En Créolie (VII) : dans mon trésor de quadrilles
J’ai trouvé mon joyau de ce voyage en Guadeloupe. Chez le petit disquaire créole d’avant-hier, j’ai acheté une réédition Debs d’un album Célini, un disque de Man Dupuits et du violoniste Cologer. Il y a d’abord les figures d’un quadrille – un délice, notamment le romantisme taquin de la deuxième figure l’Eté et l’enjouement étourdissant de la quatrième figure Pastourelle. Le commandeur Antoine Gouala est bellement classique, simplement entrainant. Le miracle vient du violon, machine à danser impeccable, mais surtout porteur d’un extraordinaire discours de musique dans le cadre clos du quadrille. Comme Iphano Salières et Ariste Ramier, les deux accordéonistes de quadrille enregistrés par Moutoussamy au début des années 60, il se tient aux limites très précises de style mélodique, de rythme et de fonction d’une musique de bal déjà en franche perte de vitesse à l’époque de l’enregistrement, en 1972.
Le plus étonnant est que dans les deux biguines de bal à quadrille qui complètent ce qui me semble être une face de 33 tours, Cologer joue salement faux par moments. Et, sur les biguines chantées par Man Dupuits (voix un peu criarde formée avant le micro, expression bien bligidi, sans nuances), il intervient parfois avec une curieuse raideur, qui d’ailleurs s’accorde bien au débraillé d’un enregistrement salement roots (je me souviens des séances de ce studio à Pointe-à-Pitre, au bout de la rue Lamartine je crois, derrière la baie vitrée qui donnait sur la rue, avec le gamin que l’on envoyait bloquer la circulation le temps d’une prise).
J’aime passionnément ce quadrille-là, virtuose et convivial, vieillot et si fécond de vraie musique. Il y a une très longue tradition dans cette forme-là, tant dans l’excellence instrumentale du soliste que dans l’imperturbable rythmique des tambours et du triangle, et dans le parler du commandeur : on devine une extraordinaire fidélité dans la transmission, une troublante originalité par rapport à ce que nous enseigne la Vulgate actuelle sur les anciennes musiques de la Guadeloupe.
Nous en parlions, Michel Giraud et moi, dans notre conversation pour le film Urban ka : la concentration du discours identitaire sur le gwo ka exclut de la mémoire le quadrille et son histoire ambiguë. Voilà pourquoi ce disque est si précieux, tant il raconte une autre histoire, une histoire de survie et d’invention culturelle, de liberté et de dignité humaine – oui, les grands mots ! je ne les sors pas souvent, ceux-là, mais le quadrille ne parle que de ça.
Alors j’ai copié les quatre figures sur mon iPod, rangés avec d’autres enregistrements qui constituent mon trésor de quadrilles de la Guadeloupe. J’aimerais bien n’être pas le dernier que ce trésor émeut.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire