mercredi 7 novembre 2007

Barbara 1954 et notre plus candide fétichisme

Sait-on toujours ? Se rend-on compte ? Que se passe-t-il quand un astre apparait ? Luit-il d’emblée comme au firmament ? On sait combien, par exemple, le meilleur de Gainsbourg n’est pas ce qui eut le plus de succès au comptant, et combien fut long l’apprentissage de Brel. Voici que parait enfin le mythique enregistrement du 1er octobre 1954 de Barbara à l’Atelier, à Bruxelles. Chanteuse amateur mais déjà singulière, certes. Un produit de son époque, pas forcément affranchie de Germaine Montero, de Juliette Gréco, du tout-venant de la chanson expressionniste de cabaret : des accents circonflexes, des modulations dramatiques, des murmures outrés, des élisions argotiques très soignées… On peut y entendre l’interprète à venir, sa dynamique, sa palette chromatique, son fond d’ironie, son romantisme aux traits vigoureux.
On la devine rétrospectivement, donc. Et en cela ce document est bouleversant. Ainsi les ferveurs du Couteau qui courent du grave à l’aigu, annoncent-elles – au moins – son disque Brel aujourd’hui classique.
Evidemment, comment échapper au sentiment d’être un rien fétichiste, obsessionnel, indiscret, comme à chaque fois que l’on exhume l’état premier, que l’on révèle le miracle du tout début ? Mais on ne cesse d’espérer le document – ou de regretter son absence. Eh quoi ? Brassens à Basdorf avec ses copains, Ferré le soir de son bide à la Rose Rouge, Antoine tout seul avec sa guitare sans arrangements, Souchon et Voulzy en duo sur les maquettes… Qu’est-ce qui nous empêche d’avoir envie de tout cela ? (Puisque l’on sait bien ce qui nous y oblige.)
Au bout du compte, c’est un peu toujours le même mélange d’exaltation et d’imperfection, la même dialectique de vérification de ce que l’on sait et d’exploration de la gangue sédimentaire ancienne. Et on y repart à chaque fois. Et à chaque fois avec le même enthousiasme, la même mécanique ivresse, la même candeur délicieuse et un peu vaine. Elle a une chanson comme ça, Barbara, qui disait « A chaque fois, à chaque fois »

Aucun commentaire: