Keith Jarrett, retour à juillet 2001
Mardi 18 juillet 2001, Keith Jarrett joue au Palais des Congrès, à Paris. Soirée intense, évidemment. Je ne suis pas le seul à me sentir renversé. Certes, on ne vit pas ce que vécurent nos aînés en entendant l’orage de Coltrane ou le génie de Monk dans leurs premiers clubs, mais on a franchement le sentiment de vivre des instants rares, d’une réelle importance. Dans Le Figaro, je suis évidemment enthousiaste quant au trio Jarrett-Peacock-DeJohnette. J’entends dans leur concert « des sortilèges de netteté, des énigmes heureuses, des ferveurs affairées, une musique boisée et automnale. Un jazz déjà installé dans ses dictionnaires. Avec raison. » Enthousiasme un peu solennel, donc, qui convoque l’histoire et a entendu l’automne sous les doigts de Jarrett. Et, aujourd’hui, j’ai le souvenir d’un concert un peu abstrait, semé de prodiges de charpentier et d’exploits savants, malgré l’usage fréquent de standards.
Quatre jours plus tard, le samedi 22 juillet, il joue à Montreux. L’enregistrement de ce concert va sortir à la rentrée en double CD. Et c’est tout autre chose. Un indice : il se passe quelque chose que l’on entend pas dans Straight No Chaser, mais que voit le public, qui éclate de rire. Et il y a les thèmes : My Foolish Heart (le titre de l’album), Ain’t Misbehaving et Honeysuckle Rose de Fats Waller, You Took Advantage of Me de Rodgers et Hart, The Song is You d’Hammerstein et Kern… Ce n’est pas la salle de bal mais on rigole bien ! Rien à enlever du bonheur du mardi, sinon qu’il n’y a plus rien de l’automne dans ce répertoire et ce jeu, dans cette limpidité d’intentions et cette jubilation.
Je ne sais pas combien de fois j’aurais écouté ce disque avant qu’il paraisse, début octobre. J’y trouve une sorte d’anti-Jarrett, ou plutôt de Jarrett sans l’apparat de morgue, de misanthropie, d’égoïsme que l’on entend souvent dans ses concerts et même dans ses albums de standards. Je ne me souviens pas avoir eu, il y a six ans tout juste, de réticences à ce concert au Palais des Congrès, sinon peut-être cette distance qui existe entre le musicien et le public, malgré la musique, ou peut-être même à cause de sa splendeur (cela se sent aussi chez Gustav Leonhardt ou chez Neil Young, qu’on se rassure !). Dans ce disque, quatre jours plus tard, plus rien de tout cela : un partage généreux de l’émerveillement.
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