A quoi sert l'ukulélé de Thomas Fersen ?
« Ça fait quelques mois qu’on a commencé cette tournée, Pierre et moi. Et, franchement, on le regrette. Toutes les chansons se ressemblent. » Thomas Fersen joue bien la désinvolture cynique. D’ailleurs, il s’est laissé pousser la barbe.
Avec Pierre Sangra, son guitariste, il était hier au Bataclan. Une drôle d’idée, cette tournée avec presque rien – des ukulélés, deux chaises. On a l’impression, un moment, qu’il manque une flûte de Pan pour faire Quilapayun, qu’on écoute une carte postale polynésienne, que Fersen a fait un vœu ou un pari – du genre de ceux qui envoient pieds nus jusqu’à Saint-Jacques de Compostelle ou en vélo sur les lacets du Mont Ventoux. Mais à quoi ça sert, ces choses-là ? On ne prouve pas grand-chose, après tout : que les chansons peuvent se transposer sur ces instruments sommaires, qu’il y a assez d’expression et d’habileté chez Fersen et son guitariste pour faire sonner une heure et demi de concert sans redite et sans platitude, que le jansénisme est compatible avec le plaisir (et, en creux, que si on s’ennuie à un concert de Joseph Arthur, c’est sans doute que Joseph Arthur est ennuyeux).
En fait, il y a peut-être dans cette histoire assez étonnante (ils ont quand même fait quelques dizaines de concerts, quelques mois après la fin d’une tournée qui était déjà passée partout) une manifestation de gratuité. Non qu’il faille croire que Fersen lutte contre l’ordre ordinaire des choses ou contre la pente habituelle du métier, mais il doit avoir un plaisir phénoménal à faire quelque chose qui n’ajoute rien. Cette tournée, c’est une manière de ne pas écrire l’histoire tout en la vivant, d’être artiste sans produire d’œuvre neuve. Fersen tourne, s’amuse, le public est forcément ravi et il ne restera peut-être de tout cela que quelques bonus sur un DVD, un live disponible uniquement en téléchargement, un cinq titres « Fnac on aime on aide », que sais-je… Ce n’est évidemment pas une date importante dans sa carrière, juste une récréation après des tournées aux arrangements prodigieusement réglés. Ce partage d’un répertoire énorme avec les spectateurs qui font chorale (Monsieur, Louise, Les Papillons, Les Malheurs du lion, Croque, Au Chat Botté, Pièce montée des grands jours, Diane de Poitiers, Saint-Jean-du-Doigt, La Blatte…), sans apprêt, à la bonne franquette, comme à la maison, c’est un délassement autant qu’un prodige. Fersen s’amuse à construire un peu d’incroyable comme les artisans des contes bâtissaient des chefs d’œuvre dans leur arrière-boutique pour les offrir en ex-voto. C’est inutile et merveilleux. Mais le plus délicieux est que le biz d’aujourd’hui (en l’occurrence, c’est encore Astérios, belle maison d’artistes) permette cela, laisse un espace à de telles ruptures du rythmes et des usages de carrière. L’ukulélé de Thomas Fersen, c’est le bel aujourd’hui des artistes libres. Libres jusqu’à titiller l’absurde.
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