Messieurs et dames bonsoir », enregistré quelques jours plus tard au Vernou Palace sur disque Célini. Comme Vélo était chez Célini, c’est lui qui est au makè sur l’enregistrement – mais il ne chante pas.
Chérubin n’aime pas plus que moi le culte révisionniste rendu à Vélo, nourri de coups de rhum de charité, dormant là ou il était tombé (un matin, il était endormi au pied de l'escalier de notre immeuble, place de l’Eglise), clochard sanctifié dès le jour de sa mort. Chérubin raconte les fêtes à l’Anse Bertrand, le maire qui tenait absolument à ce que vienne Vélo. Au déjeuner officiel, le tambouyè était présent, « pas à la table du maire, mais il déjeunait là, dans la salle de la mairie. » Et le banc existe toujours, sur lequel Vélo dormait ce jour-là, sur la place du marché de l’Anse Bertrand.
Chérubin a aussi quelques autres remarques un peu différentes de la vulgate. Par exemple, il compte, parmi les rythmes du ka, le roulè, « qui se dansait comme une valse ». J’en connais qui n’en veulent pas entendre parler. Il rappelle, en parlant, combien le tan lontan est touffu, opaque, parfois même retors, qui nous refuse les lectures simples. On y trouve toujours plus de complexité, plus d’exceptions, plus d’ambiguïtés. La créolité comme training intellectuel.

lundi 25 juin 2007

En Créolie (IV) : Napoléon Magloire, la cravate et la mémoire

Un homme minuscule, un peu cassé, perclus, mal équilibré. Le costume, la cravate, le chapeau de la sociabilité obligatoire de l’ancien temps, le parapluie immense sur lequel il s’appuie pour marcher. Et une présence ahurissante, presque proportionnellement inverse à son apparence physique. Il vient sur scène en duo avec Dominique Coco, bel abattage très actuel, qui puise dans Marley, le zouk et le funk. Ils semblent presque à égalité au départ dans Fo lévé, gwo ka très contemporain. Mais quand ils embrayent sur Dodo, Hermancia, dodo, c’est Napoléon qui emporte le morceau : peu de mots, des gestes très étroits mais qui ont gardé une force et une signification de jeune homme.
Quatre-vingt-huit ans, donc, un statut d’aîné mythique, sans doute sans commune mesure avec ce que furent son rôle et son œuvre en son âge mûr (on pense à Compay Segundo, évidemment), à cette situation de dernier vivant d’une musique. Evidemment, j’aurais aimé que Carnot fut traité avec même déférence, que par exemple quelqu’un l’ait pris dans sa voiture la nuit où il s’est fait renverser sur la route d’après-léwoz – à pieds, son ka à la main.
Donc, Napoléon Magloire titube un peu quand il danse, la voix chevrote un peu, mais le chant a la belle ferveur, la bonne fermeté. Le concert du film finit avec lui, avec le public qu’il porte dans l’évidence d’une forme née du partage et pour le partage. Tout le monde se fait répondè avec un naturel magnifique (comme plus tôt dans l’après-midi quand Jomimi chantait Matété a krab, son drapeau jaune-rouge-vert à la main).
Napoléon Magloire symbolise plus grand que lui, évidemment. Comment ne pas admirer, pourtant, comment ne pas lire dans sa présence sur scène un prodige de la volonté et de la mémoire ? Chaque matin, il va amarrer ses bœufs à cinq heures. Ce vendredi, il organise un léwoz chez lui, à Mare-Gaillard.

dimanche 24 juin 2007

En Créolie (III) : une certaine biguine, 1937-2007

Discussion avec Daniel Laroche, jeune patron de label et musicologue, comme moi impatient que Debs réédite ses Grammacks et ses Exile One, introuvables mais fondamentaux pour la compréhension et la délectation des années 70. C’est lui qui a suggéré Loulou mi touloulou aw la pour la programmation du concert au centre du film pour lequel je suis venu ici. Une biguine composée par Al Lirvat (tout jeune, alors) et enregistrée par Roger Fanfant à Paris en 1937, lors de l’Exposition Coloniale – l’acte d’indépendance de la biguine guadeloupéenne par rapport à la biguine martiniquaise. Chantée par Tony Lodin et Martine Sylvestre, elle prend samedi des atours pimpants, avec un petit rien démodé, évidemment.
Belle illustration de quelques questions que nous traversons avec Laroche : longtemps, cette culture a juxtaposé la célébration de son âge d’or (avant 1902 en Martinique, de manière plus floue en Guadeloupe) en même temps que son bel aujourd’hui, double fil que l’on perçoit évidement chez une Jocelyne Béroard, mais aussi chez Mario Canonge (la biguine et Ultramarine), chez Patrick Saint-Eloi, tout aussi évidemment que chez Guy Conquette (la gloire de Baimbridge Chaud, finalement très peu traditionnaliste). Double fil encore chez Admiral T, qui danse le gwo ka et garde son accent antillais dans le ragga. Mais il semble presque une exception dans l’époque.
Les soixante-dix ans de chemin de Loulou mi touloulou aw la, c’est une jolie histoire, dès lors. La robe mutine de Martine Sylvestre qu’elle trousse avec son grand sourire, ce n’est pas la modernité exacte, mais cela ne peut-il être ce que la France fait de Quand on s’promène au bord de l’eau ou d’On n’a pas tous les jours vingt ans ? Ce qui s’éteint peu à peu aux Antilles, obsédées de clips MTV et tournant souvent le dos à leur vieille biguine, est-ce la faveur d’une musique trop ancienne et trop souvent prostituée – dit-on – ou cette singulière manière d’empiler les couches culturelles ? Alors que l’Occident tout entier se repaît de la liberté postmoderne, réinvente-t-on la sottise amnésique des modernes en terre créole ?

En Créolie (II) : la facture du ka, bonne question

Le ka a bien changé. Quand je l’ai connu, c’était un tonneau avec une peau de cabri et un fort métrage de corde de chanvre. Aujourd’hui, on en voit souvent en forme de djembé, surtout pour pouvoir jouer debout. Et puis des tambours au bois presque lisse : les lattes de bois sont collées, désormais, et le cerclage de bois n’est plus forcé au rouge, mais enroulé, cloué à la jonction du ruban puis vissé (on sent la visseuse Bosch). Et la corde est synthétique, évidemment. On ne voit plus guère non plus de ka peints de couleurs vives : le bois se doit d'être nu, dans une idée de couleur naturelle.
Son énorme des tambours de Takouta, ainsi, d’une puissance de mythe et de météorologie, la peau sonnant fort dès qu’on l’effleure. Facture contemporaine, donc, Michel Halley disant que ceux d’avant étaient « de la récupération ». Certes. On est loin d’une démarche baroqueuse, loin d’une pratique de facture constante. Pourtant, çà et là, on entend une revendication constante et obstinée de fidélité aux racines et à la vérité de la musique.
Mais je me souviens aussi d’une conversation avec Shubhendra Rao, à New Delhi, sur le calvaire du joueur de sitar avec son instrument anti-ergonomique au possible et dont l’accordage est d’une fiabilité qui ne dépasse pas quelques dizaines de minutes. En Inde, nous sommes dans une civilisation opiniâtrement conservatrice. Ici, nous sommes dans un monde du recommencé, du refait, du réparé, du bricolé. Je ne peux m’empêcher d’avoir la nostalgie des tambours-tonneaux, de la ficelle râpée du bourrelet autour de la peau. Mais Halley a peut-être raison.

vendredi 22 juin 2007

En Créolie (I) : groupe d’hôtel et hypertango

On n’échappe pas, lorsque l’on est à l’hôtel en Guadeloupe, au groupe d’hôtel. Hier soir, donc, petit steel band avec batterie pour le dîner. Répertoire évidemment prévisible : Célimène, Shame and Scandal in the Family, Rum and Coca Cola, Ban mwen on ti bo (titre rédimé, évidemment, par sa reprise par Jocelyne Béroard sur l’album de Kali), La Ri Zabym… Petite remarque au passage : lorsqu’ils jouent Le plus beau de tous les tangos du monde ou Adios Muchachos, ces musiciens trouvent curieusement une vérité (s’il existe une vérité en musique, évidemment, ou plutôt une possible expression vraie) beaucoup plus franche que lorsqu’ils reprennent Le Douanier Rousseau de la Compagnie Créole ou La Chenille de la Bande à Basile. Là, ils sont dans un usage des musiques très foncièrement créole : le sentimentalisme du quart d’heure de charme de jadis, qui joue de l’appui emphatique sur les valeurs les plus archétypales d’une musique. Une sorte d’hypertango qui ravirait Barthes, évidemment (et l’Umberto Eco de La Guerre du faux saisi par les reproductions de la Cène dans les musées américains), et qui répète avec passion tout ce qui fait le tango, du langoureux de la mélodie à la pamoison outrée des articulations rythmiques, du vibrato des notes longues à la suggestion du chant dans des ostinatos serrés dans l’aigu. Et cette reconstruction d’un tango factice parce que rêvé, finit par sonner avec plus de sincérité que le radotage servile des standards de la musique antillaise. C’est le jeu de faux-semblants, d’emprunts et de projections de soi qui fait notamment le charme immense du bal gwan moun et de la passion antillaise pour le boléro.
Mais c’est aussi l’espace du steel band, après tout. Quand en 1946 Winston Spree Simon joue sur un steelpan, devant le gouverneur de Trinidad et les corps constitués, un prélude de Bach et God Save The Queen, c’est évidemment la victoire d’une culture populaire faisant incursion dans un domaine savant, mais aussi le prélude à tous les Docteur Jivago et Love Story joués par les steel bands d’hôtel. Une aventure magnifique et sordide, d’une puissance et d’une candeur égales. Je ne dis pas non plus que c’est de bon goût, évidemment.

mercredi 20 juin 2007

Daniel Lavoie, histoire tendre, histoire cruelle

Beaucoup vu Daniel Lavoie, ces jours-ci. Une interview mise en boîte pour sa tournée à la rentrée, puis un dîner chez sa productrice Danièle Molko (Michel Fugain passe, on se trouve à parler de la Casa Musicale à Pigna, en Corse, lieu de musique si accueillant qui a charmé aussi Marcel Pérès ou les aventuriers de Décor Sonore).
Un personnage plus attachant, dont quelques instants de ses chansons mériteraient d’être enseignés à tous et à chacun. Par exemple dans Zavez des bonbons, sa manière de dire « Zavez des bonbons ? – Non, pas de bonbons. » Il y a là toute la cruauté de la vie que l’on nous fait, toute la férocité de notre richesse. Pas de bonbons. Pas de consolation malgré le bonheur, pas de consolation malgré la détresse, pas de consolation malgré l’indifférence – un temps qui nous dit non.
Lui-même est manitobain. Quelques milliers de francophones isolés dans un océan de 350 millions d’anglophones, sans voisins qui parlent leur langue. « Quand je suis arrivé à Montréal, j’ai été surpris de voir que les enfants jouaient en français dans la rue. Chez moi, personne n’aurait osé », me raconte-t-il. Vu d’ici, vu de maintenant, l’ahurissement : une langue honnie, une langue ségréguée au point que, chez les Jésuites où tous les cours étaient en français, il parlait anglais dans la cour avec ses copains.
Il explique combien les Manitobains francophones sont toujours pudiques, secrets, précautionneux. Ils ont tellement tu leur langue, leur identité. Son dernier disque, Docteur Tendresse, le dévoile beaucoup. Mais il n’ira pas plus loin, sans doute. Il sourit. Pas de chanson sortie du confessionnal, pas de dévoilement absolu, pas de mise à nu. Il a quitté le Manitoba, alterne le Québec digne et la France fiérote. Mais il garde la blessure du commencement – le français dont l’on a honte, l’humiliation du nom de famille prononcé à l’anglaise, le devoir de parler mieux anglais que les anglais… Alors, sous la tendresse des chansons, sous le cœur montré, il reste la balafre, la brûlure. L’histoire est curieuse, vient d’un pays développé, d’une époque toute proche. Les chansons, hélas, ne guérissent pas de tout. Ça se saurait.

mardi 19 juin 2007

Camille, Britten et le bonheur

Conversation, hier, avec Camille. Elle prépare ses concerts à Saint-Eustache, avec le Ceremony of Carols de Britten. Toujours aussi précise et diserte sur son art, toujours aussi riche dans ses propos et – pourrait-on dire – dans ses soucis : fabriquer une forme neuve, toujours, aborder la musique par des lieux qui ne sont pas nécessairement les plus fréquentés, se fabriquer en même temps que l’on fabrique. Elle parle de Britten en disant d’abord ses simplicités : le timbre des voix d’enfants, la ligne mélodique, l’intention lisible. Est-ce vraiment un contraste avec la féroce liberté des contraintes qu’elle s’impose : une guitare plutôt qu’une harpe, des voix timbrées venues d’autres cultures à la place du chœur de jeunes garçons ?
J’aime cette manière d’interroger la musique plutôt que de jeter des certitudes sur la partition. C’est la méthode du Fil, évidemment, mais surtout celle d’une artiste dont l’audace ne craint pas un monument de la musique savante du XXe siècle. Elle dévide aussi le répertoire de chants sacrés qu’elle chantera dans l’église, elle l’incroyante – chrétien, soufi, shintoïste, bouddhiste, juif, hindouiste… Candeur et gros estomac, courage et cinglerie, outrageante confiance en soi et quête opiniâtre. Il y a chez elle la singulière manière de ne pas se simplifier la vie d’un Frank Zappa, l’envie de Damon Albarn de n’être pas autre chose qu’une liberté, et puis tout un björkisme dont le maniérisme éventuel est tempéré par l’ampleur des risques.
Et, là-dessus, elle affirme n’avoir pas voulu autre chose qu’une parenthèse, qu’un pas de côté dans la préparation de son prochain disque, reconnaissant qu’évidemment la parenthèse a fini par prendre presque autant de place et de temps que la proposition principale. Fatalité du side project à une époque où l’unplugged ou le duo font parie du travail « ordinaire » ? Ou la bride laissée sur le cou aux créateurs, même s’ils transgressent les frontières qui, çà et là, résistent encore au bel aujourd’hui des musiques populaires. J’aime bien cette époque dans laquelle Camille est heureuse.

lundi 18 juin 2007

Le fortin de Général Alcazar

Quel meilleur lieu pour parler de Général Alcazar qu’un blog, lieu où ne se pense nulle concession a priori au goût commun ? Car je ne crois pas connaître une création aussi idiosyncrasique que la sienne. Sa posture est celle d’un petit fortin, quelque part en un désert oublié, et qui recevrait de temps à autre quelques instants d’ondes courtes pour ne pas tout à fait oublier le langage des hommes. Comment s’étonner dès lors qu’il écrive selon une syntaxe abracadabrante, réduite aux seules solennités de la langue, avec un lexique charriant toutes les raideurs des lieux communs : « Evite-moi donc le pire, évite-moi les histoires/Je te donne un million, s’il te plait/J’adopte un profil bas/C’est à cause d’un soleil que personne ne conteste/Que je suis devenu ton plus fidèle adepte ».
Tout cela avec ukulélé, guitare saturée, bibelots bruyants, mélodica, samples d’art brut, xylophone, brimborions. Les Singulières, le quatrième album de Patrick Chenière, alias Général Alcazar, ressemble à une carte postale d’un autre siècle, comme si Marcel Janco et Richard Huelsenbeck avaient pris le pouvoir chez Talking Heads, comme si la théologie bogomile s’était installée avec son rigide merveilleux dans le rock psychédélique, comme si Raymond Roussel écrivait des chansons. Car il y a bien du Locus Solus dans ses disques, des bizarreries énoncées d’un ton faussement neutre, des aventures impossibles selon nos perceptions habituelles.
Et tout cela constitue comme un territoire isolé, une principauté dérisoire et sublime, un krak médiéval qui se dresserait non loin des autoroutes et des centres commerciaux. Général Alcazar est peut-être un des seuls artistes que je connaisse à réellement habiter une tour d’ivoire, à vraiment se tenir hors de toute catégorie admise.
Je me souviens l’avoir vu se mettre soudain à pleurer en pleine interview, il y a cinq ans. Il parlait « d’arrêter de régler mes comptes avec mon enfance, avec mon passé ; d’être peut-être plus généreux, plus détendu avec le public. » Je ne sais pas du tout où il en est aujourd’hui de ces deux voyages-là. Toujours est-il que ses nouvelles chansons se dressent comme la colonne d’un stylite dans le paysage du moment – une incongruité presque sainte, un geste de résistance et de dignité fol et génial à la fois.
Je ne le dis pas souvent, mais je pense que nous sommes là dans un de ces cas où – comme avec Christian Bobin ou Robert Wyatt – on se grandit forcément un peu en achetant un objet culturel. Le disque s’appelle donc Les Singulières. On le trouve sans difficultés.

vendredi 15 juin 2007

Le moment Constance Verluca

J’aime le moment Verluca, ces jours-ci. Un peu partout dans la presse on lit un joli catalogue de formules enthousiastes saluant la sortie de son premier album. Une langue bien pendue et délicieusement fielleuse, un rock saturé de références et de codes chic. Vaniteusement, je peux dire que je l’aimais avant tout le monde – enfin, avant que tout le monde l’écrire – puisque j’avais reçu son disque il y a des semaines – mais tout le monde s’en fout, de ça. Donc, c’est le moment Verluca, cet instant de grâce où l’on sent le monde soudain plus riche, soudain mieux habité, soudain prospère parce qu’un nouveau nom a surgi. Dans ces cas-là, on n’ose pas dire franchement que l’on ressent le même choc qu’à l’arrivée de Björk ou de PJ Harvey, tant l’on sait que la lumière des feux de paille est vive, que ces instants peuvent être illusoires. Alors on mesure son enthousiasme, on le rationne, même. Après tout, on ne veut pas être celui qui écrit une phrase aussi imbécile – rétrospectivement – que « les La’s sont la meilleure chose qui soit arrivée à Liverpool depuis les Beatles ». Donc on fait gaffe. Car on a trop aimé d’un amour neuf des histoires vaines – au hasard, Merz, Cotton Mather, Stéphane Blok… – pour savoir qu’il faut conserver un petit rien de circonspection sous les cris d’enthousiasme. On savoure avec précautions, en se demandant par exemple si la dureté des textes de Constance Verluca est de la même nature généreuse que ceux de Cali ou se revanchent avec l’âcreté de Mano Solo, si les accents de slow à l’ancienne de certaines de ses chansons (Tu es laide, Domme-moi ta vie) vont vieillir comme des Françoise Hardy vintage ou se michèletorriser… J’avoue garder souvent de ces moments-là, quand les choses tournent mal, une sorte de reconnaissance navrée. Si tout se passe bien, si la route reste large, le souvenir du moment X est presque moins doux.

jeudi 14 juin 2007

Stremler, Delerm, MC Solaar : les usages de la Stan Smith

D’abord, il y a eu Thierry Stremler qui chantait au « Fou du roi » avec aux pieds des Stan Smith impeccablement blanches et orthodoxes – c’est-à-dire avec la pastille verte au talon. Cela m’a évidemment fait penser à une famille, puisqu’il arrivait ainsi quelques mois après les Stan Smith de Vincent Delerm à la Cigale. Des Stan Smith qui faisaient signe, évidemment : la référence années 80, le détournement d’une image sportive vintage dans l’affichage d’un certain embarras du corps, la guinde curieuse de la démarche avec Stan Smith vs le détendu des baskets contemporains… De quoi parler.
D’autres Stan Smith sur scène ? Je suis sûr d’en avoir vues, bien sûr, mais qui ? D’après les vieilles archives de ma clé USB, il y a déjà Ben Vaughn au Printemps de Bourges 1994, notamment.
Et voici que quelques jours plus tard, j’interviewe MC Solaar pour l’album Chapitre 7 qui sort lundi prochain. Stan Smith rouges. Enfin, blanches, mais avec une pastille rouge. Un type de Sarcelles les lui a offertes. « Sarcelles était très Stan Smith. C’est sa nostalgie : faire revenir aux Stan Smith et au 501 brut, propre et bien repassé. Il a vingt-cinq ans et c’est comme ça qu’il voyait les grands de Sarcelles quand il était petit. » A Villeneuve-Saint-Georges, se souvient-il, « les Stan Smith, c’était plutôt le style pickpocket, avec un blouson en cuir et un journal. Ceux qui étaient plus réguliers avaient des chaussures plus sportives. Les miennes, c’était les Indoor Blue, pour être dans Adidas – des chaussures bleu clair qui servaient pour le ping-pong et le handball. » Solaar note que le premier revival Stan Smith a été le clip de Je danse le mia d’Iam et cite : « L'ambiance était chaude et les mecs rentraient/Stan Smith aux pieds le regard froid/Ils scrutaient la salle le trois-quarts en cuir roulé autour du bras ». Quant à lui, il n’en a porté qu’une fois sur scène, « en Suisse, pour la fête de l’Espoir, il y a trois ou quatre ans ».
Mais tout cela n’a pas exactement le même sens que chez Delerm ou Stremler – l’identité sociale, d’une part ; le jeu sur les codes, d’autre part. Polysémie de la Stan Smith.

mercredi 13 juin 2007

Peter Frampton, c’est dégueulasse et c’est bon

Sardines à l’huile, rocher Suchard, lait concentré sucré en tube, fraises Tagada, on a tous notre plaisir régressif câlin, notre machin écœurant qui console et peut parfois chasser la migraine. Une transgression que l’on ne songe même pas à cacher tant on sait qu’il est des plaisirs dont la consommation ne peut être qu’excessive, opiniâtre et narquoise.
Pour moi, c’est Frampton Comes Alive. Mon frère l’avait acheté quand j’avais douze ou treize ans et l’avait abandonné peu après en quittant la maison. J’avais d’abord découvert le talkbox sur Show Me The Way, puis au cœur de Do You Feel Like We Do. Et c’est ce passage-là que j’écoute parfois, depuis qu’en 2001 l’album est sorti en 25th Anniversary Deluxe Edition, avec quelques épates au talkbox de 7’20 à 11’30 puis un beau solo final de guitare électrique « normale » sur presque deux minutes. C’est royalement crétin, pire que tous les remplois que Daft Punk et quelques autres ont pu faire du corpus vocoder-talkbox des années 70 – et ce n’est pas peu dire ! Je crois que s’il y a un sommet de mauvais goût dans le lyrisme rock, c’est bien là, et pas chez Queen ou Slade, sauvés par une petitesse britannique idiosyncrasique dont Frampton était parvenu à s’affranchir, peut-être même dès Humble Pie. Une sorte de frénésie tout aussi cinglée que médiocre, comme si un sergent de carrière dans l’infanterie avait essayé de jouer les Sparks…
Et j’avoue volontiers me repaître des âneries de Peter Frampton. Evidemment, hier soir, je sortais d’une longue journée avec la commission dont je suis président au CNV. Nous avions fait, je crois, du bon travail, mais j’avais attrapé une féroce migraine et, alors que le soir de juin se faisait enfin sombre, j’ai sorti Frampton Comes Alive. J’ai d’abord écouté Show Me The Way sur le CD 1. Puis, sur le CD 2 (ah, retrouver le déplaisir de la manipulation des albums doubles !), Do You Feel Like We Do en réécoutant trois ou quatre fois les six minutes que je préfère. Magnifique. Ignoble. Beurk. Que c’est bon. J’ai quand même demandé à ma femme de m’excuser.

mardi 12 juin 2007

Jean Corti, un aîné dans la jeunesse

Concert de Jean Corti hier soir au Bataclan, avec toute une famille autour de lui. L’évidence de Ma p’tite chanson, jadis Bourvil, joué avec Loïc Lantoine, de l’implacable émotion de Trois petites notes de musique en duo avec Marc Perrone, le public fredonnant tout haut la mélodie de Georges Delerue, de L’Aigle noir de Barbara joué en solo avec toutes les filles de la salle à pleine voix… Vient Olivia Ruiz, qui enquille L’Accordéoniste, Où sont-ils et La Foule, un répertoire déjà classique quand Corti n’avait pas vingt ans – il en a soixante-dix-huit. Ça suit, évidemment, comme une vibration fraternelle et complice, comme si c’était déjà les rappels et l’instant du partage le plus familier. Alors les gamins du parterre rigolent comme des copains de classe quand Christian Olivier s’emmêle dans les paroles de La Javanaise – tout cela, c’est le répertoire au biberon, le socle, le tremplin de tout le reste de l’amour de la chanson.
Christian avoue bien des choses dans les titres joués par Têtes Raides avec Corti : il n’y a pas de rupture, il existe une continuité avec l’accordéoniste de Nanterre passé par Brel. Et cette continuité n’est pas la nationalité et un vague substrat culturel, mais une communauté de formes, d’intentions, de couleur. Gino et Les Vieux, c’est le même bain. D’ailleurs, ils reprennent la valse de Corti dans sa version ralentie avec les paroles de Brel (« La pendule au salon, qui dit oui, qui dit non », un modèle humaniste) puis la lâchent dans sa course originelle, à l’origine écrite pour danser. On y entend une autre humeur, évidemment, mais aussi ce que Brel y a trouvé pour écrire Les Vieux : la mécanique impeccable d’une mélodie ricanante, une joie de carnaval goldonien, quelque chose de James Ensor.
Joie aussi de retrouver Allain Leprest après sa maladie. Une chanson. Et il revient, quelques mots à l’oreille de Corti. Il dit Mec, texte de fraternité et de force, d’amour viril et de douceur musquée, pendant que Corti improvise – un moment très fort, très fervent. Céleste.
Une soirée qui parle de jeunesse, de ce que l’on peut croire les figures éternelles de la jeunesse. Comme le printemps est toujours printemps chez Doisneau, il y a une légèreté éternelle dans le son du chromatique, comme un soleil à travers les feuilles. C’est cela que les gamins aimaient, je crois, hier au Bataclan.

lundi 11 juin 2007

Dédé Saint-Prix et Patrick Saint-Eloi : premier bilan d’une génération antillaise

A quelques jours d’intervalle, je reçois deux disques de musiciens antillais de la même génération, Mélanj du martiniquais Dédé Saint-Prix et Zoukolexion vol. 1 du guadeloupéen Patrick Saint-Eloi – un nouvel album et une compilation augmentée de quelques inédits. Au bout d’une grosse vingtaine d’années de carrière et d’une abondante discographie pour l’un et l’autre, comment ne pas se questionner sur le chemin parcouru par ces quinquagénaires qui seront bientôt dans tous les dictionnaires antillais ?
L’un et l’autre ont su imposer leur singularité, une manière unique d’aborder l’actualité de la musique à partir du bagage ancien. La fascination de Saint-Eloi pour le boléro est peut-être ce qui explique sa trajectoire de zouk-lover, main sur le cœur, sucre dans la voix et solide rythmique dans les hanches. L’inaltérable mémoire rurale et enfantine de Saint-Prix s’entend encore quand il enregistre tout récemment Tay wot (un hommage au quadrille de la Martinique) ou quand il chante les solidarités anciennes (et peut-être un peu fantasmées) de la société martiniquaise. Il est évident que l’intention du passeur de mémoire – et d’orgueil – est plus flagrante chez lui que chez le chanteur guadeloupéen, qui vit ouvertement dans un temps plus séculier même si, comme ses autres camarades de Kassav' (qu’il a quittés il y a cinq ans environ), il a toujours tenu un discours de défense et d’illustration d’une culture autant menacée par l’assimilation que par la paresse.
Mais il faudra bien se demander (par exemple quand sortira le prochain album de Kassav', à l’automne prochain ; j’en ai un peu écouté déjà et j’ai été vraiment impressionné par la vigueur fidèle du groupe) pourquoi s’est instauré ce dernières années un zouk si uniment médiocre et pourquoi on a si peu vu surgir de personnalités capables de traverser l’Atlantique, capables de témoigner d’une culture vraiment située dans le monde, capables de faire entendre une autre combinatoire des traits musicaux créoles. L’approche néo-traditionnelle de Dédé Saint-Prix ou la révolution du zouk à laquelle participe, en première ligne, Patrick Saint-Eloi, sont des moments forts de la culture populaire antillaise – respectivement les postures d’un Alan Stivell ou des Beatles pour la culture française. Et on peut mesurer, titre après titre, sur leurs nouveaux disques, quels en sont les conséquences et les produits : le son, les attitudes, les figures rythmiques, l’engagement de la voix, tout semble là pour ringardiser rétrospectivement la Sélecta et David Martial, Maurice Alcindor et les Gramacks.
Hélas, si l’on perçoit bien ce qu’ils eurent de nouveau, on perçoit mal en quoi ils pourraient être dépassés aujourd’hui. Et c’est un peu ça qui m’inquiète. A part quels noms épars (Soft, Admiral T…), et qui n’ont rien osé basculer de fond en comble, la musique antillaise semble bien encalminée à l’ombre de ces grands maîtres. J’en suis évidemment heureux pour Dédé et Patrick, qui tous deux sont des personnalités attachantes. Mais il y a forcément quelque inquiétude à nourrir quant à la fécondité de la créolité antillaise.

vendredi 8 juin 2007

Paul McCartney : le concert « secret » de l’Electric Ballroom

* C’était donc à Londres, dans une salle que l’histoire a désertée depuis longtemps, l’Electric Ballroom, sorte d’Elysée Montmartre qui se passionnerait pour la bière. Là, Paul McCartney a donné son concert « secret » accompagnant la sortie de Memory Almost Full, son nouvel album. Secret ? Le lieu dévoilé au dernier moment aux seuls invités, 1000 personnes à peine.
Sur scène, le même groupe que pour la tournée américaine et une seule fantaisie, deux lampes « chimiques » des années 70 posées sur le flight case de l’ingénieur du son des retours. Un concert sublime, évidemment, et pas seulement parce que le type sur scène a été présent, à un moment ou un autre, dans la vie et la conscience d’à peu près tous les Occidentaux depuis quarante-cinq ans.
Allez hop, la setlist : 20 chansons en une heure et demi (de 21h40 à 22h10), dont cinq nouvelles (*).

Drive My Car
Only Mama Knows *
Dance Tonight *
C Moon
The Long And Winding Road
I’ll Follow The Sun
Calico Skies
That Was Me *
Blackbird
Here Today
Back in the USSR
Nod Your Head *
House of Wax *
I’ve Got a Feeling
Matchbox
Get Back
Hey Jude
Let It Be
Lady Madonna
I Saw Her Standing There

Des réticences ? On trouvera, si l’on veut être méchant, que The Long and Winding Road, après les grosses mains de Phil Spector, n’a pas mérité les gros bras d’Abraham Laboriel. Ou que le clavier est un peu indiscret, volontiers sans pudeur dans l’interprétation du solo de saxophone de Lady Madonna, des cordes d’Only Mama Knows, des cuivres de C Moon… Voilà.
Pour le reste, cet homme est un rocker énorme : la séquence I’ve Got a Feeling-Matchbox-Get Back va me rester longtemps en tête. Et Calico Skies est une magnifique chanson, entre chant de marin et mélodie élisabéthaine. Et le nouveau titre Nod Your Head fonctionne avec une charmante efficacité qui confirme que, comme au temps de Two Of Us ou Her Majesty, il est capable de développer de splendides objets musicaux dans de très modestes dimensions. Mais ne nous répétons pas : je parle aussi de ce concert dans Le Figaro de demain.

* Depuis combien d’années n’avais-je pas vécu un voyage de presse comme celui-ci ? La première classe et le bel hôtel, l’excellent restaurant d’après concert et la grosse délégation d’Universal, le convoi de monospaces avec chauffeur et les bracelets de plastique – rose avec autographe de McCartney pour le concert, vert pour l’open-bar exotique à la sortie du concert. Ces choses-là qui furent le quotidien de la promo il y a une quinzaine d’années, quand j’ai débuté dans ce secteur, avaient disparu avec la crise du disque. Et puis, là, le miracle du faste retrouvé, de la chaleur entre les gens de la maison de disques au restaurant, pendant notre repas tardif entre Français – et pas seulement à cause du pinot israélien servi avec les sushis, le saté frit et la cuisine thaïlando-british dans un curieux décor mi-Jean Nouvel, mi-Babylone (cela s’appelle le Gilgamesh Bar et c’est surprenant pour qui se souvient qu’on ne trouvait que des fish and chips et un KFC lors des virées d’achats de disques à Camden Market et Camden Lock).
Il est vrai que, pour Universal, le coup est splendide. Depuis les Beatles, McCartney était resté dans le giron d’EMI. Pour cet album, il a signé avec Hear Music, le label des cafés Starbucks, qui ne sont pas assez nombreux en France pour assurer décemment la sortie d’un album, à la différence des Etats-Unis. Il fallait un distributeur et the winner is Mercury, label d’Universal, dont le patron, Sébastien Saussez, m’assure qu’il ne fait « aucun profit » – enfin, rien de significatif par rapport aux albums des artistes sous contrat. Mais, en attendant, il est radieux de jubilation et mérite amplement de porter sa belle veste Galliano, avec dans le dos une couronne impériale de paillettes luisant sur le tissu noir.

* Calogero, qui est venu de Paris pour l’occasion, note que la légendaire basse Höfner de McCartney sonne beaucoup moins nettement que la basse Gibson du musicien qui le remplace quand il est au piano ou à la guitare. Parole de bassiste : « On ne distingue rien de ce qu’il joue avec l’Höfner, ça ronfle, mais c’est une basse tellement agréable à jouer, tellement légère. » Il ne rêve pas de parler à McCartney mais de jouer avec lui : « En plus, il est gaucher, je pourrais prendre ses guitares. » Lumière de gosse en plein fantasme dans les yeux d’un trentenaire déjà amplement servi en gloire. Combien sont-ils, les musiciens qui peuvent ainsi être le Jérusalem du pèlerin ?

* La guerre digitale est-elle officiellement perdue par les défenseurs du droit à l’image le plus étroit ? Dans un événement exclusif comme celle-ci, la demande est évidemment phénoménale et il est impensable d’entraver la circulation de l’image et des extraits sonores arrachés à la sauvette. On aurait demandé à Pierce Brosnan de laisser au vestiaire son téléphone qui peut enregistrer deux minutes de vidéo ? On aurait raccompagné vers la sortie Kate Moss si elle avait sorti un caméscope léger de son sac à main ? Et de manière générale, c’est difficile de regarder une scène aujourd’hui sans avoir dans le champ quelques bras levés avec des téléphones. L’escalade est peut-être dans la contre-attaque : à l’Electric Ballroom hier soir, une dizaine de caméras au moins pour le DVD, des extraits à BBC dès ce matin et sans doute une chanson sur internet bientôt (c’est ce qu’il a expliqué en demandant aux spectateurs de hocher la tête tous ensemble sur Nod Your Head). Corollaires : il va forcément poindre ici ou là l’idée que « voir » le concert sur écran sera plus riche qu’in vivo ; la place du disque dans le paysage et le désir des musiques peut se faire grignoter par un autre angle, mais les majors peuvent encore espérer maitriser cette évolution-là.

jeudi 7 juin 2007

Pierre-Yves Duchesne rêve de remonter « Phi-Phi »

Conversation avec Pierre-Yves Duchesne à propos de son Académie internationale de comédie musicale, qu’il organise sur le principe d’une égale importance de l’enseignement du théâtre, du chant et de la danse – gros emploi du temps pour ses élèves ! Nous en venons à un de mes dadas, à cette légende d’un art inventé à Broadway et Londres et jamais vraiment acclimaté en France. Alors, on parle Messager et école de la mélodie française, Phi- Phi et Dédé, Albert Willemetz et Maurice Yvain, cet art qui a inspiré les Américains des années 30-40. Lui aussi croit en une filiation directe entre Reynaldo Hahn et La Mélodie du bonheur, Maurice Chevalier et Broadway (il y aurait un travail magnifique à faire sur les allers-retours culturels entre les deux rives de l’Atlantique, le jazz qui transforme les années 20 françaises, nos films musicaux et nos chansons qui fascinent Hollywood, le prestige américain qui aveugle la France des années 60, qui finit par laisser pourrir sur pied son opérette, aveuglée par West Side Story…).
Avec Duchesne, on échange des anecdotes, il me colle sur La Diva de l’Empire (Satie ! comment avais-je pu oublier ?), je l’invite à se pencher sur Un soir de réveillon, un des sommets de mon cher Dranem. Il explique combien de ses élèves arrivent avec un répertoire r’n’b et ouvrent des yeux d’extase devant le répertoire français des années 20. Il rêve de remonter Phi-Phi dans une version plus actuelle, resserrée à une heure et quart, avec les gamins de son école. L’an prochain, cela fera quatre-vingt-dix ans que Phi-Phi a été créé et il est sûr – moi aussi – que l’on peut rire encore à la Chanson des petits païens et aux grands délires érotiques de l’ouvrage.
L’époque est propice : on ne va sans doute pas ressusciter Maurice Chevalier et Dranem, mais il y a fort à parier que l’on peut retrouver un jus, un plaisir, une nécessité à toutes ces œuvres-là qui furent si puissantes et si aimées. Il n’est qu’à voir le miracle des mélodies de Fauré, Hahn ou Satie dans D’un siècle à l’autre pour savoir que, en même temps que les frontières de genre, la ligne du temps s’abolit dans les musiques populaires. Un autre bonheur des temps postmodernes, qui peut nous restituer au présent des plaisirs dont nos parents prétendaient qu’ils étaient trop vieux.

mercredi 6 juin 2007

Bombes 2 Bal, Fabulous Trobadors et possibilités de forro

Je les évoquais hier à propos d’une formidable compilation de forro, alors que je devais les voir l’après-midi même. Rencontre avec Lise Arbiol et Aurélie Neuville des Bombes 2 Bal, donc, jeunes femmes qui parlent sainement du rapport des Français au chant et à la danse, et qui travaillent à le transformer. J’aime ces disciples de Claude Sicre pour leur conviction qu’on peut faire danser n’importe quel Français si on lui en propose l’occasion et les pas. Curieusement, elles sont peut-être plus absolument convaincantes dans ce discours de nouvelle pratique musicale et sociale que les Fabulous Trobadors eux-mêmes, avec leurs interventions dans les maisons de retraite, les prisons, les clubs de supporters de rugby. Par la danse, par la démonstration de la fête, elles retissent mieux l’idée d’un folklore que par la seule musique. Essaimeront-elles mieux que les Fabulous, génies du musico-politique à l’audience toujours marginale et contestée, inventeurs d’une forme de proto-rap urbain et poétique dont je suis fan (et propagandiste) depuis une quinzaine d’années sans jamais accrocher la gloire qu’ils méritent ?
Parce que m’a toujours chiffonné la manière dont les intuitions de Sicre, pourtant si lumineuses et si perspicaces (la musique de fonction, l’axe Occitanie-Nordeste, le primat du motif rythmique sur l’harmonie et la mélodie, l’importance de la virtuosité textuelle) peinent à convaincre plus largement. Ce déficit ne concerne pas seulement le grand public, mais aussi bien des confrères, des artistes, des acteurs culturels – comme on dit – pour qui tout cela n’est pas très sérieux, l’accent toulousain, les tambourins, le rapport à un enracinement si ancien…
Aurélie parle d’une musique « d’ici et d’aujourd’hui ». Je ne sais pas pourquoi, on ne peut contester pareille assertion, alors qu’elles sentent sans doute beaucoup plus le village que les Fabulous Trobadors. Et l’âge ou l’ancienneté dans la carrière n’ont rien à y voir : avec les mêmes idées et les mêmes acteurs (Sicre a écrit presque toutes les chansons du nouvel album et a dirigé sa réalisation), les Bombes 2 Bal sonnent plus fermement enracinées et plus universelles à la fois que les Fabulous. Mais n’y a-t-il pas chez ces garçons-là une artistry plus prononcée et plus flagrante que chez leurs petites sœurs, que l’on peut plus facilement classer dans l’activisme social ?
Je sais, cette question-là n’est pas de celles qui taraudent mes concitoyens. Mais elle revient à s’interroger sur la capacité de la musique à fabriquer du politique, à « créer du lien », à convaincre le tissu social. Et la posture de passéisme moderniste (ou de néo-traditionalisme anti-conservateur) de Claude Sicre et de ses camarades des Bombes 2 Bal invite forcément à ces retournements et paradoxes du discours et de la praxis. Donc, pour résumer : on ne danse pas le forro, mais on essaye.

mardi 5 juin 2007

Pourquoi on ne danse pas le forro

Ce n’est pas la première ni la dernière compilation de forro que je reçois. Forro acustico vol. 1, chez Cinq Planètes, n’est pas la moins bonne, tant s’en faut. Pour tout dire, c’est un disque qui emporte vite une généreuse onde de plaisir, qui m’a permis l’autre jour de traverser joliment un après-midi un peu vif au journal – une édition assez lourde à réaliser – tout en provoquant d’amusantes réflexions en tâche de fond sur notre rapport d’Européens à la danse et au plaisir de la sueur.
Le forro, ce sont des danses européennes (le quadrille français et la valse, des musiques allemandes venues avec l’accordéon, des souvenirs espagnols ou italiens épars) posées sur une grosse pulsation bien large (le « pied ») et un second rythme très rapide et saccadé qui à eux deux attestent de la rencontre de l’Afrique et des cultures indiennes d’Amérique. Cette musique, c’est l’histoire et l’esprit du Nordeste, ses généalogies et ses fringales. On pense évidemment au corps survolté de la samba (plus bas dans le Brésil), mais dans une écriture plus sociale – une danse de couple – donc forcément plus ritualisée.
Musique traditionnelle, donc, que l’on m’a confirmée, quand j’étais au Brésil, être une musique menacée. L’Amérique, évidemment, la jeunesse du pays, l’enracinement urbain et – « comme chez vous dans les années 60, monsieur Dicale » – l’érosion générale des structures sociales et culturelles de la société traditionnelle. Eh bien voilà : cette érosion-là s’appelle la liberté. Moi qui aime beaucoup la bourrée telle qu’on la danse à Saint-Chartier, je vois très bien pourquoi ma mère (auvergnate mais citadine) ne l’a jamais dansée : pas à cause du rythme ou de la musique, mais à cause du rang de vieilles du village le long du parquet de bal, à cause des rites crétins qui veulent qu’on ne peut danser deux danses de suite qu’avec son « légitime »… La bourrée, c’était le village et l’assurance d’une vie de village. Ma mère est partie faire des études à Paris et n’a jamais dansé la bourrée.
Alors nous pouvons bien avoir la nostalgie du forro – je veux dire d’un temps de l’humanité dans lequel on danse le forro, avec le corps qui n’est pas tenu par les guindes urbaines et bourgeoises, avec l’expression collective de solidarités sans lesquelles le rythme du bal agonise, avec la liberté d’être un danseur aux virtuosités renommées dans le village ou le quartier… Mais cette nostalgie a quelque chose d’hypocrite, au fond : nous avons construit une société qui peine à accepter les contrôles sociaux et les structures sociales qui font émerger le forro, la bourrée ou le premier musette.
Lorsque nous nous interrogeons sur pourquoi les Nordestins dansent mieux et avec plus de jubilation que les Français, non aimons nous saouler d’âneries comme la nature ou le tempérament brésilien. Non, il existe simplement là-bas un état de la société que nous avons pris grand soin d’éradiquer, un lien social dont nous n’avons plus voulu – et depuis très longtemps. Autrement, ce serait si simple d’acheter un accordéon ou de rejoindre les Bombes 2 Bal en chantant On adore le forro (sur leur album Danse avec ta grand-mère, paru en 2004, le suivant, Bal indigène, vient de sortir). Mais il est si doux de rêver notre pays au bal, sur du forro…

dimanche 3 juin 2007

Claude Lemesle, de Brassens à « Rosalie »

Vendredi soir, Claude Lemesle fêtait ses quarante ans de Sacem. Quarante ans à écrire des chansons, cela fait un songbook dense et forcément varié, du plus tenu au plus débraillé, du plus grave au plus léger. J’aime ces trajectoires enchantées, autant pour là où elles arrivent que pour leur dessin imprévisible. A un moment, sur la scène du Petit Journal Montparnasse, Lemesle a chanté un petit medley de ses œuvres, avec le public aux chœurs : L’Eté indien (Joe Dassin), Je chante avec toi liberté (Nana Mouskouri), Je n’ai pas changé (Julio Iglesias), La Fille aux yeux clairs (Michel Sardou), Ça va pas changer le monde (Joe Dassin bis), Rosalie (Carlos), Désirée (Gilbert Bécaud), Nous (Hervé Vilard), La Fleur aux dents (Joe Dassin ter)… Une belle efficacité et pas seulement par la simplicité des mots tout simples de la variété de grande consommation. Il le rappelait au début de la soirée en lisant des textes de chansons de ses maîtres, tandis que Jean-Louis Foulquier lisait les siens : il a tout commencé par Brel et Brassens. L’entendre dire le texte de Mon enfance, l’entendre dire Stances à un cambrioleur : il a avoué là l’essentiel, l’écriture de Jacques Brel pour le cœur ouvert et l’âme offerte, l’écriture de Georges Brassens pour le lyrisme continu et l’invention résolument libre.
C’est peut-être là un des secrets de la pérennité de certains grands tubes des années 60-70, écrits par des paroliers qui avaient tout appris chez Brassens et Brel avant d’écrire sous les projecteurs de Maritie et Gilbert Carpentier. Un attachement viscéral à la puissance du verbe, à une certaine ébénisterie poétique, même dans les productions « mineures ». Evidemment, Claude Lemesle a écrit des chansons immenses pour Dassin, Reggiani ou d’autres (rien que Salut les amoureux pour – encore – Dassin ou Chanson hypocalorique pour Alice Dona). Mais j’avoue, je suis assez charmé par Rosalie : « Mais qu’est-ce que t’as Doudou dis donc/Doudou amadoue-toi donc/Dédé au dodo c’est bidon/Moi Doudou j’ai tous les dons ». Peu importe la destinée de cette chanson : on est dans le même soin, le même jeu que chez Boby Lapointe, autre brassensiste revendiqué. Voilà un de mes bonheurs avec cette génération-là : avec elle, on trouve partout des pépites de bonheur, au hasard des tubes.

vendredi 1 juin 2007

Marilyn Manson se danse-t-il en tongs ?

Marilyn Manson dans le rock radiophonique, avec l'album Eat Me Drink Me, ce n’est après tout pas plus absurde que Les Chants de Maldoror en livre de poche à la bibliothèque de Sciences-Po – l’apparente contradiction des lieux et des formes au profit d’une synthèse ambiguë. On ne sait plus s’il s’agit d’une déviance ou d’un consensus, d’un sommet de mauvais goût du consommateur ou d’un embourgeoisement de l’œuvre d’art.
Le refrain de Heart Shaped Glasses n’est pas aussi crétin que celui de Radio Ga Ga mais il y a ici une rencontre inattendue (comme « la rencontre fortuite sur la table de dissection d’un parapluie et d’une machine à coudre », justement) entre la manière qu’a Marilyn Manson de volontiers hacher son propos et la séduction qu’exerçait le reggae sur Queen, entre une rythmique venue du fond de la crypte et qui cligne des yeux en plein soleil, et le souvenir que les rythmiques de Queen avaient de Joy Division. Suis-je clair ? Autrement dit, ce titre va se danser dans les boums, si les marchands de singles font bien leur boulot. Une guitare en métal, une batterie bien lourde et pourtant on peut y aller en tongs, sautiller sur place et inventer une chorégraphie bêta avec les copains de plage.
La question n’est même pas de savoir si tout cela est grand public. Après tout, j’évoquais l’autre jour le virage U2esque de Linkin Park avec moins de surprise : Marilyn Manson ne s’est pas assagi ou vendu au marché (je pense que, là-dessus, il ne faut pas espérer qu’il ait jamais été plus proche de Bernard Thibault que d’Alain Madelin), mais il a voulu monter sur l’étagère de ses disques préférés. Il me parlait l’autre jour, quand je l’ai interviewé, des « albums auxquels s’identifier : peut-être Elton John à l’époque Benny & the Jets, Purple Rain, Scary Monsters, l’album blanc… J’ai peut-être essayé de faire un album que j’écouterais. »
Il y a çà et là des intentions Bowie (dans Heart Shaped Glasses, encore, l’écho de China Girl au début de la chanson) et beaucoup de rendus à la Smashing Pumpkins (la chanson Eat Me Drink Me), une parenté franche avec Nirvana sous les oripeaux gothiques (If I Was Your Vampire, qui ouvre l’album), quelque chose de Garbage dans les jeux de contrastes et de menaces (Just A Car Crash Away, une des chansons les plus séduisantes, avec encore une mélodie quasi-bowienne)… La tentation du classicisme, l’ambition de la légende, et peut-être l’assomption finale du mainstream ? Ce disque donne vraiment, et souvent, l’impression de voir en action un savoir-faire, une technique d’écriture, une expérience. Il m’a répondu l’autre jour, avec un bon rire : « J’ai titré une de mes peintures Experience is the Mistress of Fools. C’est un autoportrait. »