mardi 26 juin 2007

En Créolie (VI) : le disquaire créole, espèce en voie de disparition

Comme il y a le bœuf créole et le chien créole, il y a le disquaire créole. Ce n’est pas un disquaire aux rayons débordants et rationnels, un espace commercial entièrement maitrisé. Le magasin de disques créole a quelque chose d’extensif et de foncièrement désorganisé – si la norme métropolitaine s’appelle organisation –, un peu à la manière des épiceries créoles : un certain surréalisme dans le rangement (Noël antillais et Tino Rossi mélangés, Cesaria Evora avec le latino, zouk et r’n’b antillais tout ensemble), une notion particulière du stock (on dirait qu’il y a une commande par an, aucun réassort), un aménagement curieux, dans lequel les disques semblent toujours au large dans le magasin.
Il ne reste plus beaucoup de ces magasins. J’ai tout à l’heure fait un tour rapide : quatre ou cinq ont fermé dans le centre de Pointe-à-Pitre depuis ma dernière visite, dont l’historique Discorama, à l’angle de la rue Nozières et de la rue Lamartine. Il reste évidemment le magasin d’Henri Debs, et puis les disquaires à la française, mais les magasins créoles disparaissent. Ici comme ailleurs, on télécharge, et la chute des ventes de CD a massacré ce petit commerce.
Survivant, Zouk’is Music, rue Sadi-Carnot, presque à l’angle de la rue Nozières. Le comptoir de bois, les rayons avec plein de trous, des CD à couvertures décolorées par le soleil, les posters de promo au mur, la sono bricolée, l’énorme enceinte posée sur le trottoir, le carrelage anonyme… Ce n’est pas un magasin visant la fortune, ni même un lieu de passion : il s’agit ici d’une petite activité dans laquelle on cherche seulement à tenir le courant. Il y a bien sûr les gros tubes, diffusés à toute force, mais le back catalog souffre volontiers d’amnésie : il n’est qu’à voir le peu de disques anciens, de rééditions de musique traditionnelle, le sort du gwo ka et du quadrille, l’oubli même d’une bonne partie de la discographie de Kassav'… Il ne s’agit curieusement pas d’un commerce culturel, mais d’un exercice sommaire de gestion de boutique. Quelque chose qui manque de grandeur et parfois même de dignité, mais qui ressemble à cette culture dans son entier, soumise aux hasards du monde et à peine consciente de la présence de sa voix au concert des peuples. Même si cette approche-là du commerce de musique était terriblement désuète, elle a porté les plus belles folies d’ici. On ne peut pas lui en vouloir…

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