Pierre Perret : la paillarde vers le platine
Ça y est : Le Plaisir des dieux (chez Naïve) approche du disque de platine. 145 000 exemplaires vendus depuis la fin novembre et, d’ici quelques semaines, les 200 000 devraient être atteints. Au-delà de la question même de la pérennité de ce répertoire, cela nous en dit long sur l’état des plaisirs oraux en France, mais aussi sur la souveraineté du public par rapport aux habituels canaux de promotion de la musique.
En effet, il n’arrive pas souvent qu’en sortant un disque, un chanteur français accepte aussi volontiers qu’il ne passe pas à la radio ou que, çà et là, quelque média pince le nez. « C’est d’abord pour mon plaisir et celui des amateurs que j’ai fait cet album », me disait il y a quelques semaines Pierre Perret. Il sortait Le Plaisir des dieux et, en effet, on n’a rien entendu ou presque à la radio, sauf aux heures très tardives où l’on est sûr qu’aucun enfant n’écoute. Au programme, Le Père Dupanloup, Les Trois Orfèvres, Les Filles de Camaret… les classiques increvables de la chanson paillarde.
D’ailleurs, « increvables » n’est pas si sûr : « J’ai l’impression qu’elles sont en voie de disparition et là vraie raison est là », note Perret. Le recul des pensionnats, la fin de la conscription, le remplacement des banquets d’hommes par des soirées karaoké avec épouses, la surabondance contemporaine de pornographie se sont ligués et, en effet, on chante moins que jadis ce répertoire. « Pour une séance de l’enregistrement sont venus des solistes de l’Opéra de Paris, des musiciens de trente ou trente-cinq ans qui ne connaissaient pas la plupart des chansons. Ils ne voulaient pas quitter la séance, ils voulaient entendre les autres ! »
L’ancienneté de ces chansons paillardes fascine Perret, qui a demandé à l’ancien ministre et historien Louis Mexandeau d’écrire une préface à son disque. Car, sous l’outrance des images sexuelles, il y a, dit le chanteur, « un poing levé d’insolence par rapport à l’ordre établi, à la bourgeoisie, au clergé, aux gendarmes, à l’autorité. Mais si le vocabulaire utilisé l’est dans son extension la plus crapuleuse, s’il n’y a aucun mot que s’interdisent les auteurs, il n’y a aucun mot qui n’est pas dans le dictionnaire. » Français vulgaire, donc, mais français souvent virtuose, d’une invention sans limite, d’une écriture parfois savante. Mais parfois, aussi, « j’ai aménagé les textes, explique Perret. Il y a des tournures qui ne me plaisaient pas, non que je veuille les édulcorer mais pour que littérairement elles soient mieux. J’ai voulu plusieurs fois leur donner un dernier couplet, pour qu’elles aient une fin, pour que survienne une apothéose à la chanson. » Alors, par exemple, il a nettoyé Les Trois Orfèvres de leurs couplets coprophages pour leur substituer une conclusion d’une gourmandise moins contre-nature.
Dans les années 60, en introduction de sa fameuse Mélanie, Georges Brassens chantait : « Les chansons de salle de garde/Ont toujours été de mon goût/Et je suis bien malheureux, car de/Nos jours on n'en crée plus beaucoup ». Perret en avait composé, déjà, quelques-unes, comme La Corinne. Dans ce nouvel album, il a conservé dans le traditionnel Ô ma mère quelques vers que Brassens et lui avaient improvisés un soir de concert dans une loge de l’Olympia. Et il a enregistré Le Petit-fils d’Œdipe, variation de Brassens sur l’argument d’une paillarde classique, ainsi qu’une nouvelle composition de son cru, La Pute au grand cœur – « Une chanson ronde et marrante, très cousine d’Adieu fais-toi putain. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire