mercredi 18 juillet 2007

Une métonymie d’Hugues Aufray et la tradition de l’autoportrait

« Je ne suis qu’un feu de camp/Juste un refrain dans le vent ». Ça, il fallait le trouver ! Je ne sais si ces vers-là sont de Frédéric Zeitoun ou d’Hughes Aufray lui-même, puisqu’ils cosignent les paroles, mais voici un raccourci génial, dans la chanson Ensemble on est moins seul, qui ouvre son prochain album, Hugh ! (une sortie de la rentrée prochaine). La tradition des autoportraits d’artistes est abondante, plus qu’abondante. Beaucoup de ces chansons sont d’une certaine solennité, comme Je viens du Sud par Chimène Badi, Une fille de l’Est par Patricia Kaas, La Chanteuse de bal par Liane Foly, qui ne manquent pas d’un franc orgueil, même – et surtout – dans la figure de style qui consiste à amoindrir son rôle, sa renommée, sa célébrité (le « je ne suis que… »). Pas de ça en revanche chez Jean Ferrat (Je ne suis qu’un cri, Je ne chante pas pour passer le temps) et sa manière très fiérote de considérer son métier, peut-être au même niveau d’obsession de soi que Claude Nougaro, lui aussi abondamment autocentré (La Chanson du maçon, Comme une Piaf, Petit taureau) et surtout Renaud, personnage récurent de ses albums (Où c’est qu’j’ai mis mon flingue, Docteur Renaud, Mister Renard et quelques dizaines de chansons).
Il est curieux de voir avec quelle fréquence les chanteurs mettent de l’ironie dans leurs autoportraits. Déjà dans C’est vrai par Mistinguett, il y a le plaisir d’endosser à la première personne les critiques voire les moqueries dont on est la cible (« On dit que j’ai de grandes quenottes/Que je n’ai que trois notes/C’est vrai !/On dit que j’aime jouer les arpètes/Les marchandes de violettes/C’est vrai !/Mais n’voulant pas chiper aux grandes coquettes/Leur Dame aux camélias/Je vends mes bégonias/On dit que j’fais voir mes gambettes/Mais j’s’rais pas Mistinguett/Si j’étais pas comme ça ! »). En un peu plus désespéré, Avec Fanon de Maurice Fanon ou Autoportrait de Mouloudji ; en mêlant pure vanité et spleen complaisant, Le Clochard des jumbos de Polnareff et Le Dernier des Bevilacqua de Christophe ; en jouant mi-carte de visite, mi-parapluie, Manquait plus qu'ça de Sandrine Kiberlain (virtuose, quand même : « Elle fait sa Carla/Elle fait sa Vanessa/Manquait plus qu’ça ») ou Il était une fois sur Mars de Mélissa Mars ; en se remémorant son propre bon vieux temps, Quelques notions de géométrie plus tard d’Arnold Turboust ou Ce n’est que moi d’Alain Chamfort ; en auto-citation cruelle, Je m’appelle Jane par Jane Birkin avec et de Michael Furnon ou Les Bonbons 67, Les F… ou Vieillir de Jacques Brel… Tous volontiers insolents à l’égard de leur propre œuvre ou de leur propre personnage. Chez Georges Brassens (Le Pornographe du phonographe, par exemple) ou chez sa petite sœur Anne Sylvestre (Me v’là et dix, quinze, vingt autres), il y a même une sorte de pudeur à ne pas aborder son propre art et sa propre situation d’artiste avec des majuscules, mais en sachant bien, toutefois, quel est le regard que le public porte sur eux. Il y a un peu de ça dans la chanson d’Hugues Aufray que j’ai écoutée hier, sur une nationale bretonne, dans l’interminable crépuscule de juillet : une claire fierté du chemin parcouru mais le sain sarcasme qui tempère le vertige d’être qui l’on est – « Je ne suis qu’un feu de camp », la plus brillante métonymie de l’année.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Hugues Aufray chantait déjà, dans les années 60: "Je ne suis qu'un musicien/ une pierre sur le chemin". C'était signé Delanoë , à moins que ce ne fut Vline Buggy (in "Laisse moi petite fille")