vendredi 14 septembre 2007

James Blunt, autre figure de l’impuissance de la critique

L’impuissance de la critique a beaucoup de modalités. Je parlais il y a quelques temps des difficultés à défendre efficacement la Talvera. Nous connaissons aussi tous l’impuissance à endiguer, à réfréner, à relativiser. Et, partant, l’impuissance à expliquer quelques-uns des succès dont nous sommes témoins. Ainsi James Blunt : onze millions d’albums dans une époque catastrophique, ç’aurait été peut-être vingt millions en un autre temps. Et rien ne destine sa musique à une telle puissance, finalement. Son référent le plus proche est peut-être Elton John, qui fut aussi d’une puissance commerciale étourdissante. Mais il reste que ses chansons sont surtout de petites choses dont l’ambition première n’est certainement pas de conquérir le monde – une Cigale, un Bataclan, c’est plus vraisemblable.
Et aucune catégorie critique ne peut rendre compte des mécanismes qui fabriquent la gloire de James Blunt. Aucune catégorie critique ne peut appréhender cette distorsion entre les intentions et le résultat de ses chansons : des torch songs référencées seventies qui se répandent comme du Britney Spears. On est parfaitement hors du temps et hors du goût, si l’on considère la cohérence culturelle et commerciale de son aventure. Voilà pourquoi nous ne sommes pas capables d’annoncer un succès tel que le sien à la première écoute (rétrospectivement, il n’y a que la conviction qui compte : j’ai aimé le « premier » album de Bénabar autant que son autoproduit mais n’ai pas pensé qu’il passerait la rampe et donc n’ai pas fait de papier ; j’ai aimé Olivia Ruiz à la première écoute et on m’a dit que j’avais été le premier à faire un gros papier sur elle).
Son nouvel album arrive et il n’y a aucune raison pour qu’il n’atteigne pas les mêmes scores que le précédent (un peu plus d’ampleur peut-être dans les arrangements, mais la même matière de composition). Et on va lire qu’il est préformaté, taillé pour le succès, cynique, attrape-gogo, bâti pour les millions. Or justement non. Il compte parmi les aventures imprévisibles a priori, comme l’envol de Carla Bruni, et échappe à beaucoup des schémas de médisance – tout au moins s’ils restent de bonne foi. Que James Blunt ait trouvé une martingale et continue de la faire tourner, c’est une chose. Mais il n’est pas une des incarnations du vieux démon du tiroir-caisse. Ça n’empêchera pas qu’il lui pleuve dessus quelques immondices.

Aucun commentaire: