jeudi 7 janvier 2010

Johnny Hallyday, notre Babel

Hier soir, j’étais dans l’émission de Guillaume Durand, « L’Objet du scandale », pour un débat (très agréable, au demeurant) autour de Johnny. Est-ce qu’on peut débattre de Johnny ? Ce n’est pas la première fois que je participe à l’exercice (il y avait Véronique Mortaigne qui vient de sortir Johnny le roi caché, Hugues Aufray, Tony Franck, Guy Carlier, Jacques Séguéla) et je suis toujours surpris par la manière dont les désaccords sont plutôt des désaccords ordinaux ou relatifs – il est plus Maurice Chevalier qu’Elvis Presley ou plus Elvis que Momo ; il est plus consensus que rébellion, ou plus rébellion que consensus ; et ainsi de suite…
Sur l’essentiel, tout est acquis, tout est dit, tout est répété. Et il est difficile même d’aborder en profondeur la saturation de l’espace entier par Johnny, l’obsessionnelle intérêt de notre pays pour Johnny, même quand il ne fait rien et même quand il n’est nulle part. Le plus fascinant de l’histoire n’est pas l’unanimité du propos, mais le brouhaha dans lequel il s’exprime. Tous – intellos, droite, gauche, marginaux, mainstream, babyboomers, trentenaires –, tous sont effarés par sa popularité, sa stature, son omniprésence. Et tous l’expriment avec leurs mots, leur sensibilité, leur univers, leur rhétorique. Il en résulte un singulier brouhaha où se croisent non des discours contraires ou même différents, mais mille fois le même discours, diffracté, répercuté, nuancé, individualisé à l’infini. Comme si, en débattant de Johnny, chacun brandissait sa propre identité. Au fond, d’ailleurs, cela ressemble à ce qui est raconté dans Genèse, XI : « Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. (…) Ils se dirent l’un à l’autre : (…) « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre. » Or, en voulant construire cette tour qui dirait l’unité de tous, c’est l’éparpillement des langues et la dispersion des hommes qui survint. Un débat sur Johnny raconte bien cela : même l’admiration commune ne soude pas les paroles.

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