Roch Voisine et Thomas Hellman : la bonne question du bilinguisme
Conversation intéressante avec Roch Voisine, backstage au « Fou du Roi », hier. On poursuit sur quelques remarques faites à l’antenne : ici, on ne connaît de lui que ses chansons en français et tous ses disques en anglais sont à peu près inconnus. « C’est tellement d’efforts d’imposer une chanson en français. Alors, faire entendre une chanson en anglais quand les gens vous connaissent en français… » Il cherche des contre-exemples. Il n’y en a guère. Même Vanessa Paradis n’a pas pu faire oublier, le temps d’un disque, qu’elle est française.
Aussi trouve-t-il dommage que, pour des raisons culturelles, on n’ait pas écouté son disque de Noël en France. Et que, pour cette raison de langue, on ignore tout de ses disques en anglais qui, selon lui, sont les plus ouverts et les plus audacieux musicalement. Personnellement, j’ai beaucoup d’affection pour son Wind & Tears dans lequel on lui entend une voix parente de Willie Nelson, une belle voix dans le masque, bien faite pour faire danser dans une salle de bal où on connaît presque tout le monde – l’essence de la country music. Il est curieusement moins commercial dans cette couleur-là, peut-être plus évidemment singulier (malgré la soumission aux canons du genre) dans la country que dans la variété française. Mais tant pis, on ne conserve que l’idée d’un chanteur sentimental qui lâche haut des mots un peu banals.
C’est un peu la même question qu’avec Thomas Hellman l’autre jour au Zèbre, pour une de ses premières scènes ici. Quelque chose de Bénabar pour l’entrain, le physique, l’envol, Jacques Brel partout dans son univers, Bob Dylan ou Francis Cabrel pour le dévoilement personnel. Une vraie écriture, donc, dans les chansons en français et, soudain, des titres en anglais, enjoués, musicalement forts, émotionnellement puissants mais qui ne passent pas du tout la rampe de la même manière. Juxtaposés aux chansons françaises, ils apparaissent plus abstraits, moins denses (à ce moment-là, on irait bien se prendre un petit coup à boire au bar, peut-être même un petit sandwich). Cette confrontation est un peu absurde et cruelle mais nous rappelle que Georges Brassens n’a jamais vraiment séduit le public de langue anglaise, ni Loudon Wainwright III les Français.
Outre cette question sur nous autres maudits Français se pose une question sur ces Canadiens bilingues, d’une culture évidemment plus urbaine, plus directement contemporaine et plus franchement américaine qu’un Gilles Vigneault ou même un Robert Charlebois. Hellman, d’ailleurs, est de mère française et de père texan, tout autre chose qu’un descendant de colon du XVIIe siècle. Voisine est du Nouveau-Brunswick, fils de deux francophones professeurs d’anglais. Peut-être y a-t-il déjà beaucoup à entendre dans ces singularités individuelles. Les voies toujours plus ambiguës des identités, l’écheveau emmêlé des racines… Et l’impossible simplification du monde et des cultures.
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