vendredi 18 janvier 2008

Retrouver le dépaysement de Dick Annegarn

Tôt ou Tard, la maison de disques de Dick Annegarn depuis sa résurrection, il y a une dizaine d’années, vient de sortir le coffret Les Années Nocturnes (du nom du label de l’époque) avec les albums Frères ? (1985), Ullegara (printemps 1990) et Chansons fleuves (fin 1990). On s’étonne comme toujours en ce cas-là de la distance autant que de la proximité de l’œuvre qu’on découvre-retrouve.
Retrouvailles donc avec Y allions, mélancolie vieille de plus de vingt ans sur l’adolescence perdue. Etourdissement de la rythmique, ferveur québécoise de cet optimisme-là (oui, les Québécois ont toujours, en Américains, plus de sourire que nous dans leur avenir), accordéon véloce de Richard Galliano, texte à l’élan rimbaldien et aux mots cousins de Richepin (le Richepin de Brassens, évidemment) : « Quand nous mettions les chars devant les bœufs/Nous étions riches et sans argent des gueux ».
Retrouvailles donc avec Quelle belle vallée, prodige rythmique et d’orchestration, avec l’harmonica qui mène la danse des cuivres, la batterie qui gambade sur une structure impaire discrètement virtuose. On entend là l’écho de ces années 70 qui voulaient courir dans les rues sans jamais marcher au pas, qui voulaient chanter en chœur tout en respectant la respiration de chacun, à la manière de L’Hymne à sept temps de Maxime Le Forestier ou de Fais comme l’oiseau de Michel Fugain & le Big Bazar. Et le texte ! « Les saisons font le con à travers toutes les saisons/Le ciel fond tout en larme à chaque coup de feu d'une arme/Les charrues les chariots les chenus et les chevaux/Tombent en rade quelle salade à chaque coup de claironade »…
Ce qui est le plus étonnant, pour tout dire, c’est à quel point ses recherches musicales de cette époque (c’est le temps de la péniche à Noisy-le-Grand, du rêve en actes d’une autre posture d’artiste, d’un autre rapport au public et à la création) puisent loin de la chanson. On entend du jazz collectif, du jazz à couleurs flamenco, du jazz à la Caratini (l’époque du onztet en visite chez Maxime Le Forestier), du jazz modérément fusion… C’est le jazz et des instrumentistes de jazz qui l’aident à s’affranchir des carrés classiques de la chanson, qui l’aident à se délier des habitudes du genre. Plus tard – c'est-à-dire aujourd’hui –, il s’acoquinera avec des musiciens qui travaillent la forme, le délié, le resserré, l’oblique de la chanson contemporaine. Annegarn est aujourd’hui parent de Thomas Fersen ou de Bertrand Belin. A l’époque de ces disques, il a voisine avec l’esprit des recherches du label Saravah ou même – pour Ullegara – avec ce qui se passe chez New Rose ou Crammed. Aujourd’hui, il est curieusement, après plus de trente ans de route, intégré dans le paysage contemporain de la chanson. Ces trois albums réédités ont quelque chose d’anormal, à leur époque. Je ne sais pas si Dick Annegarn prendrait très bien l’idée que son dernier album, Plouc, n’a pas cette étrangeté un peu incommodante qu’eurent ses disques jusqu’aux années 90. Une fois de plus, le danger d’avoir annoncé le futur...

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