lundi 17 septembre 2007

Enzo Enzo et une certaine histoire de transmission

Enzo Enzo ne pose pas une question superflue en ce demandant quelles chansons nous transmettons à nos enfants – ou tout au moins lesquelles nous avons envie de leur transmettre. J’étais par exemple assez fier en découvrant, l’autre week-end, que ma fille connait par cœur la première strophe de Mignonne allons voir si la rose que je lui chante comme berceuse depuis sa naissance. Ronsard à même pas trois ans, je peux bomber le torse. Mais elle sait aussi Frère Jacques. Et, contrairement aux enfants d’Enzo Enzo, mes filles ne connaitront jamais Adieu foulards, adieu madras – on a des principes, quand même.
Donc, Enzo Enzo a enregistré Chansons d’une maman (qui sort le mois prochain), dans lequel elle chante Le Loup, la Biche et le Chevalier (ça en fait combien, là ?), Papa n’a pas voulu de Mireille et Jean Nohain, Ballade irlandaise, Rossignol de mes amours… Jolie liste, au demeurant, très centrée sur les années 50, avec pêle-mêle tout ce que ses parents ont pu lui chanter, qu’eux-mêmes l’aient appris dans leur enfance ou que les chansons les aient accompagnés depuis lors. C’est un intéressant travail sur la mémoire et la transmission, corrigé sans doute par deux ou trois considérations d’efficacité (ah, Le Loup, la Biche et le Chevalier, pont-aux-ânes de la chanson pour enfants). Réalisation pertinente, timbre doux çà et là rehaussé d’un rien de caractère. Rien à redire, donc.
A ceci près que les voies de la mémoire sont difficilement décodables et plus encore difficilement restituables. Si je me réfère aux souvenirs qu’elle m’a racontés il y a quelques années, il manque beaucoup des années 60 dans son disque, celles de Pierre Perret et Hugues Aufray, par exemple – Les Jolies Colonies de vacances, Adieu monsieur le professeur
A ceci près aussi nous sommes tous bien incapables (pour faire un disque ou pour essayer de bien se souvenir, des années plus tard) de vraiment faire le tri. Ainsi mon père a toujours chanté Un p’tit coquelicot de Mouloudji, chanson que je trouve assez agaçante, mais m’a passé La Légende de la nonne de Brassens. Mais est-ce que mes filles seront comme moi tout heureuses de chanter « les prieurs la racontassent dans tous les couvents réguliers » ? Je reconnais bien volontiers que c’est le son de ces vers qui me guidait à l’époque, de même sans doute que ma fille quand elle chante « a point perdu cette vesprée les plis de sa robe pourprée ». Après, on trie. Ce qu’on chante redevient chanson. Parfois, c’est une vraie chanson pour enfants. Parfois c’est du Polnareff ou « Athée, ô grâce à Dieu ». Parfois, on ne saura jamais, on oubliera. Parfois, on en fera des disques tout entiers nostalgiques – nostalgie d’avoir été enfant, nostalgie d’en avoir eu, nostalgie d’attendre la génération suivante. Parfois, on n’en fait rien et on finit par ignorer, collectivement, l’empilement de liens qui tous et chacun nous lient au répertoire de notre enfance. Un bien précieux et sans importance, un patrimoine tendre et rugueux.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Coucou Bertrand,
Je suis venue faire un tour en promeneuse curieuse et évidemment cette chronique me touche particulièrement, car je chante (faux) régulièrement des comptines et autres chansons à mon fils. Qu'en restera-t-il ? De la tendresse j'espère.
Je t'embrasse
Laurence

Anonyme a dit…

bonjour,
moi je suis chanteuse lyrique, et prof de "solfège",(oui , des guillements parce que je me ferais gronder par le directeur, il faut dire formation musicale!) et, devant les petites bouilles de jardin musical et de 1ère ou 2e année, quand je leur chante comptines et chansons pour qu'ils choisissent celles qu'ils veulent qu'on apprenne, je suis toujours surprise des réponses...
"le temps des cerises" marche très bien, "sur l'pont du nord", aussi, bref, monsieur Bertrand, ne dites jamais jamais, quand il s'agit de vos filles, elles vont vous surprendre un beau jour, et vous vous direz : "merde, j'ai dù vieillir sans m'en apercevoir"!
mais celà dit, c'est chouette, étonnant et constructif de les observer grandir, et les écouter chanter, elles vous diront l'ambiance et la tendresse qu'il y a dans leur coeur, les chansons vont plus loin que les paroles.