vendredi 23 mai 2008

A l’Elysée, Céline Dion, Nicolas Sarkozy et Georges Brassens

Au Palais de l’Elysée, hier soir, pour la remise de la Légion d’honneur à Céline Dion. Beaucoup d’émotion, beaucoup de symboles qui se croisent dans le discours de Nicolas Sarkozy et dans le sien. Et en outre, pour un brassensiste maniaque tel que moi, le plaisir d’entendre citer le bon maître dans les ors de la République. Le Président, donc, parle de valeurs auxquelles il tient et qu’il lit dans le parcours de la récipiendaire – le travail, la discipline, la rigueur, surtout la rigueur. Il ajoute : « Le talent sans le travail, ce n’est pas grand chose, Brassens l’avait dit avant moi. »
Trop facile, la colle. L’original n’est pas exactement sur le talent, mais sur « le don », contrairement aux citations approximatives que l’on fait souvent (le front baissé et le rouge aux joues, je dois admettre m’être moi-même trompé récemment). Le texte exact est : « Sans technique, un don n’est rien/Qu’une sale manie ». C’est dans Le mauvais sujet repenti. Reprenons, c’est au deuxième couplet :
« L’avait l’don, c’est vrai, j’en conviens
L’avait l’génie
Mais, sans technique, un don n’est rien
Qu’une sale manie
Certes on ne se fait pas putain
Comme on s’fait nonne
C’est du moins c’qu’on prêche, en latin
A la Sorbonne »
A l’automne 2006, dans le numéro 57 de Chorus-Les Cahiers de la chanson, je notais que ce qui est troublant avec la destinée posthume de Georges Brassens, c’est la façon dont se sont dissipées les brumes soufrées qui longtemps couronnèrent son nom chez les bien-pensants et, pour tout dire, la manière dont le consensus menaçait son œuvre. Nous y voilà : la morale d’un de ses proxénètes citée par la plus haute autorité de l’Etat. Cela va avec Rabelais imposé aux enfants des collèges et avec les affiches de Mai 68 conservées dans les collections nationales, par le glissement irrésistible de la subversion vers la tolérance, de la tolérance vers l’intégration au corpus idéologique admis par tout le corps social.
Cela dit, il reste savoureux que cette morale de marginal (le catéchisme de La Mauvaise Réputation est tout sauf petit-bourgeois, consensuel ou mainstream) vienne à l’appui d’un discours explicitement ancré dans des valeurs franchement affichées à droite. Ses contemporains n’imaginaient pas forcément une telle plasticité de Georges Brassens.

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