vendredi 28 mars 2008

Bertrand Soulier, nouveau styliste

Jolie découverte l’autre soir au Kiron (il y chante jusqu’à samedi), avec Bertrand Soulier. On pouvait en attendre pas mal, avec la sortie ces jours-ci de Discorama, album dense et efficacement varié. Présence encore un peu tendue, mais déjà des partis pris de caractère – çà et là des postures têtues à l’Aznavour, des fragilités d’oiseau engourdi à la Neil Hannon.
On note évidemment le sens de l’ellipse de Vincent Delerm, les insolences de Jeanne Cherhal pour la part la plus contemporaine de son travail, mais aussi l’appartenance à cette sensibilité particulière de la chanson populaire dans laquelle l’expression du sentiment se pousse avec vigueur. C’est ça qui lui fait parfois un débit à la Patrick Bruel, qui jette les mots forts sur de gros accords de piano. Et c’est cela qui renforce cette idée que – chez lui comme chez Brel, par exemple – la chanson n’existe que parce qu’on ne guérit pas de son enfance.La dimension autobiographique de ses chansons pourra peut-être agacer, un jour. Mais il décrit si bien la petite vie d’enfance, la radio du soir ou les fatalités de la solitude…
Comme souvent avec sa génération, on peut tirer sur des fils inattendus, sur des réminiscences imprévues. Dans Robot et con à la fois, il retrouve un lyrisme suspendu entre premier et second degré, comme chez Alain Kan, malgré les calembours (« Je sens que tu t’écartes ma puce »). Et, un peu partout, comme une note filée, une parenté de virtuosité d’expression, d’habileté dans le dévoilement, de limpidité dans la sincérité avec Romain Didier, autre grand styliste de la mélancolie légère.

jeudi 27 mars 2008

Avec Patti Smith dans son expo

Longue conversation avec Patti Smith, mardi matin dans son exposition en cours d’installation, à la Fondation Cartier, en compagnie de ma consœur Farah Nayeri de Bloomberg. Evidemment, la conversation en vient implicitement à l’échelle des valeurs entre ses différentes activités d’artiste et elle s’affirme d’abord écrivain. « J’ai assez étudié, assez travaillé, assez écrit – même de choses inédites – pour que je me dire écrivain. Mais je ne pouvais pas le faire quand j’avais vingt ans. » Poète ? « Se dire poète... J’écris de la poésie. J’en ai publié et il y en a beaucoup qui n’a pas été publiée. Mais je ne me suis pas dédiée, donnée tout entière à la poésie. La poésie est un dur combat. Je ne me dirais pas photographe non plus. Mais je prends des photos. Je ne suis pas techniquement douée. Techniquement, je ne suis pas un grand écrivain, j’ai des problèmes de grammaire, d’orthographe. Je n’écris pas aussi vite que si j’étais techniquement douée. Tout ce que je fais vient d’un combat – à part la scène. »
Les dessins qu’elle expose sont éblouissants, saturés de références, de renvois, de rappels – le trait d’Antonin Artaud et de Henri Michaux, les couleurs de Willem De Kooning… Il y a ce portrait à vingt ans d’elle et Mapplethorpe – « nous étions jeunes, frais, timides, empotés, nous nous découvrions nous-mêmes. »
On regarde peut-être plus une trajectoire qu’une œuvre arrêtée. Les œuvres valent pour leur poids de mémoire, pour leur faculté à garder l’empreinte de l’instant et en même temps à trouver une intemporalité rigoureuse. Elle revendique son ambition d’exemplarité, son désir de donner envie de produire de l’art.
En même temps, elle expose « des objets que je veux partager avec les gens : une carte d’Arthur Rimbaud, une édition originale à compte d’auteur d’Une saison en enfer, des lettres de Robert Mapplethorpe, un dessin de René Daumal – des choses que je possède, précieuses ou humbles. » Et puis une photo qu’elle a prise à Milan de la Cène de Léonard de Vinci face à un calice africain en bois
Le partage, l’échange, une manière d’offrande, quelque chose qui renvoie autant aux poètes anciens qu’aux punks, dans la façon de dire la vie entière comme œuvre revendiquée – ou tout au moins assumée. Peut-être la présence la plus pertinente de l’idéologie punk dans l’institution.

mercredi 26 mars 2008

Martha Wainwright, meilleur titre d’album de la décennie ?

I Know You’re Married But I’ve Got Feelings Too : je me demande si un titre d’album m’a autant fait rire ces derniers temps. Le prochain Martha Wainwright (sortie le 13 mai chez Cooperative Music) est un disque bellement enflammé, et qui ne parle guère que de relations amoureuses. Il y a parfois des élans à la Marianne Faithfull (Comin’ Tonight), des plaintes tout en majuscules à la Tori Amos (In the Middle of the Night), de beaux foisonnements aux formes un peu baroques (So Many Friends, The George Song), une reprise très touchante de See Emily Play (sans la perversité perlée de l’original, avec une sorte de rigueur fourbue, un autre sous-texte que chez Pink Floyd), quelques chauds-froids fervents (Jimi)…
Mais, surtout, ce titre à la fois désespéré et sarcastique, emporté et stupéfait, comme pour se tenir à égale distance du lyrisme et de la légèreté. Un des rires les plus réjouissants de l’époque. Un regard oblique sur la passion et sur l’envie qui sonne comme une critique de la raison amoureuse.

lundi 24 mars 2008

REM et le plafond de verre des Beatles

Conversation vendredi avec REM, ou plutôt trois conversations séparées avec Michael Stipe, Peter Buck et Mike Mills, comme ils le font toujours. On les sent confiants, évidemment, tant Accelerate (qui sort le 1er avril) est un album puissant, fervent, riche de tout ce que l’on espère encore et toujours du rock (« back to the basics ? », demandé-je à Mike Mills, « forward to the basics », répond-il avec un jeu de mots assez signifiant).
Avec Peter Buck, discussion sur la position dans l’histoire. Il fait remarquer que sa génération joue de la musique pour ça : il y a des références, des stars, des admirations et l’on ne fait que s’y mesurer. Mais, surtout, « dans le meilleur des cas, on ne peut être que numéro 2, derrière les Beatles ».
Combien de temps cela durera-t-il ? Maintenant qu’Oasis s’est installé en tête du classement de Q du best Bristish album ever, leur règne peut-il avoir quelque chose de commun avec celui des Beatles, avec la supériorité absolue d’une œuvre et d’une aventure artistique dans l’histoire de la culture occidentale ? Comment faudrait-il faire pour les dépasser ?
La question n’est pas musicale ni même vraiment culturelle. Le statut des Beatles comme origine et sommet de la musique populaire n’est pas une domination objective : en nombre de singles dans les charts, en nombre de citations dans la presse par an, en toutes les quantités possibles, ils sont ou seront dépassés (et peu importe au fond que le mot
beatles dépasse « jesus christ » à google fight, là n’est pas la question). Est-il possible que la référence permanente et ultime aux Beatles soit un jour remplacée par une autre, dans son usage écrasant et consenti ? Un peu comme la Shoah est le joker de toute conversation sur les droits de l’homme, un peu comme « et si on faisait la même chose à ton enfant ? » sert à toutes les conversations sur la peine de mort, les Beatles peuvent clore, annuler ou dévier toute discussion (collective ou intérieure, comme chez Peter Buck les voyant comme plafond de verre de ses ambitions) sur la musique populaire. Est-ce parce qu’ils sont la matrice de ce que nous appelons « succès » de nos jours : la puissance artistique et la réussite commerciale, d’un seul geste ?

jeudi 20 mars 2008

Bashung, le catholicisme, « Les Tontons flingueurs » et Kafka

L’autre jour, au cours de notre longue conversation à partir de l’album Bleu pétrole, dont une partie est parue ce matin dans Le Figaro, j’ai demandé à Bashung comme il se situait par rapport au religieux, entre un Daniel Darc protestant et un Gérard Manset qui incline vers le bouddhisme. Sa réponse :
« Je ne sais pas si on peut dissocier ça de l’enfance. J’ai été élevé dans la religion catholique, j’ai été enfant de chœur. Je me souviens, quand j’étais gamin, que ça me faisait du bien de penser qu’on pouvait croire à cette générosité, à cette espèce d’espoir permanent pour tout le monde. Il doit m’en rester un peu mais c’est dilué.
» J’ai été très déçu par des comportements. On ne peut pas séparer tellement une église de ses représentants : on m’expliquait que sur Terre il y avait des gens de couleurs différentes mais que les Blancs étaient légèrement mieux ; qu’il y avait des religions différentes mais que les catholiques étaient légèrement mieux ; qu’il y a les riches et les pauvres, comme Dieu l’a voulu… Très vite, je me suis dit que si je vivais avec ces choses-là, j’allais crever. A l’âge de dix ans, la ferveur est partie. Comme c’était mes premières années, il reste des idées comme « tu ne tueras point », mais que je n’applique pas comme une religion. D’ailleurs, comme je pensais que, de toute manière, chacune avait certainement quelque chose qui ne me convenait pas, je n’ai pas adhéré à une autre religion.
» J’ai préféré être curieux. Je viens d’un milieu plutôt humble mais je voulais voir ce qui se passait de l’autre côté du populaire. Ça n’avait rien à voir avec le snobisme. Je savais que ça pouvait m’enrichir. Alors j’allais voir Les Tontons flingueurs mais aussi des films dans les cinémas d’art et d’essai. Et j’ai eu très vite besoin des deux – Edith Piaf et Orson Welles. Je me souviens des films de Joseph Losey, comme The Servant. C’était fascinant, il racontait des choses d’une perversité… Des choses dont ne parlait pas dans la vie de tous les jours et dont je me disais qu’elles existaient quelque part.
» J’ai lu Kafka, La Métamorphose, et j’avais l’impression de comprendre d’un seul coup le fonctionnement de la société. Mais on ne s’étendait pas là-dessus à l’école – ça aurait pris trop de temps ou ce n’était pas urgent. On avait plus Chateaubriand ou Flaubert devant les yeux que les œuvres qui tiraient un petit peu vers les âmes sombres et tortueuses. Je me disais qu’il fallait quand même les connaitre, même si on n’est pas d’accord avec certaines attitudes. Je me disais qu’il faut savoir que ça existe, que ce n’est pas parce que la famille vit dans le silence qu’il ne faut pas chercher un peu de documentation. Ce n’était pas par fascination du glauque, mais seulement pour connaitre et avoir une vision plus complète de ce que pouvaient être les autres et moi-même.
» Je découvrais progressivement qu’il y a des tas de choses en nous qui se révèlent de temps en temps, dans certaines situations, et qu’il ne faut pas faire semblant de les ignorer. Je voulais savoir ce qui peut nous passer par la tête, je voulais savoir les nuances. Mais quand j’étais gamin, on était dans des schémas Bien-Mal… On ne parlait pas de toutes les situations intermédiaires, que j’ai découvertes par des films. Je n’avais pas beaucoup de sous et je me débrouillais pour aller dans des petits cinémas. Je ne voyais plus les autres pareils. Je me disais que les amis, la famille, me cachaient des choses. Ce n’était pas une inquiétude de luxe, mais seulement une curiosité.
» Je me suis méfié assez tôt de tout ce qu’on pouvait m’asséner. Les mathématiques, d’accord ; mais on peut discuter de tout le reste. Or à cette époque-là, on n’en discutait pas. C’était comme ça et ça ne devait pas bouger, ce qui me déplaisait profondément. Ce n’était pas la réalité qui me posait des problèmes, c’était les mensonges, les choses occultées. J’aurais pu faire des études pour essayer de comprendre par des livres tous ces fonctionnements. Mais je me suis documenté par le cinéma parce que d’un seul coup il y avait de l’art en plus – des images, des éclairages, une mise en scène qui déjà racontait autant, voire plus, que les dialogues. »

lundi 17 mars 2008

Retrouver Pierre Louki

Défendre Pierre Louki n’a pas toujours été facile. Il disait volontiers qu’il n’avait jamais pris la chanson au sérieux. « Qu'on me dise que je suis un bon chanteur, ça me fait rigoler. Qu'on me dise que je suis un bon auteur, alors là je suis content. C'est un peu ridicule mais, quand je tournais dans les circuits un peu perdus à la campagne, je ne supportais pas qu'on annonce : « et maintenant le chanteur Pierre Louki » – un cabotinage d'auteur, peut-être. »
Et puis une sorte d’anhédonisme professionnel chez un chanteur fou de course à pied. Il m’avait raconté : « Dans les cabarets, j'étais bien vu par les autres artistes : alors que tout le monde se battait pour passer en dernier, moi j'étais volontaire pour passer le premier, pour pouvoir rentrer me coucher et être en forme pour l'entraînement à sept heures. J'ai souvent chanté devant deux ou trois spectateurs... »
A sa mort, fin 2006, nous n’avons pas été nombreux à saluer son départ. Mais j’ai toujours eu une telle tendresse pour le fabuliste, pour le fantaisiste, pour l’oiseau triste, pour l’éternel orphelin riant avec des brins de laine sous une table de cuisine. La rubrique mondaine de la chanson le voyait surtout en ami de Brassens, en dilettante Rive gauche, en auteur mal compris des années 50-60. Je suis convaincu qu’il y a beaucoup plus dans son écriture, voisine de ce que peut dessiner Sempé : une gravité qui cherche à se faire légère, une noirceur si bien ancrée qu’elle sait échapper au sérieux…
Frémeaux sort en DVD son concert de l’Européen en 2004, des concerts qui furent mi-adieux, mi-retrouvailles. Il faut aller y voir, apprendre à s’attacher à une des plumes les plus astucieuses de la chanson française.

vendredi 14 mars 2008

Annie Ebrel et son quartet inattendu

Le destin d’Annie Ebrel a quelque chose d’éminemment romanesque, comme en des temps et des lieux d’avant les certitudes des ambitions et du commerce. La petite fille qui chante en aidant à la ferme de ses parents et le voisin qui lui dit qu’elle pourrait chanter – chanter pour de vrai, chanter pour le fest noz. Et puis Riccardo Del Fra, le jazzman italien qui emporte la femme et la voix dans des audaces neuves, vers des horizons libérés des genres et des encombrantes frontières.
Voici Roudennou, création au disque (ces jours-ci chez Coop Breizh) et sur scène, dans laquelle est chemine avec le percussionniste Bijan Chemirani, le guitariste et clarinettiste Pierrick Hardy et l’harmoniciste Olivier Ker-Ourio. Une musique à la fois hors-sol et sublimement enracinée, une écriture vocale minérale, savante, limpide, inattendue. Un ailleurs ou un ici, un proche ou un lointain, une modernité ou un retour, leur quartet brouille beaucoup de perceptions. Et, à petites touches, il établit la carte d’un territoire possible, entre mélancolies bien sues et lueurs de sentiments inconnus, jazz actuel et tradition assumée jusque dans sa roideur la plus ancienne. Tout l’album flotte entre des valeurs disjointes, des références abracadabrantes (le western, les embruns marins, le divan oriental, le club newyorkais, le festival world, l’éthique du fest noz…), des couleurs toujours plus contrastées mais toujours miraculeusement complémentaires. Brillant, audacieux, rare.

jeudi 13 mars 2008

Raphaël, à propos de deux chansons

Je sais que la Terre est plate sort lundi. Belle facture, belle réalisation. Deux chansons très frappantes, au moins : Concordia, texte de Gérard Manset, Stephan Eicher cosignataire de la musique, une histoire d’aviateur au parfum très années 30 ; et puis Adieu Haïti, qui vient à la même saison que d’autres sur les réfugiés et les émigrants. Outre l’interview parue dans Le Figaro, Raphaël m’a détaillé un peu ces deux chansons.
Concordia : « Il se trouve que j’étais phobique de l’avion et que j’ai appris à piloter pour vaincre ma peur – une manière de se mithridatiser, de soigner le mal par le mal. Je suis encore en formation, j’en suis à 40 ou 45 heures de vol. Un jour, je déjeune avec Manset et je lui dis : « tiens, je reviens d’un vol ». Il me dit : « qu’est-ce que tu fous dans ces 2 Cv volantes, tu es complètement dingue » et on se met à parler de l’Aéropostale, de Kessel, de Saint-Exupéry, de Romain Gary, de tous ces mecs qui étaient pilotes et poètes. Deux heures après, il me rappelle en me disant : « Tiens, j’ai fait une chanson sur l’histoire de Concordia qui est un endroit où Saint-Ex s’est crashé ». C’est vraiment une petite chanson d’aventurier. »
Adieu Haïti : « Je ne sais pas d’où cette chanson m’est venue. J’ai depuis longtemps une fascination pour Haïti. Dans cette île, quelque chose d’enténébré me touche beaucoup. Quand j’étais petit, elle me semblait le centre volcanique de l’Amérique, le vaudou m’intéressait beaucoup en tant que magie adossée au christianisme, j’aimais la dimension très Garcia Marquez de tout ce que je pouvais lire sur l’histoire d’Haïti... Jusqu’au nom de Port-au-Prince qui me faisait rêver. Alors je ne sais plus exactement d’où est partie cette chanson d’un gamin haïtien qui part de son île…

» J’ai fait des chansons sur les sans-papier. Schengen, sur Caravane, est une chanson très claire. Sur Adieu Haïti, c’est un peu la même idée. Les gens ont l’air d’attendre que je fasse un truc ouvertement politique, quelque chose qui fasse ouvertement référence à l’UMP ou au PS, en me disant que ce n’est pas bien de ne pas le faire. Evidemment, mon pote Cali est très engagé. Mais il a toujours été comme ça, il se présentait aux municipales avant de faire de la musique. Qu’on me laisse la liberté de ne pas faire ça. »

mercredi 12 mars 2008

La folie Jacques Bertin

Jacques Bertin n’est pas un garçon de gaietés et de légèretés. Les hasards du rangement des disques fait retrouver Que faire ?, disque enregistré en public pour célébrer quarante ans de chanson, et paru à l’automne dernier (chez Velen). A peu près au même moment, me semble-t-il, était sorti Reviens, Draïssi !, recueil d’écrits sur la chanson, qui disaient l’homme pugnace, pessimiste, virulent.
Il y a quelque chose d’obstinément immobile dans la chanson de Jacques Bertin, une fidélité opiniâtre à des valeurs, à des couleurs, à des intentions qui furent prospères et glorieuses il y a quelques lustres. Les lyrismes à la Ferré-Caussimon, l’ivresse verlainiste, le souvenir des héros de la génération précédente, le souci d’ébénisterie de la langue, la fraternité pour toute plume sachant rimer…
Folie, évidemment, que cette chanson-là aux humeurs noires, rudes, venteuses, aux hauteurs intimidantes, aux raideurs presque moralisantes. Folie commerciale, cela tombe sous le sens. Mais folie aussi que d’offrir ces œuvres raides comme le marbre, et qu’il faut aborder avec un souffle d’oiseau de grand vol. Folie que de faire entendre une chanson si belle.

mardi 11 mars 2008

Magma, à la biblique

Magma a toujours tenu du prodige. Quelque chose de mystique, évidemment, mais aussi une sorte de météorologie, de tectonique, de magie médiévale. Christian Vander n’a d’ailleurs jamais cherché à éviter les rapprochements entre sa musique et l’idée que l’on peut se faire de la liturgie (une liturgie sans véritable dogme, d’ailleurs, une liturgie strictement narrative et presque a-théologique) en truffant ses compositions de psalmodies ou même de déclamations d’essence religieuse. Voici qu’arrive Mythes et légendes, volume IV, DVD enregistré en public en 2005 pendant une série de concerts rétrospectifs. Et, justement, on y trouve l’impressionnant Zëss, grosse demi-heure de récit à la biblique. Puissance qui semble parfois annoncer le black metal (« le chaos des apocalypses où tout retourne au néant », ce genre-là) mais qui est tout à fait raccord avec la génération de Vander, ou tout au moins avec certaines années 60-70 : les mythologies de Druillet, le millénarisme d’Auclair dans Simon du Fleuve (à son propos, une page assez détaillée, mais qui n’ouvre pas le dossier de la contagion vert-brun, dont Auclair fut peut-être, à son corps défendant, un idéologue), peut-être tout aussi directement que John Coltrane lui-même. Ou, dans un autre siècle, les Ecritures démentes du Livre de Mormon, sorte de Bible fantaisie qui annonce Tolkien.
C’est peut-être cela qui fait de la musique de Magma une des musiques les moins abstraites de ce vaste arc des rock et des jazz cherchant à se libérer de la narration ou de la figuration. Une musique sidérante, évidemment, avec son sérieux, sa pompe, son folklore scénique, même. Mais, encore une fois, il y a là des intentions si évidemment démonstratives, si évidemment tendues vers le partage d’une rêverie. Comme si, pour son voyage vers Kobaïa, Vander avait besoin d’être accompagné.

dimanche 9 mars 2008

Victoires de la musique (I) : backstage, un certain bonheur

Soirée des Victoires de la musique. En coulisses, dans le grand backstage provisoire derrière le Zénith, « tout le monde se sent à l’aise, il n’y a pas trop de caméras, pas trop de journalistes », glisse Vincent Delerm, toujours sarcastique quand il est dans ce genre de lieu. Si France 2 seule diffuse la soirée en direct, toutes les autres télés sont admises et traquent la vedette, de préférence quand elle est chargée d’une petite statuette dorée. Deux équipes de reportage se font des politesses à propos de la radieuse Helena Noguerra – « je t’en prie, commence. – Non, toi. » Une autre voudrait bien enregistrer séparément Michael Furnon de Mickey 3D et Babet de Dionysos. « Ben non, on va le faire à deux », tranche Mickey.
Sanseverino est allé s’asseoir dans la salle avec ses deux filles – hors compétition, hors célébration. Vincent Delerm est à peine là : « Je sors de mes cahiers de brouillon, ce n’est pas vraiment la bonne dimension. » La mystérieuse Annie Fargue est venue, en l’absence de Polnareff qui enregistre là-bas aux Amériques.
Nouveauté cette année : les remettants. Créatures somptueuses pour la plupart, qui attirent les caméras et répondent gentiment. Un des rares moments de ce métier où tout le monde est beau, heureux et amical. En fin de soirée, Emily Loizeau, sublime en robe dos nue blanche Kenzo, s’attarde avec Mathias Malzieu de Dionysos (pas de victoire mais comme toujours une performance scénique d’une folle intensité) et Olivia Ruiz. Les patrons de maisons de disques sont même tout joyeux entre eux. Pascal Nègre d’Universal se compte sept victoires, et même « presque huit, puisque Zazie a écrit la chanson de l’année » – Double je, chanté par Christophe Willem et petite consolation pour elle, venue avec cinq nominations et repartie sans aucune Victoire. Là-bas, dans la salle, Abd al Malik a dit au micro, en recevant sa Victoire d’artiste masculin de l’année : « N’ayez plus peur, n’ayez plus peur ». En se serrant, et avec le champagne, personne n’a vraiment peur.

Victoires de la musique (II) : Renan Luce, la belle génération

« Je revois toutes mes rencontres, depuis les petits troquets avec ma guitare. » Renan Luce ne s’encombre pas de grandes phrases singulières après ses deux Victoires, dans la petite pièce à interviews de la salle de presse, dans le backstage du Zénith. Sa gloire, son succès ? « La simplicité, les gens qui ont envie qu’on leur raconte des histoires. » Maintenant ? « Mon seul projet, c’est le prochain disque. J’aurai, plus qu’avec le premier, l’idée en tête de le défendre sur scène. »
Il répète : « Je n’ai jamais eu de problème de liberté artistique. » C’est cela la bonne nouvelle, après tout : une histoire comme la sienne est parfaitement licite, parfaitement dans l’air du temps. Un air de liberté ? C’est un peu l’histoire en filigrane de ces Victoires-là : Abd al Malik qui abat toutes les barrières de genre et de génération pour Gibraltar, Vanessa Paradis qui fait ses disques avec qui bon lui semble…
Il assure que, derrière le Zénith du 24 mai (peut-être doublé le lendemain, murmure-t-on), il ne cèdera à aucune sirène et n’ira pas relever les compteurs et célébrer son surcroit de gloire dans les festivals d’été. Il n’a pas tort : le public est patient. N’a-t-il pas attendu plus d’une saison le disque de Christophe Willem ?

Victoires de la musique (III) : Justice et les premières fois

Petite conversation avec Xavier de Rosnay juste après la victoire de Justice en musique électronique. Surpris ? « Non. On espérait ça. Plus on est outsiders, plus on a de chances de gagner. » Il garde quelque révérence envers David Guetta et Bob Sinclar (« On n’a pas l’aura de cette catégorie-là »), comme s’ils étaient quelque chose de moins que les gros noms du dancefloor. Mais il y a l’ampleur de leur succès, plus rock star que gloire électro : « On a l’impression de faire la pop de 2008. Sans prétention. » Quand je lui fais remarquer qu’ils seront les premiers à jouer trois ans de suite au Printemps de Bourges, il note que « depuis le début, on passe notre temps à faire des premières fois de l’histoire. » La bienheureuse assurance que donne le succès qui comble à pleins bords…
Donc, l’histoire de Daft Punk, bis repetita ? Quelque chose de plus large, peut-être, et de plus générationnel : les gamines qui braillaient au Zénith quand ils y sont passés en novembre, leur rotation démentielle sur myspace et youtube, leur insouciance encore plus flagrante quant au goût de certains de leurs choix… Si Daft Punk serait Bob Dylan, ils seraient Crosby, Stills, Nash & Young – autant de grâce que de noirceur, autant d’optimisme que de souffrance.

Victoires de la musique (IV) : Feist et ses vidéos

Qui ne se délecte de la Victoire du clip pour Feist et son 1, 2, 3, 4, même si c'est sans doute DANCE de Justice que tout le monde attendait ? J'aime bien les déclinaisons successives de ce clip, d'abord youtubé comme des sagouins il y a quelques temps (oh, la qualité du transfert!). Et puis la pub pour l'iPod. Et enfin la merveilleuse parodie-charge contre Apple. A la fin, on ne sait plus quelle version on préfère.

mercredi 5 mars 2008

Une année politique, des chansons politiques

On parle et on va parler partout du retour du politique dans la chanson française, cette saison. Le calendrier n’a pas aidé : les albums de début 2008 ont été enregistrés au second semestre 2007, donc grosso modo écrits pendant le premier semestre 2007. A ce moment-là, on n’a guère parlé que de sujets politiques, qui ont obsédé toute la France (85% de participation à la présidentielle). Quoi d’étonnant à ce que remontent à la surface des thèmes de campagne ?
La chanson Aller sans retour sur le dernier album de Juliette, African Tour sur le prochain Cabrel, Mon Haïti sur le Raphaël : on n’oublie pas que ce monde est dessiné par les routes des migrants, par les désespoirs des pauvres, par leur rêve d’une prospérité barricadée qui se refuse de plus en plus. L’autre jour, Cabrel m’assurait qu’il n’y avait rien dans sa chanson contre les récentes lois françaises sur l’immigration. Mais on a fini par en parler, évidemment : il y a une colère sous les compassions de ces chansons-là.
Raphaël, lorsque je l’ai rencontré, la semaine dernière, m’a bien semblé se débattre contre l’idée que son disque puisse être politique : l’apolitisme est un credo solide, mais pas spécifiquement de droite, contrairement aux certitudes de la critique seventies. Mais le pli de saison est pris. On devine partout la politique, on l’espère, on la sollicite. Comment décrypter les nouvelles chansons de Bashung, comment écouter même une ou deux chansons de l’album d’Isabelle Boulay ?
Après des années de silence des chansons, le balancier est dans l’autre sens. Une sorte de climat Cali, vigoureusement « résistant » et éditorialiste ? Mais Raphaël n’avait pas tort, l’autre jour, en me rappelant que Schengen, sur l’album Caravane, était tout aussi politique, sinon plus, que ses chansons nouvelles.

lundi 3 mars 2008

JJ Cale n’était pas un feignant

Je me souviens d’une conversation avec Bruce Springsteen, fin 1998, à la sortie du coffret Tracks. Je lui demandais comment il pouvait arriver que des chansons comme Brothers Under the Bridge soient écartées du tracklisting final d’un album et doivent attendre une publication groupée d’inédits. « C'est moi. Je ne peux rejeter la faute sur mes producteurs. Brothers Under the Bridge convenait bien à l'album The Ghost of Tom Joad mais, sur un album aussi sombre, elle était peut-être au delà du seuil de tolérance. » Je me souviens, à l’époque, avoir repris l’album en question et cherché : Brothers Under the Bridge pouvait tenir facilement un peu n’importe où ; et quant à la noirceur, on n’était pas de toute manière dans un chatoiement de fleurs tropicales…
Même mystère avec Rewind, qui parait fin mars avec quatorze inédits de JJ Cale, des années 70-80 pour l’essentiel. Cela ressemble à un best of, atteint un niveau de best of, va peut-être servir de best of. Il y a tout : la country limite orthodoxe, le rock de feignant, les chansons à rythme lourd, la musique de cabaret américain… Des reprises de Waylon Jennings, de Randy Newman, d’Eric Clapton, de Leon Russell (un casting en forme de manifeste, presque) et dix chansons de lui, comme un éventail de ses manières, de ses genres, de ses inclinations. Et ça finit par tourner à la démonstration presque absurde de choix de production curieux : rien ne sonne ici comme sous le niveau moyen de JJ Cale, et l’on connait un certain nombre de ses chansons très en-deçà de Rewind.
Quand je pense que JJ Cale a si souvent raconté qu’il était trop feignant pour faire des CD plus longs que des 33 tours…