Chanson réaliste et chanson vraie chez Patrice Caratini
Depuis quelques semaines, je n’en finis pas de revenir à De l’amour et du réel, l’album du Caratini Jazz Ensemble sur la chanson réaliste (au Chant du Monde-Harmonia Mundi). Lorsque je l’avais rencontré pour les dix ans de son big band, Patrice Caratini m’avait parlé de ce programme, plongée dans les valeurs et les couleurs de cette chanson qui tendit un miroir sombre à la France pendant quelques dizaines d’années.
Ce qui est passionnant dans ses orchestrations comme dans l’interprétation de la chanteuse Hildegarde Wanzlawe, c’est à quel point l’apparat social de ce répertoire a été gommé. Voix sans accent, sans travail comédien, sans connivence « tripale » avec le public : les chansons se décontextualisent, s’extirpent de l’histoire, se débarbouillent du folklore réaliste, des accords trainants du pavé. Et Caratini les rend à une vision assez strictement musicale, ce qui est après tout le travail du jazz tout entier sur les standards de Broadway ou sur les cantiques. Aussi les proximités sont-elles parfois surprenantes, comme lorsque Hildegarde Wanzlawe chante Du gris sur des arrangements très disjoints de l’orchestre : on croit alors presque à Brigitte Fontaine avec l’Art Ensemble of Chicago.
Donc, cet usage des chansons françaises comme standards, s’il n’est pas en soi une révolution, apporte une fraicheur à l’écoute non seulement de ces chansons-là – La Vipère, Le Train fatal, Les Petits Pavés, Mon légionnaire… – mais aussi à la compréhension de toute la chanson classique. Avec un disque comme celui-là, j’ai l’impression que l’on approche mieux tout ce que l’on connaît de la mélodie et du texte de notre chanson populaire. Le réalisme, le réel, la vérité : tout un système dialectique bien stimulant.
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