De Richard Thompson et de la profondeur du répertoire
A sa sortie, j’avais écouté avec un vif plaisir 1000 Years of Popular Music, dont je viens de regarder enfin le DVD (l’été des retards que l’on rattrape…). Il y a le plaisir de cette anecdote : le musicien à qui Playboy demande de désigner les meilleures chansons du millénaire, et qui fouille vraiment dans dix siècles de répertoire populaire – et Playboy qui ne publie pas sa liste. Evidemment, il y a le plaisir de sa liste, donc: un air italien du XVIIe et Britney Spears, l’ère élisabéthaine (si importante pour les Anglais) et Tempted des Squeeze, l’apogée du music-hall londonien et une chanson de mineurs… Apparentements surprenants, paradoxes soignés, réévaluations brutales, enfers définitifs (où sont les Beatles ?), autoportrait à peine déguisé : tous les plaisirs de ces listes auxquelles les maniaques s’amusent depuis une lointaine lurette.
Evidemment, la démonstration de Richard Thompson sur Oops !... I Did it Again est brillante : on trouve dans cet apogée de la pop commerciale d’aujourd’hui quelques-unes des valeurs des grandes chansons populaires du XVIe qui sont parvenues jusqu’à nous. Ce jeu de l’hors-contexte a porté quelques démonstrations brillantes déjà sur Smells Like Teen Spirit par Patti Smith, Tori Amos ou Paul Anka – le genre, « vous voyez, débarrassé de l’apparat du moment, comme cette chanson correspond à tout ce que nous exigeons des meilleures chansons ». Mais ce qui m’intéresse le plus, dans l’histoire, c’est la manière dont Richard Thompson unifie un répertoire hétérogène, dont il rapproche tout – voire n’importe quoi – de son irréductible idiosyncrasie. Au-delà d’une preuve de la ductilité des chansons (ce qui n’est pas forcément évident), c’est l’enjeu de ces alignements de standards de plus en plus fréquents dans les sorties des dernières années (les trois autres anglo-saxons susdits sont de bons exemples du fonctionnement de cette martingale).
Mais j’ai l’impression que, malgré les disques de ce type de plus en plus courants (Juliette Gréco, Michel Delpech, Françoise Hardy, Michel Jonasz, Sylvie Vartan, etc…), l’on manque en France de cette liberté du répertoire – ou de la curiosité. En ce sens, Jean-Louis Murat avec son 1829 consacré aux chansons de Béranger est franchement une exception. Il y a un fil qui s’est rompu quelque part dans les années 80, quand a été ringardisé par le Top 50 la génération folk (je résume, là…). Mais quand les Frères Jacques ressortent Mon père y m’a marié, quand Yves Montand enregistre Aux marches du palais, quand Cora Vaucaire chante Le Roi Renaud, quand Maurice Druon écrit les paroles du Galérien, quand Malicorne chante Marions les roses, c’est toujours pour ici et maintenant, pour la société de l’époque et ses consommateurs de musique. C’est pourquoi j’aimerais tant que l’on réédite les Francs Garçons, qui furent si modernes en reprenant Le Conscrit du Languedoc de la même manière que Quand un soldat de Francis Lemarque et Le Petit Oiseau de toutes les couleurs de Gilbert Bécaud. C’est pourquoi je pense que tout le système de réévaluation de la reprise que j’ai souvent célébré est encore un peu timide et mériterait encore un peu plus d’audace.
1 commentaire:
Je suis content de lire que tu as pu regarder et apprécier le superbe DVD de Richard Thompson. Voilà le genre de document qu'on devrait imposer en deuxième partie de soirée ! Merci mon cher Bertrand et bon été à toi car je suppose que tu vas en profiter pour combler ton retard. Je me demande comment vous faites ! Take care.
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