vendredi 30 novembre 2007

Au pays de Noël (V) : « un agneau, avec un grand zèle »

Les raisons pour laquelle les Antillais continuent à chanter des cantiques de Noël sont nombreuses, complexes, ambiguës, réellement typiques de la manière dont, dans une société créole, peuvent s’inverser les polarités culturelles. Car, après tout, on va dans quelques jours chanter des cantiques dans les salons d’un ministère de la République pour honorer la communauté antillo-guyanaise, ce qui n’est pas tout à fait ordinaire dans notre régime laïque. Mais les défenseurs les plus acharnés de nos cantiques antillais ne sont pas toujours eux-mêmes vraiment catholiques. Et peu importe.
Il y a le collectif, le convivial, le partage, le braillé-ensemble, la redite extasiée des mêmes émotions déjà bien connues. Il y a la langue extraordinaire de ces chants, écrits par des curés à l’emphase très XIXe et aux ailes bien courtes (à propos d’ailes, l’émerveillement renouvelé, à chaque fois, au vers « L’un apporte un agneau, avec un grand zèle »). Alors ce français-là est devenu un français curieusement distant du français quotidien, et même du français de France, avec sa guinde surannée et ses grâces rhumatisantes. Il est quasiment de la même eau, en fait, que les ritournelles créoles qui suivent la plupart des cantiques. (Après les douze couplets interminables qui commencent par « Joseph, mon cher fidèle/Cherchons un logement/Le temps presse et m’appelle/A mon accouchement/Je sens le fruit de vie/Ce cher enfant des cieux/Qui d’une sainte vie/Va paraitre à nos yeux », on chante « A fos Joseph té boulé/A fos Joseph té boulé/A fos Joseph té boulé/Joseph domi déwo » (« Joseph était tellement saoul qu’il a dormi dehors »).
Mon préféré ? Page 79 du recueil vert (celui de tout le monde) : « Quand Dieu naquit à Noël/Dans la Palestine/On vit ce jour solennel/Une joie divine/Il n’est ni petit ni grand/Qui n’apportât son présent/Et nononono/Et nofrifrifri/Et nono/Et n’offrit/Et n’offrit/Sans cesse/Toute sa richesse ». Je n’ai jamais imaginé que l’on put résister à ces cantiques-là, à Dans le calme de la nuit, à Michaud veillait, à Allez mon voisin, à Oh la bonne nouvelle (pour une introduction, se reporter à la constante réédition du vénérable Noël aux Antilles avec Manuela Pioche, Henri Debs et Guy Alcindor)… Mais ce sont ces cantiques qui m’ont toujours semblé la preuve la plus impeccable que les Antilles n’étaient pas absolument françaises, et même loin de l’être, tant leur culture continue de faire miel d’un pan de culture française déserté par les Français. Car, en France, on ne chante pas Noël, on n’habite jamais le pays de Noël. Et pourquoi ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci d'évoquer ces petites musiques qui accompagnent le pois ti bois et le cochon roti...un vrai petite madeleine...