mercredi 22 octobre 2008

Un petit Gardénal

« Moi j'te signale
Que Gardénal
Ne prend pas d'E
Mais n'en prend qu'un
Cachet au moins
N'en prend pas deux
Ça t'calmera »
En relisant ta lettre
, Serge Gainsbourg, 1961

« Quand ça va mal
Je prends du gardénal
Je revends ma bicyclette
Et le soir je la rachète »
Ça va bien, ça va mal
, Pierre Perret, 1962

« Je m'en vais voir les p'tites femmes de Pigalle
C'est mon péché, ma drogue, mon gardénal »
Les P’tites Femmes de Pigalle
, Serge Lama, 1973


« Tu t' souviens à la communale
Quand je m' faisais dispenser d' gym
Et qu'on s'tirait d'ce gardenal
T'étais ma lollypop, mon dream »
Les Ricochets
, Michel Jonasz, 1975

« Je viens de faire une découverte phénoménale
Ce trésor a pour nom le Phénobarbital
Il est de ma famille comme le bel Adénal
Mais je n'abandonne pas ce bon vieux Gardénal
C'est le blues, le blues euphorisant »
Blues euphorisant
, Philippe Chatel, 1976

« Je traîne en souliers bicolores,
Paille et phosphore dans l'eau du port.
C'est une mélancolie banale,
Vodka orange et Gardénal »
J’ai perdu tout ce que j’aimais
, Alain Souchon, 1977

« La nuit prend un goût de gardénal
Quand on aperçoit plus la lueur du phare
Que l'eau entre dans les cales »
Le blues est blanc
, Daniel Balavoine, 1985


« Y'en a même qui jouent femmes libérées
Petit joint et Gardénal qui mélangent vie en rose et image d'Epinal
Qui veulent se faire du bien sans jamais s'faire du mal »
Mademoiselle chante le blues, Patricia Kaas, 1987

« J'attends jeudi comme un toutou sa balle
J'attends jeudi, j'attends jeudi, j'attends
J'attends jeudi comme un anxieux son Gardénal »
Jeudi
, Enzo Enzo, 1997

lundi 20 octobre 2008

Sophie Hunger, c’est pour janvier

Post d’hier, réponse d’aujourd’hui : Sophie Hunger est signée par Universal Jazz et son nouvel album (ai-je déjà dit qu’il est très bien ?) sortira en janvier 2009 en France. Si l’on émet des avis noirâtres sur le flair, l’opportunisme ou la cohérence des labels français, ce ne sera donc pas à cause d’elle.

dimanche 19 octobre 2008

Sophie Hunger, c’est pour quand ?

Eh bien, c’est pour quand, Sophie Hunger ? Il y a plus d’un an et demi, on a commencé à parler d’elle ici ou là, on entendait des chansons superbes sur son Myspace. Après Sketches on Sea, elle vient de sortir Monday’s Ghost, deuxième album tout aussi troublant (quelque part entre Alela Diane et Anja Garbarek, entre une Björk folk et une Joni Mitchell postmoderne). Certes, ce n’est peut-être pas un génie assuré d’entrer dans les dictionnaires à venir, mais c’est un superbe talent d’écriture et une voix vraiment attachante. Dans sa Suisse, la sortie de son album est en soi un événement de business de quelque importance et, sauf erreur ou omission, on ne parle pas encore de son arrivée en France, malgré des concerts ici ou là.
Ne tirons de conclusions abusives, ne sonnons pas le glas, ne crions pas à la fin des temps, mais remarquons que l’on a connu l’industrie du disque française plus prompte à sauter sur le moindre petit talent sans aspérités trop saillantes (c’est son cas) et à la forte puissance émotionnelle. J’espère bien me tromper et recevoir ce matin au courrier le nouveau disque de Sophie Hunger envoyé par un label français, ou recevoir un mail vigoureux me disant « on l’a signé pour la France, le monde et Jupiter il y a un an ». J’espère bien…

Sur les reprises (dans "Musique Info Hebdo")

On me demande pourquoi mes chroniques pour Musique Info Hebdo ne sont pas sur mon blog. Eh bien, pardi, parce qu'elles sont dans Musique Info Hebdo. C'est un excellent journal et il n'est pas compliqué de s'abonner. Mais c'est toujours plus simple d'aller sur une page internet que l'on connait que fouiller dans ses vieux Musique Info Hebdo. Donc je mets en ligne chaque semaine la chronique d'il y a deux semaines. Aujourd'hui, celle du n° 494 du 3 octobre 2008.

Des chansons en copropriété

Mars 2008 : le nouvel album d’Alain Bashung sort avec, notamment, Comme un Lego, longue chanson écrite par Gérard Manset. Mai : Maxime Le Forestier sort l’album Restons amants, dont le titre est aussi celui d’une chanson écrite avec Julien Clerc. Juillet : Carla Bruni sort sur son nouvel album la chanson Déranger les pierres, sur une mélodie de Julien Clerc. Septembre : Julien Clerc sort ses propres versions de Restons amants et de Déranger les pierres, Gérard Manset ouvre son propre disque avec sa version de Comme un Lego.
Echanges ? Retours ? Partages ? Copropriété ? Quand, en 1976, Julien Clerc écrit la musique d’Amis sur un texte de Maxime Le Forestier, la chanson ne parait que sur l’album de ce dernier, même si elle inaugure des décennies d’amitié professionnelle. Il est vrai que les mœurs de la chanson française ne sont plus, à l’époque, au partage, à la prodigalité, au potlatch. Car on se souvient que Charles Trenet laissa Roland Gerbeau enregistrer Douce France puis La Mer avant lui… Et que sa propre version de Y’a d’la joie a mis des décennies à s’imposer face à celle de Maurice Chevalier. Mais, dans les années 50-60, la génération des grands maîtres vit la fin de l’usage qui donnait plusieurs voix à une seule chanson. C’est Serge Gainsbourg essayant de faire entendre sa petite voix derrière Petula Clark en enregistrant sans succès Vilaines filles, mauvais garçons (avec La Javanaise en face B), Catherine Sauvage convaincue de mieux chanter Léo Ferré que Léo Ferré, un critique enjoignant Georges Brassens de ne pas s’obstiner à interpréter des chansons que Patachou défend mieux que lui…
Puis, au nom de la vérité du texte, de la sincérité du propos et de la délectation des droits d’auteur, les chansons deviennent peu à peu des propriétés exclusives, des lieux clos, des espaces que l’on n’imagine plus de partager – le règne des auteurs-compositeurs-interprètes. Seule dérogation, l’exercice de la reprise, cantonné dans les années 90 aux hommages, aux Enfoirés et à « Taratata ». Ces restrictions-là tiennent jusqu’à ces dernières années, pendant lesquelles on confond volontiers « chanson par Tartempion » et « chanson de Tartempion ».
Une nouvelle pratique s’impose aujourd’hui, qui partage entre Le Forestier et Clerc ou entre Bashung et Manset l’usage des chansons (ainsi que leur usufruit). On pourra y voir une autre conséquence de la crise du disque. C’est peut-être aussi, une fois encore, une nouvelle liberté. Ou plutôt, au vu du climat idéologique, un nouveau libéralisme.

vendredi 17 octobre 2008

J'ai encore écrit deux livres (mais je n'étais pas tout seul)

Et voilà que j'ai encore écrit deux livres. Heureusement, je n'ai pas tout fait tout seul. Dans Le Bel Aujourd'hui de la chanson (chez Christian Pirot), je ne parle que de Vincent Delerm, de la manière dont, ici ou là, on a déchiré à belles dents ses chansons, sa personnalité et son univers. Je me suis bien amusé en relisant les critiques de ses disques et la façon dont quelques-uns de mes confrères se sont acharnés à l'assassiner consciencieusement.

Il y a dans ce livre dix autres noms des révolutionnaires et des réformateurs des dernières années (je n'en cite aucun pour ne pas les citer tous) sous la plume d'une belle escouade de mes distingués confrères (je n'en cite aucun parce que mon ego me l'interdit).


Dans Amoureuse et rebelle (chez Textuel), je commente des lettres d'amour d'Edith Piaf, et la manière dont cette correspondance et les chansons qu'elle a écrites s'éclairent mutuellement. Magnifique maquette, matière humaine bouleversante, Piaf étant précédée dans ce livre par Arletty et suivie par Albertine Sarrazin.


Début 2009 viendront mes livres suivants, cette fois-ci écrits tout seul (mais pas toujours).

vendredi 10 octobre 2008

Sur Yves Duteil (dans "Musique Info Hebdo")

On me demande pourquoi mes chroniques pour Musique Info Hebdo ne sont pas sur mon blog. Eh bien, pardi, parce qu'elles sont dans Musique Info Hebdo. C'est un excellent journal et il n'est pas compliqué de s'abonner. Mais c'est toujours plus simple d'aller sur une page internet que l'on connait que fouiller dans ses vieux Musique Info Hebdo. Donc je mets en ligne chaque semaine la chronique d'il y a deux semaines. Aujourd'hui, celle du n° 493 du 26 septembre 2008.

L’image arrêtée d’Yves Duteil

On le savait déjà lorsque le théâtre antique connut ses premières stars (sandales d’or, couronnes de laurier, orgies à l’Uderzo) : la gloire n’est pas toujours une bonne affaire. On lui reproche volontiers son infidélité, ses manières de fille publique, son indécision, sa volatilité. Mais elle sait aussi faire peser de tout son poids sa placidité, sa paresse, son conservatisme, ses paisibles certitudes. On se l’imagine volage comme une pétasse sur HBO ; or elle a plus souvent l’âme d’un pharmacien de province attaché à la Boldoflorine et au tiers payant.
Parlons d’Yves Duteil, qui retrouve la scène ces jours-ci. Il avait beaucoup gardé le silence, hésité, raturé avant de sortir (fr)agiles, bel album écrit avec Art Mengo et paru au printemps dernier, sept ans après son disque précédent. Il est vrai qu’entretemps il avait publié quatre compilations, ce qui ne contribue pas à rafraîchir l’atmosphère, pour peu qu’elle soit encombrée de vieilles vapeurs. Or, c’était le cas : on peut dire qu’Yves Duteil a un problème d’image.
Il a été si caricaturé que sa caricature a fini par prendre lieu et place d’Yves Duteil. Chanteur gnangnan puisque monogame depuis plus de trente ans, chanteur officiel parce que jadis il se battit comme un beau diable pour les quotas, chanteur de droite parce qu’il fut un temps chiraquien… Et il se bat aujourd’hui pour refaire vibrer une image arrêtée – arrêtée malgré les neuves orientations musicales de son nouveau répertoire, arrêtée malgré ses efforts d’explication aux médias, arrêtée malgré tout le chemin parcouru depuis J’ai la guitare qui me démange… On l’écoute avec un sourire attentif, on hoche la tête et on replace Duteil sur l’étagère habituelle – chanteur gnangnan, chanteur officiel, chanteur de droite.
La musique populaire connait bien ces hiatus entre la réalité des artistes et l’immobilité marmoréenne de leur image. On se souvient de la désinvolture de certains médias et des certitudes définitives de certains professionnels lorsque sortit l’album Chambre avec vue d’Henri Salvador en 2000 : rigolo il avait été, rigolo il resterait, rigolo il rentrerait chez lui après le bide programmé d’un album qui ne correspondait pas à son image. Le souvenir de ce triomphe à rebours de toutes les prédictions est finalement consolant : une réputation peut se retourner. Mais, pour que se révèle au grand jour la vérité profonde des goûts de Salvador, il a fallu une patience infinie. Peut-être Yves Duteil parviendra-t-il à résoudre la question avant ses quatre-vingt-trois ans…

jeudi 9 octobre 2008

Anaïs, un univers acide

Quand on a vu arriver Anaïs (ou, du moins, quand elle a explosé à la soirée des victoires de la musique), il y a eu beaucoup de discussions sur le thème « ce n’est pas vraiment une chanteuse, son spectacle est un one-man-show dans lequel elle chante ». Puis il y a eu la première preuve : quand on vend des disques de chansons, et qu’on en vend beaucoup, on est quand même une chanteuse. Maintenant, voici le deuxième disque, Love Album, qui sort le 10 novembre.
Conclusion, après écoute : c’est une chanteuse. Et même assez une chanteuse pour pouvoir déplaire. On va lui reprocher (je sais qui!) son univers narquois, son démontage systématique des mécaniques amoureuses, son air de retourner le quotidien des sentiments pour y traquer les petites obsessions, les petits secrets, les petites hontes communes. J’aime beaucoup ses chansons saignantes sur les faux semblants de la séduction, son Elle sort qu’avec des blacks (férocement incorrect politiquement, tant il va chercher dans le plus enfoui des représentations sexuelles), la simplicité de son travail formel sur les chansons, son univers où même le romantisme prend des saveurs acides très réjouissantes. D’ailleurs, à ce propos, on peut noter la sobriété de la patte de Dan the Automator, producteur de l’album, qui a respecté l’impératif français de voix en avant et parfaitement intelligible.

mercredi 8 octobre 2008

Brassens et Dieu, Brassens et Dieu, Brassens et Dieu...

On dit souvent que personne n'a autant cité Dieu dans ses chansons que Georges Brassens. Ah bon? Et dans quelles chansons?
1952 : Corne d’Aurochs, Le Fossoyeur, La Chasse aux papillons, Le Bricoleur ;
1953 : Brave Margot, Il suffit de passer le pont, P… de toi ;
1954 : Je suis un voyou, La Mauvaise Herbe ;
1956 : Le Nombril des femmes d’agent ;
1957 : La Marche nuptiale ;
1958 : Le Vieux Léon, La Femme d’Hector, La Ronde des jurons ;
1960 : Embrasse-les tous, L’Orage, Le Mécréant ;
1962 : La Ballade des cimetières, Dans l’eau de la claire fontaine ;
1965 : Saturne, Le Petit Joueur de fluteau, Le Grand Pan, Les Deux Oncles ;
1966 : Jeanne, La Fessée, Le Grand Chêne, Le Moyenâgeux, Le Pluriel, Les Amours d’antan ;
1969 : La Religieuse, Misogynie à part ;
1970 : Jean rentre au village ;
1972 : Mourir pour des idées, La Princesse et le Croque-notes, La Ballade des gens qui sont nés quelque part, Fernande ;
1976 : Lèche-cocu, Mélanie, Tempête dans un bénitier, Trompe la mort, Le Boulevard du temps qui passe ;
1979 : Elégie à un rat de cave ;
chansons posthumes ou chansons sans musique : Dieu s’il existe, Clairette et la fourmi, Quand les cons sont braves, Le Passéiste, Le Vieux Normand, Les Bacchantes, Le Mécréant repenti, Le Mérinos, Le Myosotis, Le Petit-fils d’Œdipe , Honte à qui peut chanter, Il n’a pas eu la chaude-pisse, L’Antéchrist, L’Auberge du Bon Dieu, L’Enterrement de Paul Fort, La Légion d’honneur, S’faire enculer, Le Pince-fesses, Le Sceptique, Les enfants qui chapardent des crânes terreux, Les Illusions perdues.

mardi 7 octobre 2008

Erik Truffaz, carnet de voyages

Les jazzmen ont toujours enregistré plus vite que les autres, et donc un peu plus, beaucoup plus, diablement plus. Le marché va mal ? Pas grave, Erik Truffaz sort, le 3 novembre, trois albums d’un coup, reprenant l’idée du carnet de voyages, du scrapbook, de la liberté de musicien en mouvement. Paris, Mexico et Benares, avec à chaque fois des intervenants différents.
Pour Paris, Truffaz est avec Sly « The Mic Buddha » Johnson. Quelque chose frétille, en ce qui concerne un des plus effarants vocalises d’ici. L’autre jour, j’écoutais un titre de sa rencontre récente avec Lucky Peterson et son énorme abattage de chanteur soul (aussi un projet à sortir), j’entends ici et là parler de dix de ses projets. Avec Truffaz, on ne sait pas qui emmène l’autre en plus de liberté, qui retient l’attelage au ras du précipice, qui relance le mouvement quand ils s’arrêtent devant leur grand miroir…
Truffaz est très électro dans la rencontre avec Murcof pour Mexico, raisonnablement fusion avec deux musiciens indiens et le pianiste Malcolm Braff dans Benares. Cela dessine une sorte d’éthique du dialogue, parfois réduite a minima et parfois extrêmement casuiste, à mesure que la musique se fait profuse, généreuse, ambitieuse, touffue, féconde.

lundi 6 octobre 2008

Jean-Louis Murat, le folk et l’élégie

Enfin, Murat en solo. Je vais prendre un son à l’Européen, dimanche soir. Apparat minimal, évidemment. Une table pour les harmonicas, le gobelet et la bouteille. Une douze cordes, quelques pédales.
Il est curieux qu’il y vienne si tard, finalement, après toutes ces tournées dans lesquelles il jouait souvent seul aux rappels. Et si tard après Dominique A, qui s’était imposé l’ordalie du solo pour réinventer une envie, une grâce, une lisibilité.
Il est beau et juste dans cette liberté d’étaler, de détourner, de rétracter, de déployer les chansons. De les interrompre, aussi, quand un spectateur éternue dans le quasi-silence entre deux chansons.
Les chansons sont rhabillées d’espace et de lenteur, ouvrent de grands plans contemplatifs, mais aussi des turbulences nouvelles, comme une intro très énergique et presque égotiste pour Ne pleure pas caillou, ou son insistance pour que le public l’accompagne aux refrains de L’Au-delà. Et des surprises dévoilées, comme les accents maliens dans la guitare et même dans le chant du refrain de Taormina. On découvre que, sous le folk, il y a encore l’autre siècle, plus flagrant que jamais, comme si la houle disciplinée de l’élégie se revanchait encore et toujours sous la forme moderne et instinctive.
Curieusement, tout cela est superbement familier alors qu’assez neuf (son septième concert en solo, me dit la fidèle Marie Audigier), comme si cette révélation du Murat solitaire était seulement arrivée avec retard, avait seulement été différée jusqu'à présent.

samedi 4 octobre 2008

Sur Thomas Fersen (dans "Musique Info Hebdo")

Je me fais engueuler depuis quelques semaines: pourquoi mes chroniques pour Musique Info Hebdo ne sont-elles pas sur mon blog? Eh bien, pardi, parce qu'elles sont dans Musique Info Hebdo. C'est un excellent journal et il n'est pas compliqué de s'abonner. En même temps, c'est toujours plus simple d'aller sur une page internet que l'on connait que fouiller dans ses vieux Musique Info Hebdo. Donc je mets en ligne chaque semaine la chronique d'il y a deux semaines. Aujourd'hui, celle du n° 492 du 19 septembre 2008.

Thomas Fersen et le mythe du chanteur

On connait l’histoire d’Yves Montand qui refuse à Charles Aznavour sa chanson Je m’voyais déjà, au prétexte que « les chansons de métier, ça ne marche jamais ». Créée à l’Alhambra en décembre 1960, symbole du triomphe qui installe définitivement Aznavour dans les sommets de la chanson française tout en tendant le miroir à tout le show biz – « Je m'voyais déjà en haut de l'affiche/En dix fois plus gros que n'importe qui mon nom s'étalait ». Souvent, depuis les années 60, les chanteurs ont ensuite raconté les affres de la chanson qui se refuse (Ma douzième et Une chanson me manquait d’Anne Sylvestre, Pourquoi d’abord ? de Renaud, Chanson ouverte à mon directeur artistique de Pierre Barouh…) et même, parfois, la vie de tournée (Demain le monde de Patrick Bruel, Dans un camion de Dominique A, Six jours sur la route de Claude François).
Il a beaucoup été écrit que le personnage principal de Trois petits tours, le nouvel album de Thomas Fersen, est sa valise Germaine. Un certain nombre de personnages secondaires gravitent autour d’elle : un douanier et son caniche renifleur, un ukulélé dans son étui, quelques musiciens, un poulet dans une cage à poulet…
Encore une fois avec lui, il s’agit de ré-enchanter le monde, de le séparer de son implacable réalité tangible. Il est parent des réalistes poétiques qui firent dans les années 30 un cinéma français immortel, d’un Robert Doisneau arrachant la splendeur aux rues les plus banales, d’un Nino Rota fabriquant ses éternelles bandes originales sur des débris de mélodies de cirque et des souvenirs disjoints de kiosque à musique du dimanche. Et il raconte drôlement le lot commun de la tournée : le sommeil dans le train avec la tête sur la valise, l’odeur du linge sale, les soupçons systématiques de la Douane qui cherche toujours « la boulette de chmilou » dans les bagages des musiciens, l’engourdissement des voyages en avion…
Au passage, cela révèle beaucoup du rapport au réel de Fersen, beaucoup sur la collision qu’il pratique entre petits faits vrais (il y a vraiment à l’aéroport de Montréal un caniche qui renifle les bagages suspects, comme dans sa chanson Chocolat) et notations nostalgiques fantasmées (le radiocassette…). Et cela nous rappelle combien, génération après génération, le métier de la chanson a fini par devenir un objet familier de la chanson. Et, peu à peu, le chanteur se fait personnage mythique, dérisoire et familier, comme jadis le maçon sur son mur et le poinçonneur de la station des Lilas.

mardi 23 septembre 2008

Monsieur Landru

« Ohé ! Des types comme moi, on n'en fait plus
Oui mais, que ferai-je plus tard si je la tue ?
La brûlerai-je à la Landru ?
Ohé ! Pris du remords des scélérats
J'irai ensuite me dénoncer aux magistrats »
Le Pochard,
Georgius, 1934

« Et le brave homme sourit dans sa barbe
La fillette a le ciel dans les yeux.
Toc toc, quelqu'un frappe à la porte
"Entrez ! s'écrie le grand barbu
- Bonjour, dit l'facteur d'une voix forte
Une lettre pour vous Monsieur Landru !" »
Idylle en forêt,
Francis Blanche, 1955

« Landru, Landru, Landru, vilain barbu
Tu fais peur aux enfants
Tu séduis les mamans
Landru, Landru, ton crâne et ton poil dru
Ont fait tomber bien plus d'un prix d'vertu
C'était, je crois, en mille neuf cent vingt-trois
Que ton procès eut le succès qu'l'on sait
Landru, Landru, dommage qu'elles t'aient cru
Toutes celles qui sous ton toit
Brûlèrent pour toi »
Landru
, Charles Trenet, 1963

« Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte
Qui disait cela
C'est c'que tu n'as ja-
Mais su
Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte
Moi je le sais c'est
Au cours d'son procès
Landru »
Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte
, Serge Gainsbourg, 1963

« Et quand Landru, ce vieux salaud,
Coupa sa femme en p'tits morceaux
Elle lui d'manda dans un sanglot
"Je t'en prie ne me scie pas les os"
Il répondit : "Je fais c'que veux
Car je suis le roi du tango"
(…) C'est le tango de Massy-Palaiseau »
Le Tango de Massy-Palaiseau
, Renaud, 1979

« Après tout, quand on y pense,
Bonaparte et Attila
Ont plus d'morts sur la conscience
Que Landru et Borgia »
Ça n’est pas ce qu’on fait qui compte
, Yves Duteil, 1981

« Vive la barbe et les barbus
Allons au bois monsieur Landru
Envers vous ma confiance est grande »
Il n’est pas de plaisir superflu
, Juliette, 2002

lundi 22 septembre 2008

Yom, clarinette klezmer à suivre

Passé beaucoup de temps, aujourd’hui, à écouter et réécouter le disque de Yom qui paraitra dans un mois, The New King of Kelzmer Clarinet. On ne se lasse jamais des orages délicieux du klezmer, de cette furie savante, instinctive, ivre, insolente, modeste, qui est l’essence d’une de ces musiques-époques comme notre mémoire en connait peu – la musique des lofts pour les jazzeux érudits, le calypso originel ou la biguine de Saint-Pierre pour les vieux créolistes dans mon genre, la très singulière qualité d’accordéon qu’on a joué à la Libération… Donc la musique klezmer, avec tous ses sous-entendus de drame, est une des plus belles joies qu’il soit donné de rencontrer.
Et ce Yom dont je ne sais pas grand-chose est d’abord magnifiquement entouré (dont, au piano,
Denis Cuniot, toujours brillant au-delà de tous les mots). Pour rendre hommage à Naftule Brandstein, il fallait évidemment bomber le torse plus que de raison, surjouer l’épate, exagérer l’exagéré. Et c’est magnifique, d’une santé, d’une verdeur, d’une pétulance délirantes. Yom, en outre, fait entendre un son de clarinette assez singulier, comme éraillé, griffé, la gorge prise. Ce n’en est que plus prenant.

vendredi 19 septembre 2008

Gainsbourg, la Cité et (un peu aussi) moi

Ça y est, c’est très réel, très concret, très précis : je commence le 1er octobre mes cours à la Cité de la musique sur Serge Gainsbourg. J’avais pensé aux chansons à faire écouter, à ce que je vais dire, à la question de mon positionnement dans les querelles gainsburciennes contemporaines (et notamment de savoir si on dit gainsburcien, gainsbourgeois ou gainsbarrien, ce que je tranche en alternant soigneusement les trois adjectifs). Mais je n’avais pas songé à la promo. Et on m’appelle aujourd’hui pour répondre à une interview. Alors, tout soudain, ça devient très sérieux…

jeudi 18 septembre 2008

Julien Clerc-Gérard Manset : une chanson parfaite ?

Après avoir écrit sur des milliers de chansons, je ne sais toujours pas ce qu’est une chanson parfaite. Je dis parfois que c’est une chanson qui vaut mieux que ceux qui l’ont écrite et interprétée. Ce n’est pas très aimable pour les artistes, mais ils ont tous – je crois, je crois – le fantasme à la fois vaniteux et humble de laisser derrière eux des œuvres qui vivront sans eux, après eux.
C’est évident pour No Milk Today ou In the Summertime : qui se souvient d’Herman’s Hermits ou de Mungo Jerry, à part précisément pour No Milk Today ou In the Summertime ? Curieusement, je me sens plus démuni dans le cas des stars, des habitués des sommets, des bonnes maisons. J’ai beau savoir qu’il ne faut prendre l’air trop plouc quand on trouve une pépite dans une mine d’or, mais je ne sais jamais trop comment classer mentalement une chanson qui vient s’ajouter à tout un tas de grandes chansons.
Ainsi, Une petite fée, que j’avais pourtant écoutée en mai en studio, et à laquelle je ne m’habitue toujours pas. Je la redécouvre avec reconnaissance ces jours-ci, puisque l’album Où s’en vont les avions ? vient de sortir, que Julien Clerc est en pleine promo et qu’on se croise plusieurs fois ces jours-ci. Une petite fée, Julien Clerc, donc, et un texte de Gérard Manset. Une chanson semée d’épiphanies sublimes, comme « Un autre matin peut venir/Une petite chose ailée », sur des notes heureuses, la voix doublée sur ces deux vers. Et puis la petite sécheresse de la voix dans les débuts de la chanson, et puis le piano qui rétablit la temporalité de l’univers sensible… Donc, deux minutes simples et étourdissantes, sans importance et très profondes, virtuoses et franches du collier…
Je ne sais d’ailleurs pas quel sera le destin de cette chanson très courte, à la fois folk et mallarméenne. Il n’y a pas de refrain, pas de pont, pas de gimmick soluble en FM. Mais j’ai l’impression heureuse d’avoir une nouvelle fleur au jardin – ce doit être ça, aimer les chansons.

mardi 16 septembre 2008

103 ans après, Dranem prend toujours le thé

Un tube? En ce moment, je ne me lasse pas d'une photoscène d'Alice Guy de 1905 (une caméra qui filme, on enregistre un disque en même temps et on synchronise au doigt mouillé). C'est Dranem dans Five O'Clock Tea. Le voici :

Les paroles ? Voici, d'après la partition éditée par L. Maurel, Aux Répertoires Réunis, 1905, disponible à la Bibliothèque nationale, département de la musique, sous la cote Vm7 121049 (Dranem ne chante que les deux premiers couplets) :

Five O’clock Tea
Simple idylle franco-anglaise
Créée par Tod Cams au Tivoli de Londres
Paroles de Jules Combe, musique de Désiré Berniaux, mouvement de marche moderato

I
L’autre jour le p’tit’ baronne
Miss Thone
D’Charonne
Invita l’milord Jones
A son five o’clock
Vite, il fait son toilette
Liquette
Chaussettes
Et s’rend chez le brunette
Qui dit : vieux loufoc..


Ref. :
Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Nous allons five o’clockter
Si j’vous ai invité
C’est pour gôter mon chaste thé !
Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Nous allons five o’clockter
Il est neuf heures moins l’quart
Mais j’m’en fous, on prendra l’thé tard

II
L’milord pense : elle est chique
Pioudique
Magique
C’est pas d'la crott’ de bique
C’est du mond’ rupin
Alors il dit : baronne
Mignonne
Friponne
J’en pinc’ pour ton personne
Ell’ répond : vieux daim…

Ref. :
Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Nous allons five o’clockter
J’vois qu’vous vous apprêtez
A m’dire des choses crues au thé
Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Puis ajoute sans s’épater
Maint’nant comm’thé, mon vieux
Taisez votr’ gueul’ ça vaudra mieux

III
Dans le nid du princesse :
Caresses
Tendresses
Il goûta les ivresses
De son thé si bon
Mais après le causette
Toilette
Galette
Ell’ lui dit : vieill’ poir’ blette
Pour vous r’mettr’ d’aplomb

Ref. : Vôlez-vô un’tass’ de thé ?
Nous allons five o’clockter
Mais l’milord éreinté
Dit j’vous r’merci’ de votre bon thé !
Ce s’rait du thé mérité
Mais j’peux plus five o’clockter
Dans c’cas vieil amputé
Reprend-ell’ tu n’as qu’à calter !

IV
Après cette aventure
Quelle hure !
Fêlure !
L’milord avait la figure
Comme un vieux chaudron
Il faillit rendre l’âme
Infâme
P’tit’ femme
Et l’docteur avec flamme
Lui dit : mon garçon

Ref. :
Faudra prendre des tass’ de thé !
Vous avez five o’clockté
Mais j’crois qu’en vérité
Vous avez pris de l’impur’thé !
Avouez qu’dans ces tass’s de thé
Vous en aviez un’ sans thé !
Et le moralité
C’est qu’il n’faut pas prendr’ de sal’thé!

lundi 15 septembre 2008

Reprendre encore les Beatles…

Dans le dernier numéro de Mojo, la suite du dossier détaillé sur l’album blanc des Beatles. Et un CD titré The White Album Recovered n° 0000002. D’autres reprises, donc, par des artistes de troisième division, mais la troisième division indé, novatrice ou bien inspirée. On fonce évidemment à la plage 12, Revolution 9 par le trio du pianiste Neil Cowley : une très énergique fantaisie post-Bill Evans sur la rythmique du « number nine, number nine ». On aime la curieuse furie de la version au banjo d’Helter Skelter par Derwood Andrews, le bricolage naïf de Honey Pie par A Cuckoo, la fausse ingénuité vénéneuse de My Brightest Diamond dans Everybody’s Got Something To Hide, Except For Me And My Monkey
Au bout du compte, de relecture radicale en décalages précisément dosés, d’hommages soigneusement dégagés de toute politesse en approches vertueusement contemporaines, on n’a presque pas remarqué le Sexy Sadie de Paul Weller, déjà presque trop classique, trop empesé d’appartenances croisées, quatorze ans après avoir été enregistré – l’ombre portée de Lennon, un pied dans le blues anglais, un pied dans la réappropriation eighties du music-hall américain.
L’enjeu est-il de prouver que l’on reprend mieux les Beatles aujourd’hui que naguère ? Et pourquoi pas, finalement ? Il semble que soit à l’œuvre un processus dialectique qui accentue la fidélité à mesure que s’éloigne la référence, qui affirme la liberté à mesure que s’atténue la timidité devant les maîtres.

vendredi 12 septembre 2008

Carla Bley et sa grosse chose légère

On aime bien Carla Bley, en France. Le personnage a quelque chose d’éminemment attirant, comme un composé de Sonia Rykiel, de Claire Bretécher et d’Agnès Jaoui (la cinéaste ombrageuse, pas la chanteuse). Dans les festivals, elle envoie plein de signaux de reconnaissance à la fois : du jazz très actuel que l’on comprend sans peine, une sorte de féminisme du fait, sans l’aridité des suffragettes…
Appearing Nightly, son nouvel album avec son Remarkable Big Band, est d’une belle tenue de jazz franc. Beaucoup de puissance, beaucoup de charme, beaucoup d’exigence, beaucoup de générosité. Il est d’ailleurs étonnant de parvenir à une si singulière alliance de valeurs et de textures qui n’ont parfois rien à voir ensemble : ici, un peu des facéties héritées des big bands de Dizzy Gillespie, pas loin de l’écriture stravinsko-swing du jazz européen subventionné. On est facilement pris par ses jubilations, par l’inscription très physique du plaisir – quelque chose qui tient de la voltige en camion, du comique en side-car, de la sculpture en fer forgé… Une énorme chose légère, un monument gracile, ça ressemble presque à une leçon de morale.

jeudi 11 septembre 2008

Hector Zazou, un passage chez Dreyer

L'autre soir, après avoir écrit à toute allure la nécrologie d'Hector Zazou pour rfimusique.com, je repensais à mes souvenirs personnels : le concert de Zazou-Bikaye au TGP de Saint-Denis, le concert avec Sandy Dillon au Printemps de Bourges, les semaines d'émerveillement à la sortie de Chansons des mers froides, le spectacle Sahara Blue à La Villette... Il m'avait parlé un jour d'un travail qu'il avait fait sur La Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer. Je ne l'avais jamais vu. Machinalement, j'ai cherché sur le net et voici : quelques minutes du visage si humain de Maria Falconetti, le regard d'Antonin Artaud et la création sonore d'Hector Zazou.

mercredi 10 septembre 2008

Bénabar, un « Infréquentable » très fréquentable

Le 9 septembre au soir, dans un joli lieu sobrement fastueux, on écoutait le prochain Bénabar, Infréquentable. Comme le Vincent Delerm sortira peu après, il y a fort à parier que, fin octobre-début novembre, la conversation bénabaro-delermienne se focalise sur le renouvellement, l’immuabilité, le toujours pareil et le tourne-en-rond. Après tout, Bénabar chante A la campagne, et ça rappelle la chanson Bon anniversaire (il y a des week-ends dans les deux chansons) et aussi L’Itinéraire (il y a des trajets et des copains dans les deux chansons). Mais l’on pourra objecter qu’il ne parle plus vraiment des tracas de trentenaires et qu’il signale avoir bientôt quarante ans dans la chanson Malgré tout (ce sera pour de vrai l’année prochaine). Ça va faire des choses intéressantes à lire et à entendre, je crois.
Donc si l’on prend le large de ces considérations sur la capacité des pommiers à faire des poires, des fraisiers à faire des prunes et de Bénabar à faire du Trust, on se retrouve avec un album de douze titres qui montre une palette légèrement décalée. Un décalage dans les humeurs, peut-être : aucun titre de grosse comédie (même Allez ! sur la dépression d’un pote, use d’une panoplie de ficelles amincies), aucun grand titre réaliste rude (rien à la mesure de Je suis de celles, en tout cas). En revanche, l’écriture est plus droite, les sentiments plus patients, les émotions plus limpides. Il se dégage peu à peu, de disque en disque, une humanité Bénabar aux contours de plus en plus nets : on s’y étonne de la vigueur de nos émotions, on s’y rêve meilleur que l’on est, on se sait dérisoire mais on se veut important…

Il y a quelques chansons très justes et très franches sur ces questions de faux-semblants et d’apparences trompées, dans la gravité (Voir sans être vu, beau jeu de miroirs inversés, dramatique tout ce qu’il faut avec des élans moralistes à la Sardou – pardon si je vexe – quand il chante « je ne reproche rien à personne ») comme dans le sourire (Pas du tout, espèce de forro avec bendir et chœurs à la Bombes 2 Bal). Ces deux chansons-là, d’ailleurs, ont la capacité de devenir énormes, de conquérir les ondes et de gagner les mémoires.
Et c’est peut-être cela qui nous attache tant à Bénabar, comme à la gravité légère de Michel Delpech ou de Joe Dassin : l’idée qu’il nous donne quelques instants rapides de plaisir un peu écervelé, et la manière dont cela tangente les grandesgrossesquestions, dont cela côtoie l’air de rien des abîmes à la Ferré et des vertiges à la Brel. Plus que jamais, d’ailleurs, il y arrive. On va commencer vraiment à se dire qu’il est important.

mardi 9 septembre 2008

Honolulu, Honolulu...

« Ils n'en n'ont pas à Liverpool
A New-York, à Honolulu
De mieux foutue »

Maurice Chevalier, Ah ! si vous connaissiez ma poule, 1938

« Nous nous sommes connus un beau soir dans la rue
Quand vous êtes venue à Honolulu »
Georges Guétary, A Honolulu, 1945

« Voici la danseuse nue
Qui nous vient d'Honolulu »

Jacques Hélian, Le Bal à Doudou, 1948

« L'avion géant a pourfendu
Le monde obscur des lourds nuages
Rio, New York, Honolulu »
Jean Sablon, Ciel de Paris, 1950

« L'accordéon s'est tu
Les oiseaux sont partis
Peut-être pour Honolulu »

Philippe Clay, Bleu blanc rouge, 1958

« Pour un moustique de qualité
A Saint-Tropez, à Honolulu
Tout l'monde, il est gros, tout l'monde il est nu »

Joe Dassin, Le Moustique, 1973

« Honolulu Lulu, ouh qu’as-tu fait
Je traîne avec les loulous
Dans tous les cafés »

David McNeil, Honolulu Lulu, 1975

« J'voudrais te dire des mots silence
Des silences comme on n'en fait plus
Du style vent doux qui se balance
Sur les fonds bleus d'Honolulu »
Isabelle Mayereau, Des mots étranges, 1980

« Amours sans amour
Une fois de plus
A Honolulu
Comme à Singapour »

Jean Ferrat, Chambres d’un moment, 1995

« Ce monsieur n'en peut plus
Le traitement qui convient
Se donne à Honolulu »
Richard Desjardins, Les Bonriens, 1996

« Parce que ces pièces-là, y'en a plus
A moins d'en faire venir de Grèce
Ou du Caire ou d'Honolulu »

Lynda Lemay, L’Incompétence, 1998

« J'veux pas finir ma vie à Honolulu
Chanter comme un oiseau ça n'se fait plus »

M, Belleville rendez-vous, 2003

lundi 8 septembre 2008

Yann-Fañch Kemener goes baroque

Depuis que je l’ai reçu, il y a quelques jours, j’ai du mal à cesser d’écouter un des deux nouveaux disques que sort Yann-Fañch Kemener ce mois-ci (deux albums à la fois, j’aime vraiment cette idée, tous deux déjà téléchargeables et bientôt en CD), Tuchant e erruo an hañv-Bientôt l’été. Avec Aldo Ripoche à la viole, Florence Rouillard au clavecin et Ruth Weber au violon et à l’alto baroque, il a poursuivi sur une piste entrouverte il y a quelques temps déjà en mariant la tradition bretonne et la musique baroque.
Le credo est connu : par le tempérament inégal, par la syntaxe de l’ornementation, par le rapport entre mélodie et accompagnement, il y a plus d’une parenté entre musique baroque telle que pratiquée par la nouvelle orthodoxie du genre (baroqueux et héritiers) et les traditions de l’Europe pré-Bach telles que respectées par des musiciens fidèles à l’idée de vérité des formes. Ce n’est pas vraiment étonnant de trouver Yann-Fañch sur ce terrain. Pour la méthode, d’abord, puisqu’il a toujours été à la recherche de formes neuves, inexplorées, démonstratives d’une réflexion sur la musique bretonne. Pour les couleurs aussi : il y a toujours une sorte de raideur dans ses disques, une sorte de contention qui interdit de croire qu’il jette la musique sur la bande par seul instinct.
Avec cette promenade entre clavecin et voix de lande, entre salon de musique et auberge, il rappelle combien est civilisée sa culture et combien est simple la parole baroque. Tout se rapproche à la fois, formes musicales, langue, mélodie, appareil harmonique, modes du chant… La confluence est flagrante avec
Madame Deshoulières de Jean-Louis Murat, évidemment, comme si vouloir ré-enchanter la musique populaire conduisait facilement à des solutions terriblement proches : une sensualité un peu cérémonieuse, une gravité nouvelle de l’érotique, une distance gracieuse, un sourire d’intelligence.

vendredi 5 septembre 2008

Delermité I : Vincent Delerm toujours au théâtre

Vincent Delerm n’a pas quitté le théâtre. En réécoutant son prochain disque, Quinze chansons (formidable, émouvant, virtuose), je suis encore une fois frappé par l’emploi presque systématique du vocatif. Dans Tous les acteurs s’appellent Terence, par exemple, qui ouvre l’album (arrangements mi-Georges Delerue, mi-George Martin), ce n’est pas un tableau brossé avec l’apparat de l’objectivité. Il s’adresse à une seule personne : « Tous les acteurs s’appellent Terence/Tu vois un peu l’époque, l’ambiance ». Et dans ce récit de tournage, il remet du style indirect : « Dans quarante ans les deuxièmes rôles/Diront « Elle était tellement drôle ».
C’est-à-dire que, non content de mettre une origine à son point de vue (il y a beaucoup de « je » dans son écriture), il formalise aussi l’adresse, la direction du discours. Ce n’est pas une personne qui parle d’une situation, d’un sentiment, d’un personnage, c’est l’enregistrement de dialogues, un théâtre où bruisse une parole d’une vérité intense (sublime parfois, dérisoire parfois, foudroyante parfois).
Rarement ses chansons sont d’un point de vue surplombant, mais s’extirpent du flot de paroles contemporain. C’était La Vipère du Gabon sur le premier album, c’est encore Un temps pour tout, North Avenue, Shea Stadium et quelques autres sur le nouvel album. Des phrases saisies au vol, retranchées du monde pour entrer dans l’art, un peu comme jadis chez Nathalie Sarraute. Une écriture qui, même lorsqu’elle est lyrique, emprunte aux constats du théâtre plus qu’aux romantismes de la chanson. La continuité est parfaite entre ses albums et sa pièce Le Fait d’habiter Bagnolet.
D’ailleurs, cela convient bellement à la technique chantée de Delerm, qui énonce plus qu’il ne projette, qui dévoile plus qu’il ne transfigure, qui dit plus qu’il ne chante.
(Enfin, je ne veux pas dire qu’il ne chante pas. Il n’est pas techniquement de la confrérie de Réda Caire, de Florent Pagny et de Roberto Alagna, mais plutôt de celle de Maurice Chevalier, Serge Gainsbourg et Miossec, pour qui le propos est central dans l’intention.)

jeudi 4 septembre 2008

Les brouillons de Juliette

Juliette, ma chère Juliette, a été pendant quelques saisons une belle voix de radio. Elle est aussi une formidable blagueuse d’elle-même, riant sans relâche de ses chansons et de son public. Elle réunit les deux plaisirs sur son blog, avec une jolie rubrique de podcasts inaugurée cet été. Des digressions, des brouillons, des souvenirs qu’elle fait écouter et commente au micro. Il n’y en a que trois pour l’instant. On attend plus, car c’est bien drôle, bien nécessaire, bien heureux. Espérons qu’avec la rentrée elle s’y remette ardemment et nous serve mille digressions par an (euh, peut-être pas mille, il faut qu’elle écrive et chante, aussi ; une par semaine, alors).
Et il faut se promener aussi sur tout son nouveau blog, plein de choses stimulantes et joyeuses.

mercredi 3 septembre 2008

Petit voyage latinoriental

Retrouvailles avec une compilation Music Rough Guides sortie il y a quelques temps déjà, Latin Arabia. Une série de rumbas, de flamencos, de salsas, de latineries variées du Moyen Orient et du Maghreb. L’Egyptien Amr Diab en pleine mélopée flamenca très gitane et le Turc Omar Faruk Tekbilek dans une inspiration plus Gipsy Kings, le si enjoué et si mélancolique Oran Oran de Maurice El Médioni avec Alfredo Rodriguez
On sait bien les trajets qu’ont pris les musiques, leurs détours et leurs lignes droites. Les GI latinos qui expliquent la rumba au petit Maurice El Médioni qui jusqu’alors ne connait que Charles Trenet, et qui attire dès lors de jeunes gars du raï avec son jeu latin… Les ruses des musiciens accompagnant les danseuses de cabaret pour ne pas être accusés de dénaturer la musique nationale… Et puis les envies de dépaysement, les rencontres de musiciens dans les halls d’aéroport et les coulisses de festivals, les nécessités du commerce de musique…
Latin-Arabia, dit-on en anglais. On devrait dire latinoriental en français. Il se mélange là le commerce le plus cynique et l’aventure la plus sincère. Un des multiples visages de la globalisation, une des couleurs irisées du monde ouvert.

lundi 1 septembre 2008

Amy Winehouse, le prodige par caprice

Le journaliste qui circule depuis des années dans les villages pro des festivals goutait vendredi soir un tableau passionnant avec l’annulation d’Amy Winehouse à Rock en Seine. La rage atterrée de l’équipe du festival, son sentiment de s’être fait rouler dans la farine. Les ricanements pleins de sous-entendus de certains confrères. Le sentiment général d’avoir vu quelqu’un marquer un superbe but contre son camp.
Mais, plus loin, il y a la question de ce que nous allons faire d’Amy Winehouse, la question de son statut dans notre univers artistique dans lequel tout le monde agit dans le même sens (d’ailleurs, les gens de Rock en Seine ne donnaient pas l’impression d’être victimes d’un arnaqueur, mais d’avoir été trahis par un vieux pote). Elle chante, et puis non ; elle fait carrière, et puis non ; elle est une star, et puis non.
Ces attitudes-là, ce n’est pas le destin de Janis Joplin, avec l’overdose qui arrangerait bien les marchands de papier. C’est plus Nina Simone, sublime et suicidaire. C’est plus Camaron de la Isla, génie par intermittence, prodige par caprice. Amy Winehouse est plus de cette tribu, imprévisible et mal civilisée, gratuite et pourtant championne de voltige.
Et, pour s’habituer, pour l’accepter telle qu’elle n’est pas toujours, il faudrait s’affranchir de tout ce qui garantit, justement, la sécurité de nos vies – la constance, le contrat, la fidélité, le souci de ses intérêts propres. Or, elle n’est pas censurée par ce surmoi, par ce contrat social. C’est passionnant, donc, mais harassant.

vendredi 29 août 2008

Une fleur chez Motörhead

La musique de genre a ceci de curieux que l’on n’en attend jamais mieux que ce qu’elle nous a déjà donné. Ainsi le nouveau disque de Motörhead, Motörizer, contient une surprenante pépite et même, sans exagérer le jeu de mots, une jolie petite fleur. Tout est impeccablement metal dans ce disqque, avec ce qu’il faut de tranchant, de cambouis et de mâle abandon au fracas, tout est sans surprise et sans poésie, avec cette sorte de refus obstiné du lâcher-prise qui fait le bon metal (il y aurait à écrire quelque chose sur la contention dans le metal et dans d’autres musiques extrêmes, contention qui cousine avec la maîtrise systématique des musiques traditionnelles, avec leur encadrement rigoureux de la transe et ainsi de suite…).
Et donc, dans cette rectiligne violence rituelle, English Rose, exception mélodique et sentimentale. Oh, ce n’est pas une bluette ! Mais on dirait un Richard Thompson joué metal, une ballade quasi folk jetée dans le grand tonneau à lames de rasoir. Dans ce contexte brutal et complaisant, la chanson n’en prend que plus de valeur.

mercredi 2 juillet 2008

Blue Note, une sorte d'idéal

Doit-on considérer Blue Note comme une exception ou comme un exemple ? Quand les professionnels du disque s’interrogent sur le devenir de l’exploitation de leurs catalogues, le nom du label d’Alfred Lion (« the finest in jazz since 1939 ») arrive toujours dans la conversation. Le dynamisme de ses signatures actuelles (Norah Jones, Robin McKelle, Erik Truffaz, Stefano Di Battista…) est certes troublant, dans le contexte du calvaire d’EMI et de la fragilisation générale de l’économie du jazz. Mais, surtout, on ne cesse d’être effaré par l’actualité de son passé, par la fréquence et la variété des parutions puisant dans les centaines de sessions d’enregistrement couvrant tous les genres, courants et époques de soixante-dix ans de jazz.
Voici que sortent en même temps deux compilations réalisées par des radios parisiennes : TSF explore Blue Note, vol. 3 et Nova explore Blue Note, vol. 1. La FM spécialisée du jazz propose une lecture très homogène, centrée sur le son Blue Note, avec des titres peu connus d’Ike Quebec, Dexter Gordon, Art Blakey, Jackie McLean, etc. L’essentiel de l’album date de la période 1955-65, dans des couleurs très swing, très réverbérées, très shuffle. La sélection de Nova est plus érudite, piochant entre 1957 et 2004 des enregistrements au son plus mat, aux exigences rythmiques plus variées, aux contours plus inattendus – Sabu, Horace Silver, Charlie Hunter avec Mos Def, Michel Legrand travaillant sur une bande de Claude Nougaro, Jason Moran… Les intentions des deux compilations sont différentes. Le disque de TSF convient à un salon d’hôtel, à des fauteuils cossus et à un vieux whisky ; celui de Nova s’accorde mieux à un lounge contemporain et à la fusion food.
Il y a quelques mois était sorti Droppin’ Science, Greatest Samples from the Blue Note Lab, compilation de « dix classiques du catalogue Blue Note utilisés en tant que samples dans des tubes hip hop des années 90 », qui venait elle-même après quelques dizaines d’explorations thématiques ou chromatiques du catalogue – Blue Note successivement street kid, penseur bebop, salsero chatoyant, pimp du premier funk, jazzeux en chemise à carreaux… On y voit le signe de la plasticité et de la générosité du catalogue, mais aussi de sa légitimité. Car, curieusement, ce label aux contours esthétiques assez amples a suscité une mythologie d’excellence « pointue ». Mais cette frénésie compilatrice impose de se demander si cette mythologie n’est pas, aussi, une fabrication idéale.

mercredi 11 juin 2008

De Carla Bruni et d’une certaine épreuve

Voici, c’est fait. Les aventures du nouvel album de Carla Bruni commencent. Nous avons, dans Le Figaro, traité dans les grandes largeurs l’écoute de ce disque qui sortira dans quarante jours. Une anticipation de l’événement que je n’avais jamais pratiquée. Hier, j’ai reçu au courrier le prochain album de Thomas Fersen, qui paraitra le 8 septembre. Je pense que l’on attendra septembre pour en parler.
Point n’est besoin de revenir sur les raisons de cet empressement, de la fascination de la société des médias tout entière dès lors qu’il s’agit de Carla Bruni. Mais comment ne pas être sidéré par la figure impossible que représente une sortie sereine de cet album ?
Comment pourront travailler les radios ? Diffuser une chanson de Carla Bruni passera-t-il pour une prise de position politique, ne pas la diffuser pour une autre position politique ou pour un signe d’apolitisme ? Que signifieront les bonnes critiques du disque ? Et les mauvaises ? Les journalistes musicaux qui n’aimeront pas le disque militeront-ils pour un traitement strictement politico-mondain de l’album ou oseront-ils exprimer leur point de vue malgré la peur d’apparaitre comme animés de mauvaises intentions, et ceux qui l’aimeront seront-ils systématiquement classés comme amis du pouvoir ? Si l’on aime Comme si de rien n’était – c’est mon cas, justement –, devra-t-on présenter comme sauf-conduit les critiques positives que l’on avait faites « avant » ?
Situation inédite pour une artiste, situation inédite pour une personnalité de la sphère du politique, la parution de son disque n’est pas seulement une épreuve pour Carla Bruni. Ce pourrait être aussi une sorte d’ordalie pour les médias français. En effet, saura-t-on scinder l’écoute, comme disent les ingénieurs du son ? Saura-t-on écouter séparément et de deux manières différentes une talentueuse artiste de chanson française et la femme qui a lié son destin au leader et symbole d’une famille politique ? Mais, toutes choses égales par ailleurs, n’est-ce pas une tarte à la crème de la critique littéraire, traitée au moins deux ou trois fois dans chaque trajectoire de khâgneux ? Louis-Ferdinand Céline incarne à l’extrême ce possible dilemme entre l’admiration de l’œuvre et la réprobation de la trajectoire individuelle – mais aussi Sartre, mais aussi Malraux, mais aussi Bossuet. Sans avoir épousé la plus ignoble des causes, mais sans non plus avoir laissé à son époque une œuvre du poids du Voyage au bout de la nuit, Carla Bruni devient elle aussi un sujet de spéculation éthico-artistique. Elle ne sera pas cette année dans les énoncés de sujets du bac littéraire. Mais il y a bien des chances que des candidats la citent.

vendredi 23 mai 2008

A l’Elysée, Céline Dion, Nicolas Sarkozy et Georges Brassens

Au Palais de l’Elysée, hier soir, pour la remise de la Légion d’honneur à Céline Dion. Beaucoup d’émotion, beaucoup de symboles qui se croisent dans le discours de Nicolas Sarkozy et dans le sien. Et en outre, pour un brassensiste maniaque tel que moi, le plaisir d’entendre citer le bon maître dans les ors de la République. Le Président, donc, parle de valeurs auxquelles il tient et qu’il lit dans le parcours de la récipiendaire – le travail, la discipline, la rigueur, surtout la rigueur. Il ajoute : « Le talent sans le travail, ce n’est pas grand chose, Brassens l’avait dit avant moi. »
Trop facile, la colle. L’original n’est pas exactement sur le talent, mais sur « le don », contrairement aux citations approximatives que l’on fait souvent (le front baissé et le rouge aux joues, je dois admettre m’être moi-même trompé récemment). Le texte exact est : « Sans technique, un don n’est rien/Qu’une sale manie ». C’est dans Le mauvais sujet repenti. Reprenons, c’est au deuxième couplet :
« L’avait l’don, c’est vrai, j’en conviens
L’avait l’génie
Mais, sans technique, un don n’est rien
Qu’une sale manie
Certes on ne se fait pas putain
Comme on s’fait nonne
C’est du moins c’qu’on prêche, en latin
A la Sorbonne »
A l’automne 2006, dans le numéro 57 de Chorus-Les Cahiers de la chanson, je notais que ce qui est troublant avec la destinée posthume de Georges Brassens, c’est la façon dont se sont dissipées les brumes soufrées qui longtemps couronnèrent son nom chez les bien-pensants et, pour tout dire, la manière dont le consensus menaçait son œuvre. Nous y voilà : la morale d’un de ses proxénètes citée par la plus haute autorité de l’Etat. Cela va avec Rabelais imposé aux enfants des collèges et avec les affiches de Mai 68 conservées dans les collections nationales, par le glissement irrésistible de la subversion vers la tolérance, de la tolérance vers l’intégration au corpus idéologique admis par tout le corps social.
Cela dit, il reste savoureux que cette morale de marginal (le catéchisme de La Mauvaise Réputation est tout sauf petit-bourgeois, consensuel ou mainstream) vienne à l’appui d’un discours explicitement ancré dans des valeurs franchement affichées à droite. Ses contemporains n’imaginaient pas forcément une telle plasticité de Georges Brassens.

mardi 20 mai 2008

Un passionnant regard sur la romance

Chantons ici les louanges d’Hélène Hazera et de son émission « Chanson Boum » sur France Culture (et pas seulement parce qu’elle m’a gentiment reçu au début de cette saison). Samedi prochain, elle chante la romance dans son incarnation des salons mi-XIXe siècle, avec des romances de Marceline Desbordes-Valmore sur des musiques de Pauline Duchambge.
Hélène cite Jean-Jacques Rousseau qui disait que « la naïveté est le caractère principal de la romance ». C’est une évidence avec cette dizaine de romances chantées par Françoise Masset avec Claude Lavoie au piano : il y a l’évidence mélodique des chansons romantiques à ritournelle, la joliesse systématique de l’écriture poétique…
Un peu comme avec le matériau utilisé pour le disque D'un siècle à l’autre, on entend tout l’apparat de la musique savante en même temps que les splendeurs d’instinct de la chanson. A contrario, l’interprétation de ces romances n’est pas une transposition contemporaine mais bien une recréation de l’interprétation de salon, à la fois noble et proche. Duchambge avec ses compositions très Mendelssohn, Desbordes-Valmore avec son univers de sentiments tout en majuscules mais d’une vérité humaine presque sociologique : l’émission est une heure très belle, avec par surcroit quelques cadeaux superbes, comme Les Roses de Saadi, poème de Desbordes-Valmore dit par Juliette Gréco en 1955.

lundi 19 mai 2008

Julien Clerc et Maxime Le Forestier, amis divergents

Discussion il y a quelques semaines avec Maxime Le Forestier. On en vient à Julien Clerc et aux chansons qu’ils ont écrites ensemble. « Nous sommes capables d’écrire de belles chansons ensemble mais nous sommes rarement d’accord sur la manière de les réaliser. Sur les tempos, les tonalités, on n’est pas d’accord. Mais sur le texte, la musique et l’harmonie, on se rejoint. »
La semaine dernière, Julien Clerc m’invite à écouter quelques chansons de son prochain album, dont Restons amants, qui vient de sortir dans la version de Maxime Le Forestier (c’est même le titre de son album).
Chez Julien Clerc, la chanson est ombreuse, dévoile franchement des douleurs mais se lance très vite dans un espace immense, cumulant le souffle d’Abbey Road et celui de la country music – plage romantique, vaste orchestre et guitare électrique. Une chanson en Technicolor.
Chez Maxime Le Forestier, la voix plus matter of fact n’entraine pas à ce vertige. On est dans un film de Podalydès, à une terrasse de café. Il peut y avoir un 4 x 4, mais pas de chevaux galopant ; une belle auberge normande de week-end mais pas de sanatorium en Suisse. On peut trouver une ligne d’ironie ou de réalisme qu’il n’y a pas chez Julien Clerc. Du même texte, le meilleur romantique français expulse la nuance de demi-cynisme complice que l’on peut lire sous la lettre. Un des meilleurs cours sur la polysémie des chansons que l’on ait pu prendre ces dernières années. Une jolie leçon sur l’amitié et ses heureuses divergences, aussi.

vendredi 16 mai 2008

Jacques Brel, le lyrisme et nous

Au hasard d’une interview télévisée de Jacques Brel revue hier, cette phrase sublime : « Le lyrisme, c’est comme si Jérôme Bosch dessinait pour un quotidien. »
On manque curieusement de lyrisme, dans la chanson de ces derniers temps, alors qu’elle nous sert beaucoup de majuscules. Il manque un peu de souffle, parfois, à des albums qui tout entiers convoquent le cosmos, l’humanité et la grande mécanique du monde. Il manque l’ivresse brélienne de faire vibrer la carcasse tout entière avec un seul vers.
Mais, au fond, n’est-ce pas plutôt la charge qu’il faudrait inverser ? N’est-ce pas plutôt, alors que la chanson et quelques autres arts populaires savent encore être lyriques, les quotidiens qui manquent de Jérôme Bosch ? N’est-ce pas plutôt tout le reste du paysage qui manque de l’enchantement lyrique ?
On pourrait se demander s’il existe encore un lyrisme licite, admissible, vivant. Evidemment, il en reste, et même beaucoup, et même sans convoquer les grosses paluches de bien des artistes. Je me demande seulement s’il s’entend bien. S’il est audible dans le vacarme des comptables, des géomètres et des timides.

mercredi 14 mai 2008

Chanson réaliste et chanson vraie chez Patrice Caratini

Depuis quelques semaines, je n’en finis pas de revenir à De l’amour et du réel, l’album du Caratini Jazz Ensemble sur la chanson réaliste (au Chant du Monde-Harmonia Mundi). Lorsque je l’avais rencontré pour les dix ans de son big band, Patrice Caratini m’avait parlé de ce programme, plongée dans les valeurs et les couleurs de cette chanson qui tendit un miroir sombre à la France pendant quelques dizaines d’années.
Ce qui est passionnant dans ses orchestrations comme dans l’interprétation de la chanteuse Hildegarde Wanzlawe, c’est à quel point l’apparat social de ce répertoire a été gommé. Voix sans accent, sans travail comédien, sans connivence « tripale » avec le public : les chansons se décontextualisent, s’extirpent de l’histoire, se débarbouillent du folklore réaliste, des accords trainants du pavé. Et Caratini les rend à une vision assez strictement musicale, ce qui est après tout le travail du jazz tout entier sur les standards de Broadway ou sur les cantiques. Aussi les proximités sont-elles parfois surprenantes, comme lorsque Hildegarde Wanzlawe chante Du gris sur des arrangements très disjoints de l’orchestre : on croit alors presque à Brigitte Fontaine avec l’Art Ensemble of Chicago.
Donc, cet usage des chansons françaises comme standards, s’il n’est pas en soi une révolution, apporte une fraicheur à l’écoute non seulement de ces chansons-là – La Vipère, Le Train fatal, Les Petits Pavés, Mon légionnaire… – mais aussi à la compréhension de toute la chanson classique. Avec un disque comme celui-là, j’ai l’impression que l’on approche mieux tout ce que l’on connaît de la mélodie et du texte de notre chanson populaire. Le réalisme, le réel, la vérité : tout un système dialectique bien stimulant.

mardi 13 mai 2008

Wendo Kolosoy, une Afrique après l’Afrique et avant l’Afrique

Très beau film de Jacques Sarasin, qui sort en salles cette semaine : On the Rumba River, autour de la personnalité de Wendo Kolosoy, vénérable pionnier de la rumba (débuts en 1936 à l’âge de onze ans, qui nous a été rendu par d’exemplaires album chez Marabi). Images étourdissantes de force, d’énergie et de dureté captées sur le vif. Spectacle toujours étonnant de ce paysage de ruines urbaines perpétuellement rafistolées et perpétuellement délaissées.
La rumba est un objet plus que passionnant, pour un maniaque de mon espèce. L’Afrique et Cuba tout ensemble, les ressources des saxophones apprises dans le jazz américain et dans les fanfares belges, la première électricité dans les guitares… Il faudrait descendre loin dans l’histoire sociale et intime de Kinshasa pour vérifier s’il s’agit d’un temps de créolisation ou simplement de musique néo-traditionnelle. En tout cas, ce qui m’est le plus immédiatement familier dans cette histoire, c’est ce lingala dans lequel toutes les dates surgissent en français, cet emmêlement de langues et de valeurs, d’archaïsmes et d’emprunts parfaitement digérés qui sonne absolument comme outre-mer.
Mais, d’ailleurs, la rumba ne nait-elle pas du moment colonial, du frottement constant d’objets culturels rapprochés par une cohabitation déséquilibrée et polarisée (l’élément européen, ou tout au moins extérieur, plus « civilisé », s’imposant presque en proportion inverse de sa présence dans la population). Les discussions des musiciens sont presque aussi parlantes, de ce point de vue, que la musique elle-même, comme ce joli moment de cantique dans l’orchestre, franchement entre deux mondes. Une Afrique après l’Afrique de la tradition villageoise, une Afrique d’avant les indépendances et la quête de pureté réinventée.


