Le fortin de Général Alcazar
Quel meilleur lieu pour parler de Général Alcazar qu’un blog, lieu où ne se pense nulle concession a priori au goût commun ? Car je ne crois pas connaître une création aussi idiosyncrasique que la sienne. Sa posture est celle d’un petit fortin, quelque part en un désert oublié, et qui recevrait de temps à autre quelques instants d’ondes courtes pour ne pas tout à fait oublier le langage des hommes. Comment s’étonner dès lors qu’il écrive selon une syntaxe abracadabrante, réduite aux seules solennités de la langue, avec un lexique charriant toutes les raideurs des lieux communs : « Evite-moi donc le pire, évite-moi les histoires/Je te donne un million, s’il te plait/J’adopte un profil bas/C’est à cause d’un soleil que personne ne conteste/Que je suis devenu ton plus fidèle adepte ».
Tout cela avec ukulélé, guitare saturée, bibelots bruyants, mélodica, samples d’art brut, xylophone, brimborions. Les Singulières, le quatrième album de Patrick Chenière, alias Général Alcazar, ressemble à une carte postale d’un autre siècle, comme si Marcel Janco et Richard Huelsenbeck avaient pris le pouvoir chez Talking Heads, comme si la théologie bogomile s’était installée avec son rigide merveilleux dans le rock psychédélique, comme si Raymond Roussel écrivait des chansons. Car il y a bien du Locus Solus dans ses disques, des bizarreries énoncées d’un ton faussement neutre, des aventures impossibles selon nos perceptions habituelles.
Et tout cela constitue comme un territoire isolé, une principauté dérisoire et sublime, un krak médiéval qui se dresserait non loin des autoroutes et des centres commerciaux. Général Alcazar est peut-être un des seuls artistes que je connaisse à réellement habiter une tour d’ivoire, à vraiment se tenir hors de toute catégorie admise.
Je me souviens l’avoir vu se mettre soudain à pleurer en pleine interview, il y a cinq ans. Il parlait « d’arrêter de régler mes comptes avec mon enfance, avec mon passé ; d’être peut-être plus généreux, plus détendu avec le public. » Je ne sais pas du tout où il en est aujourd’hui de ces deux voyages-là. Toujours est-il que ses nouvelles chansons se dressent comme la colonne d’un stylite dans le paysage du moment – une incongruité presque sainte, un geste de résistance et de dignité fol et génial à la fois.
Je ne le dis pas souvent, mais je pense que nous sommes là dans un de ces cas où – comme avec Christian Bobin ou Robert Wyatt – on se grandit forcément un peu en achetant un objet culturel. Le disque s’appelle donc Les Singulières. On le trouve sans difficultés.
2 commentaires:
il existe un site "officiel" où on peut aller glâner des morceaux peu connus et fouiller dans les étagères du général : http://www.general-alcazar.fr
des étagères restent à fournir...
donc rien n'est terminé. Tant mieux?
Et un site "myspace" pour écouter des morceaux du dernier album et des inédits :
http://www.myspace.com/generalcazar
merci pour ces quelques mots où je reconnais mes goûts (pour les mots et pour la musique).
bérénice
Cher Bertrand Dicale... ooh oui je me souviens de ce "relâchement lacrymal" durant notre interview! je m'en suis longtemps senti ridicule... était-ce la fatigue accumulée ou votre talent particulier à pointer les zones sensibles chez votre interlocuteur ? allez savoir...et peu importe d'ailleurs. Je voulais surtout vous dire qu'il est rare d'avoir un écho intelligible à propos de la musique et des mots chez General Alcazar, et je remercie mes services secrets pour m'avoir signalé l'existence de votre blog. Sans entrer dans des considérations pesantes... cela fait du bien... "par les temps qui courent"..? amicalement, Patrick Chenière... pour General Alcazar.
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