jeudi 20 décembre 2007

Jean-Michel Jarre retourne au physique

Jean-Michel Jarre au théâtre Marigny, pour sa reprise d’Oxygène. D’abord, les retrouvailles avec les synthétiseurs analogiques : l’attaque des notes par une sorte de bulle électrique mate, des sons flûtés qui fonctionnent en mille-feuilles, une impression de souffle sous la note, des couleurs à la fois clinquantes et pas très nettes… Et les instruments comme la fameuse réglette métallique au son de theremin, le Moog porté en bandoulière comme une guitare, les curseurs et les molettes, les fiches à enfoncer dans les tableaux à connexions. Les musiciens sont affairés, la musique y retrouve une dimension physique, une évidence charnelle.
Ensuite, la musique y gagne en imprécision, en fragilité, en hésitation. Si on compare avec les reprises de pièces contemporaines d’Oxygène lors de la dernière tournée de Kraftwerk, il y a évidemment plus d’humanité chez Jarre et ses compagnons de scène, et pas seulement parce qu’ils se démènent derrière des claviers qui ont trente ans. D’ailleurs, le dispositif du grand miroir qui permet de voir par au-dessus les instruments et leurs servants renforce à peine cette sensation d’assister à un travail d’élaboration risquée : l’exécution de cette musique affronte des instruments rétifs. L’impression est curieusement moins proche de la musique classique que de ce qui advient dans la musique indienne, avec les accordages instables, les ergonomies aberrantes, la facture approximative (je me souviendrai toujours de la démonstration que m’avait faite Shubendra Rao, élève de Ravi Shankar, à Delhi). On a l’impression d’une double lutte, d’une part pour faire exister la musique, d’autre part pour qu’elle ne s’éteigne pas.
Et l’entendre sur scène révèle combien cette incertitude construit en partie la musique, dans les brusques changements de direction, dans les équilibres de l’instrumentation, dans l’étagement des couleurs… On pense évidemment aux pionniers de chaque technologie, de l’automobile au robot-mixeur : l’exploit est toujours double, toujours sur deux fronts à la fois, nourri d’une double volonté. D’où aussi la candeur, la limpidité formelle d’Oxygène, sa relative pauvreté de discours, si on compare à Craig Armstrong, à Matmos ou à Matthew Herbert – aventuriers d’un monde de mise en mémoire et de presets.

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