mercredi 6 juin 2007

Bombes 2 Bal, Fabulous Trobadors et possibilités de forro

Je les évoquais hier à propos d’une formidable compilation de forro, alors que je devais les voir l’après-midi même. Rencontre avec Lise Arbiol et Aurélie Neuville des Bombes 2 Bal, donc, jeunes femmes qui parlent sainement du rapport des Français au chant et à la danse, et qui travaillent à le transformer. J’aime ces disciples de Claude Sicre pour leur conviction qu’on peut faire danser n’importe quel Français si on lui en propose l’occasion et les pas. Curieusement, elles sont peut-être plus absolument convaincantes dans ce discours de nouvelle pratique musicale et sociale que les Fabulous Trobadors eux-mêmes, avec leurs interventions dans les maisons de retraite, les prisons, les clubs de supporters de rugby. Par la danse, par la démonstration de la fête, elles retissent mieux l’idée d’un folklore que par la seule musique. Essaimeront-elles mieux que les Fabulous, génies du musico-politique à l’audience toujours marginale et contestée, inventeurs d’une forme de proto-rap urbain et poétique dont je suis fan (et propagandiste) depuis une quinzaine d’années sans jamais accrocher la gloire qu’ils méritent ?
Parce que m’a toujours chiffonné la manière dont les intuitions de Sicre, pourtant si lumineuses et si perspicaces (la musique de fonction, l’axe Occitanie-Nordeste, le primat du motif rythmique sur l’harmonie et la mélodie, l’importance de la virtuosité textuelle) peinent à convaincre plus largement. Ce déficit ne concerne pas seulement le grand public, mais aussi bien des confrères, des artistes, des acteurs culturels – comme on dit – pour qui tout cela n’est pas très sérieux, l’accent toulousain, les tambourins, le rapport à un enracinement si ancien…
Aurélie parle d’une musique « d’ici et d’aujourd’hui ». Je ne sais pas pourquoi, on ne peut contester pareille assertion, alors qu’elles sentent sans doute beaucoup plus le village que les Fabulous Trobadors. Et l’âge ou l’ancienneté dans la carrière n’ont rien à y voir : avec les mêmes idées et les mêmes acteurs (Sicre a écrit presque toutes les chansons du nouvel album et a dirigé sa réalisation), les Bombes 2 Bal sonnent plus fermement enracinées et plus universelles à la fois que les Fabulous. Mais n’y a-t-il pas chez ces garçons-là une artistry plus prononcée et plus flagrante que chez leurs petites sœurs, que l’on peut plus facilement classer dans l’activisme social ?
Je sais, cette question-là n’est pas de celles qui taraudent mes concitoyens. Mais elle revient à s’interroger sur la capacité de la musique à fabriquer du politique, à « créer du lien », à convaincre le tissu social. Et la posture de passéisme moderniste (ou de néo-traditionalisme anti-conservateur) de Claude Sicre et de ses camarades des Bombes 2 Bal invite forcément à ces retournements et paradoxes du discours et de la praxis. Donc, pour résumer : on ne danse pas le forro, mais on essaye.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bravo pour ces excellentes réflexions à propos de ces deux groupes que j'adore et qui n'ont pas d'équivalent chez nous (en Belgique), où les FT ont convaincu et cartonné lors de leurs derniers passages, et où ils ont une solide base de fans. Auteur/chanteur moi-même et passionné par la langue virtuose, je suis devenu accro dès la première écoute à Duels de Tchatche, un album parfait et indémodable dont je ne conçois même pas que je puisse me lasser un jour, dussé-je vivre cent ans.