En Créolie (IV) : Napoléon Magloire, la cravate et la mémoire
Un homme minuscule, un peu cassé, perclus, mal équilibré. Le costume, la cravate, le chapeau de la sociabilité obligatoire de l’ancien temps, le parapluie immense sur lequel il s’appuie pour marcher. Et une présence ahurissante, presque proportionnellement inverse à son apparence physique. Il vient sur scène en duo avec Dominique Coco, bel abattage très actuel, qui puise dans Marley, le zouk et le funk. Ils semblent presque à égalité au départ dans Fo lévé, gwo ka très contemporain. Mais quand ils embrayent sur Dodo, Hermancia, dodo, c’est Napoléon qui emporte le morceau : peu de mots, des gestes très étroits mais qui ont gardé une force et une signification de jeune homme.
Quatre-vingt-huit ans, donc, un statut d’aîné mythique, sans doute sans commune mesure avec ce que furent son rôle et son œuvre en son âge mûr (on pense à Compay Segundo, évidemment), à cette situation de dernier vivant d’une musique. Evidemment, j’aurais aimé que Carnot fut traité avec même déférence, que par exemple quelqu’un l’ait pris dans sa voiture la nuit où il s’est fait renverser sur la route d’après-léwoz – à pieds, son ka à la main.
Donc, Napoléon Magloire titube un peu quand il danse, la voix chevrote un peu, mais le chant a la belle ferveur, la bonne fermeté. Le concert du film finit avec lui, avec le public qu’il porte dans l’évidence d’une forme née du partage et pour le partage. Tout le monde se fait répondè avec un naturel magnifique (comme plus tôt dans l’après-midi quand Jomimi chantait Matété a krab, son drapeau jaune-rouge-vert à la main).
Napoléon Magloire symbolise plus grand que lui, évidemment. Comment ne pas admirer, pourtant, comment ne pas lire dans sa présence sur scène un prodige de la volonté et de la mémoire ? Chaque matin, il va amarrer ses bœufs à cinq heures. Ce vendredi, il organise un léwoz chez lui, à Mare-Gaillard.
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