Carlos ou le rire nu
Il fut un temps où le rire fut nu. Il n’était que rire, rien d’autre. Carlos disparait et avec lui une bonne part de la facilité que l’on a eue, pendant quelques dizaines d’années, à rire sans arrière-pensées – même si ces arrière-pensées sont les meilleures du monde. On peut ne pas avoir la nostalgie de Papayou et de Big Bisou et pourtant s’étonner que nos années nous donnent à entendre tant de rire sérieux, chargé, « authentique » (authentique veut dire social). On a beaucoup ri avec Kamini, maintenant avec James Deano. Mais que de choses dites derrière Marly-Gomont ou Les Blancs ne savent pas danser… Ainsi, les Fatals Picards ou Marcel et son Orchestre qui tiennent absolument à ce que l’on comprenne qu’ils sont altermondialistes, comme si le rire n’était licite qu’avec un passeport de conscience affirmée.
Carlos a été mieux qu’un chanteur rigolo : il n’a été que ça. Aucune des tendresses, des sentiments, des mélancolies d’Henri Salvador. Rien des satires d’actualité des Charlots. Senor Metéo, Tout nu tout bronzé, La Cantine, ce n’était que pour rire, que pour danser, que pour faire l’idiot. Le monochrome de l’hilarité, la monoculture du plaisir. L’hédonisme comme ascèse. Une sorte de long éclat de rire sans vraie nuance – même pas de nuance de qualité du rire, de couleur du rire, d’intention du rire. Mais il y a chez lui plus que le seul sens du bonheur et de la rigolade, de la célébration tautologique du plaisir de chanter, de remuer son bedon et de faire rire ses copains : il y a une ferveur, une constance, une fidélité qui peuvent même effarer. Il traverse les années 70 et 80 en copain d’Eddy Barclay, en réjouissance de fête d’école, en blague potache infinie. Il ne signe pas de pétition, n’appelle pas à voter, ne proteste jamais. Son monde est heureux. Ou pudique, on ne saura jamais.
Pourquoi notre époque ne fabrique-t-elle plus cette candeur-là, cette limpidité, cette innocence assumées ? Sommes-nous à ce point avides de sens et d’urgence ? Avec la fin de Carlos, on a l’impression d’être désormais emprisonnés dans l’âge adulte et dans le bon goût.
2 commentaires:
franchement je suis épaté par une telle hauteur de vue. Quand j'ai appris la mort de Carlos, j'ai eu une pensée pour l'homme (humain) mais pour l'artiste... que dire ? je voyais un homme qui a pas mal protégé sa sensibilité par une carapace de kilos, mais je suis impressionné par ton analyse... C'est vrai que n'etre "QUE" humoriste, ça a aussi sa noblesse. Et pourquoi des gens comme Carlos n'existent plus aujourd'hui ? en voilà une question qu'elle est bonne comme aurait dit un autre gars rond et plein d'humour. Et sinon, merci d'avoir mis M la Music dans tes liens. Mais pourquoi "canal historique" ?
N'oublions pas qu'il participait, pendant la dernière campagne présidentielle, aux meetings de Nicolas Sarkozy.
Il aura donc fini, quelque part, par s'engager et ne plus être QUE cette boule d'humour et de bonne humeur.
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