PS. – Une remarque sans importance, mais quand même : il y a quelques années, ce film se serait intitulé Sur le fleuve Rumba. La capitale mondiale de la musique zaïroise se partageait entre Paris et Bruxelles, les financements étaient rares et difficiles mais permettaient à ce genre d’aventure d’exister sans agiter la sébile en globish.

lundi 12 mai 2008

Malavoi, de mieux en mieux

L’histoire de Malavoi est pleine de retrouvailles, d’éclipses, de retours. L’an dernier, Ralph Thamar était de nouveau au micro de Malavoi à la Cigale, et le double CD du concert sort maintenant. La première sensation est que ce nouveau passage par le répertoire enchanté en bonne partie écrit par Paulo Rosine revêt des couleurs assez neuves.
L’âge, l’expérience, le plus vif air de notre temps ? Je ne sais pas. Toujours est-il que l’interprétation s’est affirmée, durcie, étoffée, posée dans des atours moins timides. Timides ? Eh bien, peut-être. A se remémorer les états premiers de La Filo ou de Case à Lucie, on trouve des joliesses et des pastels qui n’ont pas la puissance fiérote qu’on leur entend à la Cigale, maintenant qu’elles ont voyagé, vécu, bourlingué – et porté un peu partout depuis plus de vingt ans l’idée d’une musique antillaise qui ne serait ni doudouiste ni prostituée à un certain commerce. Entretemps, Ralph Thamar comme les chansons ont gagné une singulière énergie, qui dépasse sans doute l’hédonisme ou la seule pulsion de danse.
Alors, peu importent les pains qu’on entend ici ou là dans ce disque live : on peut imaginer que quelques versions de référence y sont gravées.

jeudi 8 mai 2008

Florin Niculescu et les ailes de Stéphane Grappelli

Depuis une dizaine d’années, Florin Niculescu donne ses coups d’archet dans les studios français. Il fait partie des musiciens que l’on appelle dès que l’on a besoin d’entendre une couleur manouche et – disons-le tout net – la mémoire du violon ailé de Stéphane Grappelli. On l’a entendu par exemple sur l’album Studio de Julien Clerc, sur Entre-deux de Patrick Bruel...
Voici Florin Niculescu Plays Stéphane Grappelli, enregistré en quartet avec Christian Escoudé et Marc Fosset en guest stars aux guitares. La première surprise est que ce disque ne soit pas tout entier en robes légères et en effluves de jasmin, en petit vin blanc frais et en soleil de juin. On a même l’impression, sinon d’une gravité, du moins d’une certaine sobriété dans l’expression du sentiment. Et peut-être même que ce sentiment est tout entier sérénité, tranquillité, retenue. Car c’est cela la singularité de Florin : l’absence d’ivresse, comme s’il savait parfaitement ce qui fabrique sa musique et comment elle vient au jour.
On connaît bien des musiciens qui, dans cette esthétique du jazz manouche, s’abandonnent au vertige de jouer comme des mouches excitées. Rien de cela chez lui. Le trait est d’une sûreté, d’une rigueur, d’une précision aussi parfaites que s’il jouait Tea For Two sur partition. Il fait entendre une virtuosité qui n’embarrasse pas de virtuosité, avec un naturel presque distrait. C’est cela qui le distingue de Grappelli lui-même comme des héritiers directs de Grappelli (Didier Lockwood et son tout récent For Stéphane) : il ne s’étonne pas de lui-même. Quand on n’a pas ces ailes-là, on peut trouver inquiétante cette quiétude.

mercredi 7 mai 2008

Le joli blog de Daniel Darc et Berry

On ne cache pas vraiment, ici, le goût et l'admiration de l'on a pour Berry, de même que le tournis d'émotion auxquels invitent le travail et la personnalité de Daniel Darc.
Une tournée commune? Ils partagent un blog délicieux avec beaucoup d'instants touchants.

mardi 6 mai 2008

Portishead, splendeur exacte

La beauté peut s’administrer, apprend-on au concert de Portishead, hier soir au Zénith. S’administrer comme une leçon – souveraine, ex cathedra, exemplaire. S’administrer comme une province conquise par une élite – magnifiquement réglée, délibérée, méthodique.
On avait souvenir d’instants graves aux profondeurs parfois inquiétantes, d’une sorte d’inconfort moderne, d’une pénombre du son et du sens. Il y a dix ans, Portishead avait des couleurs d’antalgique, une sorte de torpeur même dans la violence. Sa musique avait un rendu gourd et grésillant, des mouvements d’algues industrielles, des vertus plus compassionnelles que consolantes. (Un détail : il faudrait méditer un jour sur le dos de ces artistes qui se détournent du public. Réfléchir à la manière dont Beth Gibbons se trouve si souvent dos à la salle, et si différemment de Miles Davis, par exemple.)
Third, on l’a dit, révèle un Portishead vaguement détriphopisé. Moins de compression, plus d’instruments ; moins d’obsession du désamour, des regards plus vastes. Sur scène, donc, la démonstration de maitrise est éblouissante. L’éventail semble à la fois plus large et plus cohérent : ici, un coup de guitare seventies, là un pierrehenrysme ; ici, des pads années 80 dans leur jus d’origine, là une méditation néo-psyché… Les références ne sont jamais les plus fades, les plus communes. Can, Scientist, Terminator X, My Bloody Valentine, mais jamais les valeurs automatiques du commerce.
C’est peut-être cela qui assure une telle tenue à toute cette splendeur : il n’y a chez eux rien de la vanité qu’ont si facilement les grands révolutionnaires, si certains du surgissement qu’ils ne regardent plus les menaces du vide. Gibbons, Barrow et Utley ont toujours une inquiétude, manifestement. Alors, premièrement, ils convoquent toujours des souvenirs intenses, des valeurs qui, sans doute, les intimident (Can, encore une fois ; pas Klaus Schulze). Deuxièmement, ils fignolent, ils détournent l’habitude, ils précisent toujours plus (la fin des chansons, par exemple, toujours écrite, décidée : un accord précis, un silence subit).
Tout alors est phénoménal, avec un son majestueux, une réalisation vidéo impeccable (choix très simples de gros plans de caméras noir et blanc fixes, pas d’esbroufe, pas de grands gestes de l’image), une lisibilité absolue des intentions, une sorte de souveraineté impeccable des chansons sans que jamais elles ne semblent se pousser du col. La mesure parfaite de la puissance et de la nécessité. Une splendeur exacte.

jeudi 1 mai 2008

Gotainer, toujours enfant des sixties

Sautillant, survolté, obsessionnel, Richard Gotainer a bien accompagné nos années 80 et le début des suivantes avec des tubes qui s’enracinaient avec facilité dans la mémoire : fils de pub, c’est l’inventeur de formules sublimement efficaces. Ces dernières années, il a montré un autre talent en maniant l’alexandrin avec faconde dans La Goutte au pépère, génial spectacle en quasi-solo.
Et hop ! Nouvel album, Espèce de bonobo (plus ou moins autoproduit, me semble-t-il), après des années sans nouveautés en studio. Première remarque : les compositions et les arrangements de Michaël Lapie renvoient ouvertement à un autre temps que les années 80 : des couleurs franchement beatlesiennes ici ou là, et même une façon assez seventies de se souvenir du jazz et du cabaret. Cet encyclopédisme est très postmoderne, évidemment, d’une manière qu’il assumait sans doute moins facilement à l’époque de ses 45 tours vendus à la tonne. Naturellement, on tombe sur une rencontre hyper-référencée dans L’Image de toi, composé et joué comme de l’Albin de la Simone – bagages voisins, généalogies comparables malgré la différence d’âge.
Deuxième remarque : le sexe est-il générationnel ? Chez les trentenaires de la nouvelle scène française, on ne peut pas dire que l’on copule massivement. On a couché, on couchera peut-être, on couche même, à l’occasion, mais ce n’est pas vraiment la débauche. En revanche, chez ce garçon né en 1948, le sexe est célébré, clamé, étalé. Comme si les années de liberté sexuelle d’avant sida continuaient ad libitum.
Troisième remarque : la publicité ne s’arrête jamais. Alors qu’arrive la nouvelle chanson télévisée de Gotainer pour Lustucru, son disque contient Belle des Champs : le retour, suite – leste, forcément leste – de sa pub d’il y a vingt-cinq ans. La meilleure version ?

mardi 29 avril 2008

Saez, un jeune homme classique

Il n’y a pas que de l’adolescence mal dégrossie chez Saez, pas uniquement les envols vaniteux d’un jeune cœur qui s’est trop tôt donné des ailes. J’ai souvenir de professionnels adultes qui commentaient sa défection au Printemps de Bourges, il y a quelques années. Il avait prévenu quelques jours plus tôt qu’il ne viendrait pas, puis rappelé en disant qu’il viendrait avec seulement sa guitare… On sentait que le fossé entre les âges peut toujours resurgir, avec toute la morgue et toute la hargne que susciteront toujours les godelureaux chez les mâles bien assis (moi-même, je suis assez souvent parmi ceux-ci, j’avoue).
Donc, on peut prendre son triple CD qui sort ces jours-ci pour une manifestation quasi-acnéique de son âge. Varsovie – L’Alhambra – Paris ne parle que de lui et de sa génération (c’est la même chose). Des récits de voyage, des souvenirs codés, des élans sombres, des sentences définitives (« Non le jour n’est plus le jour quand on n’a plus d’amour » dans Quand on perd son amour), tout cela est sans doute très épris d’absolu, même dans l’expression des ignorances et des incertitudes. Et l’absolu a mauvaise réputation : on devine derrière les gamines anorexiques et les garçons suicidaires, les pactes de mômes et les fugues enfumées.
Mais, curieusement, il me semble entendre là quelque chose de vraiment enraciné. Il y a dans ces presque trois heures de chanson beaucoup de Jacques Brel (celui de La ville s’endormait, de Vieillir, de La, la, la, solaire sous le noir, exalté sa brutalité), pas mal de Léo Ferré (les sentiments très malgré tout de Ton style, la logorrhée insomniaque des années d’après La Mémoire et la Mer) et même de Barbara (Le Mal de vivre, tout le théâtre d’une vie-œuvre fièrement offerte).
L’inspiration semble même parfois directe, sans que l’on ait l’impression de généalogies très complexes : Brel, Ferré, Barbara affleurent franchement, sans que l’on ait l’impression d’un passage par Thiéfaine ou Renaud. Et, en même temps, la parenté avec Cali est assez flagrante, surtout pour ses tentations hymniques. Un jeune homme très classique, finalement.

