vendredi 10 octobre 2008

Sur Yves Duteil (dans "Musique Info Hebdo")

On me demande pourquoi mes chroniques pour Musique Info Hebdo ne sont pas sur mon blog. Eh bien, pardi, parce qu'elles sont dans Musique Info Hebdo. C'est un excellent journal et il n'est pas compliqué de s'abonner. Mais c'est toujours plus simple d'aller sur une page internet que l'on connait que fouiller dans ses vieux Musique Info Hebdo. Donc je mets en ligne chaque semaine la chronique d'il y a deux semaines. Aujourd'hui, celle du n° 493 du 26 septembre 2008.

L’image arrêtée d’Yves Duteil

On le savait déjà lorsque le théâtre antique connut ses premières stars (sandales d’or, couronnes de laurier, orgies à l’Uderzo) : la gloire n’est pas toujours une bonne affaire. On lui reproche volontiers son infidélité, ses manières de fille publique, son indécision, sa volatilité. Mais elle sait aussi faire peser de tout son poids sa placidité, sa paresse, son conservatisme, ses paisibles certitudes. On se l’imagine volage comme une pétasse sur HBO ; or elle a plus souvent l’âme d’un pharmacien de province attaché à la Boldoflorine et au tiers payant.
Parlons d’Yves Duteil, qui retrouve la scène ces jours-ci. Il avait beaucoup gardé le silence, hésité, raturé avant de sortir (fr)agiles, bel album écrit avec Art Mengo et paru au printemps dernier, sept ans après son disque précédent. Il est vrai qu’entretemps il avait publié quatre compilations, ce qui ne contribue pas à rafraîchir l’atmosphère, pour peu qu’elle soit encombrée de vieilles vapeurs. Or, c’était le cas : on peut dire qu’Yves Duteil a un problème d’image.
Il a été si caricaturé que sa caricature a fini par prendre lieu et place d’Yves Duteil. Chanteur gnangnan puisque monogame depuis plus de trente ans, chanteur officiel parce que jadis il se battit comme un beau diable pour les quotas, chanteur de droite parce qu’il fut un temps chiraquien… Et il se bat aujourd’hui pour refaire vibrer une image arrêtée – arrêtée malgré les neuves orientations musicales de son nouveau répertoire, arrêtée malgré ses efforts d’explication aux médias, arrêtée malgré tout le chemin parcouru depuis J’ai la guitare qui me démange… On l’écoute avec un sourire attentif, on hoche la tête et on replace Duteil sur l’étagère habituelle – chanteur gnangnan, chanteur officiel, chanteur de droite.
La musique populaire connait bien ces hiatus entre la réalité des artistes et l’immobilité marmoréenne de leur image. On se souvient de la désinvolture de certains médias et des certitudes définitives de certains professionnels lorsque sortit l’album Chambre avec vue d’Henri Salvador en 2000 : rigolo il avait été, rigolo il resterait, rigolo il rentrerait chez lui après le bide programmé d’un album qui ne correspondait pas à son image. Le souvenir de ce triomphe à rebours de toutes les prédictions est finalement consolant : une réputation peut se retourner. Mais, pour que se révèle au grand jour la vérité profonde des goûts de Salvador, il a fallu une patience infinie. Peut-être Yves Duteil parviendra-t-il à résoudre la question avant ses quatre-vingt-trois ans…

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