Catherine Ribeiro au sommet d’Alpes
Vendredi soir, Catherine Ribeiro chantait Alpes au Bataclan. Time warp ! Une épopée déterminante et dérisoire comme les années 70 savaient si bien les vivre – cinq albums de 1970 à 1975. Elle a toujours sa frange de jais, il y a quelques tignasses autour d’elle sur scène. Quand elle laisse seuls les musiciens, on revoit le temps où l’on croyait en Led Zeppelin (l’alignement des planètes est amusant : Led Zep à Londres, Ribeiro-Alpes à Paris). Il ne reste qu’un seul musicien d’Alpes, le bassiste, mais la reconstitution est bien réalisée, avec véhémences et coups de mufle, grosses tourneries et grands mots, stridences soignées et exigences poétiques… Le temps de La Solitude de Ferré et Zoo, le temps de Brigitte Fontaine et de l’Art Ensemble of Chicago, avec un peu moins d’artistry et plus de douleur.
Ce qu’elle joue est d’un temps où les souffrances avaient parfois d’autres noms et d’autres cruautés qu’aujourd’hui. On s’horrifiait d’un monde mécanisé, on apprenait l’abrutissement par les machines, on s’inquiétait à peine d’une Terre salie, on était enchainé au travail. Beaucoup de ses chansons ont le souffle pantelant d’une jeunesse qu’effarait la brutalité satisfaite de ses aînés et qui disait non à leur bonheur. Beaucoup de ses chansons portent la marque des dégâts collatéraux des années de croissance, et donc cette sorte d’optimisme fondamental qui a habité ce temps-là. Même si alors elle chante le drame, l’aliénation ou le dégoût, il y a toujours une ferveur, une force qui va, un espoir déployé. Même si dans Stress et strass surgissent les mots « lendemains sans joie », il y a toujours là-dessous les lendemains qui chantent (ou, plutôt, qui ont chanté pour sa génération pionnière).
A ces reconstitutions historiques, on peut préférer pour aujourd’hui quelques chansons à l’humanité bien trempée, comme son Je ne crois pas en Dieu l’infiniment puissant, qui doute avec la chaleur de Jérémie dans l’Ancien Testament. Cela rapproche de nous toute cette histoire légendaire, cette épopée d’une voix inventée à défaut de toute autre expression possible. Ribeiro avait rompu si longtemps avec ce rock qu’on pouvait craindre la nostalgie monochrome, la vacuité politique (ah ! souvenons-nous du Filthy Lucre Tour des Sex Pistols en 1996, pour les vingt ans du punk), la morbidité commémorative. Or, il y a un élan intact (ou renouvelé), une incertitude, une angoisse même, qui rendent à son concert l’urgence et la vitalité. A côté des monuments seventies, des instants à la fragilité bellement restituée. Comme si, sous le cambouis du rock à grosse batterie, il y avait encore une brûlure à vif. Une démonstration d’un rock plus pertinent par sa fragilité que par sa force.
1 commentaire:
Avec Catherine Rock'N'Roll is hereto Stay...
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