lundi 28 avril 2008

Les romances de la famille Gado, monuments en voie de disparition

Le label Takamba, créé par le Pôle régional des musiques actuelles de La Réunion, mène depuis des années une politique exemplaire dans l’exploration patrimoniale (pourquoi n’en existe-t-il pas l’équivalent aux Antilles ?). Il y a ces disques impeccables sur Alain Peters, sur l’ile Rodrigues, sur Charlésia des Chagos, sur des noms oubliés de la variété réunionnaise des années 50-70… Son magnifique, livres-disques exemplairement réalisés.
Voici maintenant la famille Gado, dans un répertoire de romances et de maloyas. Les romances rappellent la genèse européenne ancienne d’une bonne part de la culture créole. La Grande Reno, par exemple : « La grande Reno sortie en guerre/En revenant son tripe dans son bras », qui vient directement du « roi Renaud revient de guerre/Portant ses tripes dans ses mains » de la tradition française la plus verticale (trajectoire trouvères-Cora Vaucaire presque directe). Et ici ou là ce qui semble des lambeaux d’autres chansons de la même humeur, puis à la fin de la romance, des paroles adressées par le défunt aux vivants. Evidemment, c’est la même eau que les romances de Rodrigues comme le magnifique Tu as raison Milien (« Tu as raison Milien/Tout mon ami fidèle/Je chante alors adieu/Voici mon seul bonheur/Hélas tu dois partir hélas/Embellirait ma présence/Je vais triste, aimer/Pour faire penser z-à toi »), qui se présente sous la forme de lambeaux épars mais toujours signifiants d’une ou plusieurs sources érodées par le temps.
Débris ou monument ? Toujours la même question, lorsque l’on voit s’évanouir une part de culture, lorsque l’on voit s’interrompre une transmission. Ce que l’on entend dans les collectages Alan Lomax au tout début des années 60 : la fin du créole francophone à Trinidad, le début de la fin de la haute-taille à la Martinique, les dernières romances venues de France chantées à Saint-Barthélémy…
Il y aura quelque chose à écrire sur la figure culturelle populaire métropolitaine (les chants, les danses, les contes, les proverbes) et sa plus ou moins vivace survie en terre créole : sa valeur plus ou moins normative, son rapport à l’autonomie culturelles des populations les plus isolées géographiquement ou socialement, le mystère de la survie du quadrille en Guadeloupe, île pourtant plus rétive au pouvoir central que la Martinique qui a abandonné la haute-taille…

vendredi 25 avril 2008

Printemps de Bourges (XI) : 120 en crête !

Une dernière chose à propos du Printemps de Bourges. Une nouveauté cette année : les scores des sonomètres affichés au vu et au su de tous les spectateurs. Ce n’est pas obligatoire, mais il faut obligatoirement respecter les restrictions de volume sonore : 105 dB en moyenne, 120 dB en crête.
Quand on a connu les volumes sonores en usage au 22 (Germinal, à l’époque), au palais d’Auron ou à la défunte Escale, c’est plutôt reposant. J’ai le souvenir d’avoir eu un peu mal aux oreilles à Headcleaner en 1995, à Mogwai en 1998 ou à Atari Teenage Riot en 1999… Maintenant, le petit écran permet à tout le monde de savoir si on respecte l’ouïe du public. Belle initiative, qui semble admise par tout le monde. Il y avait eu comme ça, au Nouveau Casino à Paris, une mémorable colère sur scène des Anglais d’Add N To X à propos du volume riquiqui qu’on leur permettait.
Plus largement, le 105 de moyenne et les 120 en crête, c’est plutôt une bonne nouvelle esthétique. Certes, on aimait bien croire à des flûtes traversières ou à des anges derrière tout le vacarme de la noisy, mais c’était quand même des sifflements d’oreille. D’ailleurs, que va donner My Bloody Valentine au Zénith avec cette obligation-là ? Oh, le beau défi musical que pose le souci de la santé publique !

lundi 21 avril 2008

Bernard Parmegiani, une musique concrète et heureuse

La musique concrète est certainement une des aventures les plus délectables qui commencent dans les années 50. Une technique qui semble tout entière animée d’un rêve, une manière très poétique de rendre présent le futur… C’est une révolution sans révolte, semble-t-il, une révolution qui ne demande nul tribut de chair et de sang, nulle capitulation de l’adversaire, nul violence faite aux générations précédentes. Non que toute l’affaire fut pacifique (bien au contraire, d’ailleurs, il y a eu des pages écrites, bon Dieu !), mais on sent chez Pierre Schaeffer et ses continuateurs que la première sensation est la jubilation du son, et non le choc des amarres larguées ou du pavé lancé vers le vieux monde.
Plus encore que chez mon cher Pierre Henry (qui est si marqué par les sirènes de la guerre et la poésie menaçante des bruits de maison désertée), on sent cette joie foncière chez Bernard Parmegiani. L’INA, belle maison qui fait bien œuvre de mémoire, édite un coffret de douze CD de ses enregistrements pour le GRM de la Radiodiffusion française (cinquante ans de GRM, quelles folles archives cela doit faire !) entre 1964 et 2007.
Il n’y a que délectation, dans tout cela : la radio, le Stravinsky et l’orchestre s’accordant dans Du pop à l’âne (1969), l’annonce du scratch hip hop dans De natura sonorum (1975), les jeux sur les banalités des presets de synthé dans Exorcisme 3 (1986), des grincements, des chants d’oiseaux, des juxtapositions narquoises… Il semble que, pour ardue que soit parfois la composition, toute cette musique soit un grand jeu de collage, de détournement, de retournement des matières sonores. Revolution 9 sans Yoko Ono, peut-être, ou la grammaire la plus accessible d’une musique qui a souvent servi à la torture auditive, à l’épate des sots, au vertige petit-bourgeois. Beaucoup d’effets en sont devenus familiers, depuis les années 60-70, dans le cinéma, la publicité, la musique populaire même, sous la forme parmegianienne la plus souriante, la plus amicale.
On trouve peu d’humour, pourtant, dans ces heures de musique. Peu d’humour mais une sorte de bénignité inattendue dans ces parages. Entre les plaisanteries des pionniers du Moog et les roideurs de Futuristie, le parcours d’un compositeur généreux – généreux dans un univers si facilement égotiste…

dimanche 20 avril 2008

Printemps de Bourges (X) : Soko, outsider ou buzz ?

Moment joliment irréel avec Soko – gros buzz avant le Printemps, déjà des relations de presse pressantes – que rien ne laissait prévoir en ces termes-là. Un peu nunuche, embarrassée, tendue, sans les censures habituelles de la scène. On rit (on ricane, même) quand elle se plaint de prendre des coups de jus dans le micro.
Des chansons affreusement mal foutues, mal chantées, mal jouées, dont on a l’impression qu’elles ne sont pas sauvées par la sincérité, la spontanéité, la jeunesse de la chanteuse. On ricane encore volontiers sur son hymne au beurre de cacahuète, mais on est soudain saisi par la beauté drue de certaines chansons : une sorte de comptine furieuse pleine d’animaux, la douleur toute nue d’une chanson intitulée I’ll Kill Her, un sorte de valse de marin sur la méchanceté de l’humanité, la dernière chanson qui dit I’ll Never Love You More (que les films de Woody Allen, que jouer du ukulélé avec Paul McCartney, que son Macinstosh…). Alors, on entend une vraie puissance viscérale d’artiste, une inspiration touchante.
Cela et tout le reste (ce qui est affreusement exaspérant, ce qui sonne faux, ce qui révèle beaucoup de complaisance) renvoie évidemment à la longue tradition outsider, devenue maintenant une artistry licite. On peut la prendre pour une petite sœur hilare de Daniel Johnston, la connecter à l’art brut comme à l’intelligence exigeante de Coco Rosie. Dans le public, on grince des dents ou on chavire. Et, surtout, on hésite. Soko quitte la scène en disant qu’elle commence mardi l’enregistrement de son album. Quelque chose commence, donc. C’est peut-être une carrière.

samedi 19 avril 2008

Printemps de Bourges (IX) : Sébastien Tellier, hérétique et relaps

Sébastien Tellier devait donner son concert ce soir tranquillement au 22. Mais entretemps est survenue l’histoire de l’Eurovision, de la polémique sur Divine présenté en anglais au concours. Hier, Christine Albanel, la ministre de la Culture de passage au Printemps de Bourges, fait remarquer que Tokio Hotel montre que l’on peut « gagner en chantant dans sa langue », mais aussi que « Sébastien Tellier est très intéressant » et qu’« on a de vraies chances à l’Eurovision ».
Allons voir. Belle foule bien serrée, qui rappelle une foule semblable en 2003 à la salle de la Cité aux Transmusicales de Rennes. « Concert ridicule de vanité et d’emphase », notais-je à l’époque. Ce fut l’explosion d’une baudruche, l’accablement de la maison de disques dès le lundi suivant au téléphone, un des plus sauvages dégonflages de buzz que j’aie jamais vus. Pourtant, il y a tous ces papiers récents expliquant combien cet homme pratique une pop sublimement inspirée.
Allons voir, donc. Pull bleu ciel sur bedaine, lunettes désespérément polnareffiennes, tignasse à peine plus longue qu’elle n’est éparse. Verre à la main, discours un peu confus, sans doute très personnellement drôle. Deuxième ou troisième titre : Divine avec sa quête de voie lactée. Procol Harum, Aphrodite’s Child, Polnareff en ombre tutélaire, mais sans l’efficacité mélodique des modèles. Un peu la même sensation qu’aux Trans : une tentative d’un orgueil démesuré, une emphase de carton, un personnage d’une vacuité incommodante. C’est raté, terriblement raté.
Ça fait deux fois. On peut ne pas le brûler pour hérésie. Mais hérétique et relaps, je crois que cela n’a jamais été pardonné.

Printemps de Bourges (VIII) : Daniel Darc, heureux

Tout à l’heure, vu quelques chansons du concert de Daniel Darc. Voix un peu raide, avec son insistance terrible, ses mots qui se bousculent. Son débardeur qui dévoile le all-over nihiliste de ses tatouages. Ça me ramène à un joli moment d’une longue interview avec lui, fin janvier dernier (j’en avais tiré un papier dans Le Figaro et un autre dans Chorus-Les Cahiers de la chanson). Je lui avais donc demandé : « la vie est belle ? »
Il avait répondu : « On se débrouille comme on peu. J’essaye de ne plus faire de mal aux gens, ou le moins possible. (Il montre sa bière.) Tu vois, je viens de boire, j’ai encore soif. Après, je n’aurai plus soif, j’espère. Oui, elle est plutôt belle. T’es bien le seul mec à arriver à me faire dire ça. Si je ne me suis pas tué, c’est qu’il y a quand même quelque chose que j’attends, quelque chose que j’aime. Et puis il y a ce truc fou : rencontrer une femme. C’est très bien rendu dans Le Feu follet avec Maurice Ronet. Rencontrer une femme, la trouver jolie, c’est sublime. Et puis une espèce de reconnaissance ; pas envers mes parents, envers là-haut. A la limite, quand j’écris, j’essaie de réparer les saloperies que j’ai faites. Parfois, je reçois des lettres qui me disent « tu m’as sauvé la vie ». Je sais très bien que ce n’est pas vrai. Mais ça me fait plaisir, je me dis qu’il y a un truc que j’ai fait. »