lundi 24 septembre 2007

Herbie Hancock et Leonard Cohen chez Joni Mitchell, ou la question de la beauté réitérée

Peut-être n’y a-t-il pas d’aventure musicale qui, en ce moment, ait le lustre de River, the Joni Letters d’Herbie Hancock. Un disque Verve, le pianiste à tout jamais « de Miles », les chansons de Joni Mitchell.
Belle étude de cas à écrire, Joni Mitchell. N’a jamais vraiment beaucoup vendu en France, n’a jamais exercé d’influence identifiable, mais elle compte parmi les personnalités les plus respectées parmi les fous de musique en exercice dans notre pays. Quelque part entre Randy Newman (les Américains sont fous, ils sont capables de bon goût) et Frank Zappa (quelle science, quels sarcasmes !), elle nous fait rêver un peu comme Bernard Malamud ou Nicholson Baker (selon la génération) ont fait rêver les littéraires : quelques-uns des attributs du génie – à commencer par la classe – mais trop de lignes obliques pour enfoncer le mur des conformismes.
Donc, Hancock chez Joni Mitchell, c’est forcément une histoire très élégante, comme les illustrations du New Yorker sur les boîtes d’allumettes que l’on trouvait il y a quelques années au bar des hôtels Méridien. Evidemment, pas grand monde n’a refusé l’invitation, je suppose. Il y a Norah Jones, Tina Turner, Corinne Bailey Rae, Luciana Souza, Joni Mitchell elle-même dans des pièces aux tailles élargies, dans des aventures diablement seyantes aux mélodies originales. Herbie Hancock sait tout bien faire, étaler des harmonies soyeuses et riches, faire moirer le clavier sous des voix subliment attentives à l’échange…
Non, vraiment, je ne pourrais dire de mal de cet album. Je ne pourrais en dire du mal, sinon qu’il est prévisible, convenu, attendu. Mais attendu à la manière des Fra Angelico à Florence ou des Poussin au Louvre – la beauté réitérée, un beau sujet de dissertation. D’ailleurs, peut-on attendre aujourd’hui que Wayne Shorter sorte une note neuve de son saxo, n’importe où sur ce disque où il s’étale beaucoup ?
Bref, j’étais tranquillement là, dans les familiers couloirs d’un musée nouveau (vous voyez bien de quel sentiment je parle…), quand soudain a surgi une sorte de mégalithe roman, un Fernand Léger inédit, un Koloman Moser sans la patine… The Jungle Line avec seulement le piano d’Herbie Hancock et la voix de Leonard Cohen, comme l’exact contraire des splendeurs blasées qui précédaient. Une nudité sophistiquée, une pureté de ligne qui tient à l’expérience diabolique de tous les auteurs de cette splendeur, le sentiment que, pour en arriver à cette crudité de la beauté, il faut quelques dizaines d’années de musique à son plus haut niveau. A la fois un chef d’œuvre et une épiphanie, la marque personnelle de trois créateurs et une synthèse possible d’un certain état de la civilisation, un prodige inexplicable et la marque absolue du savoir-faire. Une figure impossible et rassurante.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Félicitations pour votre blog que je découvre. De belles chroniques, des découvertes.... Bonne continuation !

chezpapito.over-blog.com

Anonyme a dit…

Je pense, au contraire, que Joni Mitchell a influencé pas mal d'artistes, parce qu'elle a, par exemple, indéniablement influencé Tori Amos qui a elle-même influencé bon nombre d'artistes. En tout cas, ce que tu dis de la chanson d'Herbie Hancock et de Leonard Cohen est attirant, je essayer d'écouter ça. Merci.

Anonyme a dit…

Formidable Herbie Hancock si loin de toute la frime et de la médiocrité ambiante. "River" est un superbe hommage à Joni Mitchell (La reprise chantée par Tina Turner tourne en boucle sur ma chaine) qui restera pour longtemps une figure majeure de la musique et notamment du chant, bien au-delà du registre pop où on l'enferme trop souvent. Si "Shine" le dernier album de Joni sorti simultanément à "River" d'Hancock est décevant à mon goût, j'invite les non-iniciés doués de curiosité à se ruer toutes affaires cessantes sur Mingus, un des plus fabuleux albums de tous les temps. Boum! Si! Je suis formel. Et bravo pour ce blog!
Philippe