Nick Cave devant le tombeau de Lazare
Que fait donc Nick Cave ? Un bréviaire, une confession, une œuvre ? Il fait un peu penser, mutatis mutandis, à l’entreprise de Zola avec les Rougon-Macquart : dessiner toujours plus vaste que la livraison de l’année, que le passage par tel ou tel genre ou tel ou tel décor. Dig, Lazarus, Dig !!! est arrivé, presque trois mois avant sa parution (le 3 mars en CD), avec un lyrisme mi-Lou Reed mi-Bowie, des échos de Suicide ou des Ramones dans le poids et le tranchant du son, des teintes newyorkaises pré-Talking Heads…
Le titre de l’album, la première chanson, le premier single, c’est Dig, Lazarus, Dig !!!, beau fracas et belle idée de mantra : « Enterre-toi, Lazare, enterre-toi ! » Une belle idée en marge de l’évangile de Jean. Sur son site, Nick Cave explique : « Dès que j’ai entendu parler de l’histoire de Lazare, quand j’étais gosse, à l’église, elle m’a dérangé et troublé. Traumatisé, en fait. Nous sommes tous, bien sûr, effrayés par le plus grand des miracles du Christ – faire se relever un mort – mais je ne pouvais pas m’empêcher de me demander ce qu’a ressenti Lazare. Enfant, pour être honnête, ça me donnait la chair de poule. J’ai pris Lazare et l’ai collé à New York pour donner un tour branché et contemporain à la chanson. Je pensais aussi à Harry Houdini qui a passé une bonne partie de sa vie à démasquer les spécialistes des « esprits » qui faisaient leur beurre sur le dos des familles en deuil. Il croyait qu’il n’existe rien au-delà du tombeau. Il était le second grand spécialiste de l’évasion, Lazare étant évidemment le premier. Je voulais créer une sorte de moyen de transmission, de médium, pour qu’Houdini nous parle s’il le désire, depuis la tombe. Parfois, tard dans la nuit, si vous écoutez la chanson avec assez de force, vous pouvez entendre sa voix et le triste cliquetis de ses chaînes. « Je ne sais pas ce que c’est, mais il se passe vraiment quelque chose là-haut », semble-t-il dire. C’est surtout une élégie au New York des années 70. »
Et Zola ? Ce que l’on a du mal à percevoir ici en France, c’est à quel point Nick Cave est façonné par la Bible, comme sans doute peu de gens dans notre culture depuis un ou deux siècles. Je ne parle pas de religion, mais de la Bible. Son roman Et l’âne vit l’ange (du Faulkner en plus noir et en – justement – plus biblique), son introduction à l’évangile de Marc dans une édition de poche de la King James Version, des dizaines de chansons : Nick Cave est de la même lignée que les grands auteurs de musique chrétienne (ce qui suscite l’intérêt de l’Université). Son « Enterre-toi, Lazare, enterre-toi ! » est de la même audace que, jadis, Robert MacGimsey qui exhuma l’histoire de Schadrac, Méschac et Abed Nego dans le livre de Daniel pour en faire le classique Shadrack. Le temps de la Bible et le temps actuel, les figures de la Bible et nos vies de ce siècle, les tribulations d’Israël et la destinée d’un peuple présent…
Une fois de plus, en France, on va parler du son, de la force, de la personnalité, et on va contourner soigneusement le centre de ce qu’écrit Nick Cave, son enracinement très au-delà du chantier punk, très au-delà même de l’histoire de l’Australie – une conscience commune à beaucoup des anglo-saxons du Nouveau Monde, qui est d’habiter le Livre avant d’habiter un pays.
2 commentaires:
Tout à fait d'accord.
Sylvain
http://parlhot.over-blog.com
Bonjour,
Juste pour faire le malin, "Schadrac, Méschac et Abed Nego" sont également mentionnés par les Beastie Boys dans un morceau de leur album Paul's Boutique.
Vincent
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