Marilyn Manson se danse-t-il en tongs ?
Marilyn Manson dans le rock radiophonique, avec l'album Eat Me Drink Me, ce n’est après tout pas plus absurde que Les Chants de Maldoror en livre de poche à la bibliothèque de Sciences-Po – l’apparente contradiction des lieux et des formes au profit d’une synthèse ambiguë. On ne sait plus s’il s’agit d’une déviance ou d’un consensus, d’un sommet de mauvais goût du consommateur ou d’un embourgeoisement de l’œuvre d’art.
Le refrain de Heart Shaped Glasses n’est pas aussi crétin que celui de Radio Ga Ga mais il y a ici une rencontre inattendue (comme « la rencontre fortuite sur la table de dissection d’un parapluie et d’une machine à coudre », justement) entre la manière qu’a Marilyn Manson de volontiers hacher son propos et la séduction qu’exerçait le reggae sur Queen, entre une rythmique venue du fond de la crypte et qui cligne des yeux en plein soleil, et le souvenir que les rythmiques de Queen avaient de Joy Division. Suis-je clair ? Autrement dit, ce titre va se danser dans les boums, si les marchands de singles font bien leur boulot. Une guitare en métal, une batterie bien lourde et pourtant on peut y aller en tongs, sautiller sur place et inventer une chorégraphie bêta avec les copains de plage.
La question n’est même pas de savoir si tout cela est grand public. Après tout, j’évoquais l’autre jour le virage U2esque de Linkin Park avec moins de surprise : Marilyn Manson ne s’est pas assagi ou vendu au marché (je pense que, là-dessus, il ne faut pas espérer qu’il ait jamais été plus proche de Bernard Thibault que d’Alain Madelin), mais il a voulu monter sur l’étagère de ses disques préférés. Il me parlait l’autre jour, quand je l’ai interviewé, des « albums auxquels s’identifier : peut-être Elton John à l’époque Benny & the Jets, Purple Rain, Scary Monsters, l’album blanc… J’ai peut-être essayé de faire un album que j’écouterais. »
Il y a çà et là des intentions Bowie (dans Heart Shaped Glasses, encore, l’écho de China Girl au début de la chanson) et beaucoup de rendus à la Smashing Pumpkins (la chanson Eat Me Drink Me), une parenté franche avec Nirvana sous les oripeaux gothiques (If I Was Your Vampire, qui ouvre l’album), quelque chose de Garbage dans les jeux de contrastes et de menaces (Just A Car Crash Away, une des chansons les plus séduisantes, avec encore une mélodie quasi-bowienne)… La tentation du classicisme, l’ambition de la légende, et peut-être l’assomption finale du mainstream ? Ce disque donne vraiment, et souvent, l’impression de voir en action un savoir-faire, une technique d’écriture, une expérience. Il m’a répondu l’autre jour, avec un bon rire : « J’ai titré une de mes peintures Experience is the Mistress of Fools. C’est un autoportrait. »
1 commentaire:
Manson serait un excellent sujet de thèse à la lecture de ton bel et passionné article mon cher Bertrand. J'ignore ce que l'intéressé pourrait penser de ce texte mais le thème mérite ample réflexion. Keep up the good work.
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