samedi 13 mars 2010

Jean Ferrat, verbatim

J’aimais évidemment Jean Ferrat. Je l’avais plusieurs fois interviewé. Un joli souvenir d’une rencontre de 2003 :

« J’ai souvent traité en chanson des thèmes qui ne sont pas a priori des thèmes de chansons. C’est cela ma caractéristique, je pense. Plus on écrit sur des sujets qu’on peut penser inadaptés à la chanson, plus on est sur la corde raide. C’est terriblement difficile pour ne pas déraper d’un côté ou de l’autre.
Mais souvent vos chansons, même si elles sont très écrites, contiennent des expressions très familières, comme votre fameux Pauvres petits cons...
En effet, je privilégie souvent l’expression qui veut dire quelque chose à un langage extrèmement raffiné. « Pauvres petits cons », c’est une locution courante et il me semble qu’en l’occurrence, elle était particulièrement adaptée.

Vous êtes volontiers satirique...
Oh oui, j’ai fait des chansons satiriques, comme Jeunes imbéciles, sur les révolutionnaires soixante-huitards qui étaient sur les barricades et dont on voit où ils sont maintenant.

Vous n’avez pas aimé les révolutionnaires de mai-68 ?
Mais si, je les aimé, j’étais avec eux ! J’ai occupé Bobino, j’ai été à la Sorbonne... Certes, je n’ai pas été sur les barricades, ce n’était déjà plus de mon âge. Ce qui était touchant, c’est le jaillissement qu’ils ont provoqué à cette époque, qui était une jouvence extraordinaire en même temps que d’une extraordinaire puérilité. Tout d’un coup ils avaient la révélation et personne n’avait rien fait avant eux. Ils découvraient le monde du travail, l’exploitation capitaliste, des vieux qui maintenaient leur châpe de plomb et contre qui personne ne s’était jamais battu ! C’était d’une fraîcheur incroyable et sympathique, mais exaspérante. Ils niaient tous les efforts, toutes les luttes, tous les combats qui avaient eu lieu avant eux et dont ils se foutaient carrément.
On a créé un comité des jeunes de la variété, avec sans arrêt des réunions. On allait dans les usines en grève distraire le peuple en lutte. Ça avait des côtés formidables et des côtés un peu énervants. Comme ça, je suis allé chanter pour les grévistes chez Renault à Billancourt.
Il y avait de tout en 68, et même des « maos » pur jus avec leur livre rouge brandi dans la France profonde – la pensée de Mao dans la Sarthe ! C’était d’une puérilité à vous faire tomber les bras. Mais il y avait quelque chose qui se passait, une certaine France en mouvement. Et il est issu de ce mouvement des choses qui ont changé le visage de la France, surtout dans le domaine des mœurs, mais aussi dans le domaine strictement syndical.
Avant mai 68, on a dit « la France s’ennuie ». Elle s’était réveillée mais elle est vite retombée. Alors je suis parti en voyage aux États-Unis avec Eddie Barclay. Comme je suis très joueur, ça m’a beaucoup plu...


Vous jouez beaucoup ?
Je joue aux cartes - au poker, à la belote, au rami -, aux dames, à la pétanque, à la lyonnaise, à tout ce que vous voulez. Mais le casino m’ennuie un peu. Si j’y joue, c’est au vingt et un.

Avec vos chansons, on vous imaginerait plutôt puritain...
Pas du tout. J’aime rigoler avec les copains, boire un coup, jouer, tout ça...

La chanson est-elle un métier facile ?
Non, ce n’est pas un métier facile. Mais les gens ne savent pas si c’est facile ou pas ; ils reçoivent ce qu’on leur donne. Et, en général, c’est les paillettes. Ils ne voient que des gens joyeux, qui gagnent des sous. Il y a une distorsion terrible dans le public, entre la réalité qu’ils perçoivent à propos de quelques-uns et la vraie condition de tous les autres, de tous les soutiers de la chanson.
Aviez-vous des modèles, à vos débuts ?
Dans les années d’après-guerre, les chansons de Prévert et Kosma. Puis le répertoire que chantait Montand, qui était d’une extrème qualité, et qui m’a beaucoup influencé, non pas tant par son côté social ou politique, mais par la qualité des textes et des musiques dont il arrivait à faire des succès. C’est la démarche que, depuis le début, j’ai essayé de suivre.
Ce qui est pour moi un sujet de satisfaction, c’est d’avoir mis dans la rue des chansons issues de la grande poésie française, en particulier Aragon. Et je l’ai fait à l’encontre de tout ce qu’on me disait et de tout ce qu’on entend encore chez les gens de radio, chez les gens de ce métier dégueulasse, de ces marchands de merde qui tiennent aujourd’hui les propos qu’on me tenait à cette époque : « Oh c’est bien ce que vous faites, c’est beau, mais ça n’intéressera personne. C’est pour un petit cabaret de la rive gauche... » Et moi, j’ai prouvé le contraire. Et ces connards, vous croyez que ça leur a servi de leçon ? Non, on entend la même musique : ça c’est pour les jeunes, ça c’est pour les moins de quinze ans, les jeunes beurs, les jeunes blacks, les jeunes citadins… Mais où sommes-nous ? Enfin, je m’énerve. Des fois, ça déborde ! »

2 commentaires:

jerem a dit…

joli souvenir en effet

gérard a dit…

Bonjour,
Je découvre votre blog, via celui de Fred Hidalgo et je n'ai pas trouvé d'autre moyen de vous contacter que par le lien "commentaire".
Agent du chanteur auteur-compositeur Jean-Pierre REGINAL,(le connaissez-vous ?), je me propose de vous faire parvenir son nouvel album CD "Fragile accalmie" (son 14ème enregistrement dont un 33t chez Gérard Meys), en espérant que vous aurez l'envie de le faire connaitre autour de vous ...
Si cette proposition vous semble "honnête", contactez-moi en me communiquant l'adresse où envoyer le CD.

Bravo pour la qualité (fond et forme) de votre blog et bien cordialement.

Gérard LÔO
06 22 10 49 21
gerardloo@club-internet.fr