mardi 20 novembre 2007

Philippe Forcioli, rare et indispensable

Il reste, invaincue, une chanson poétique. Et je reste indéfectiblement amoureux de ce que chante Philippe Forcioli, immense écrivain de ces mots faits pour trotter dans la tête lorsqu’on marche sur un trottoir anonyme ou qu’on veille dans la nuit inquiète.
Voici Quand une chanson s’avance, son neuvième album qu’il a évidemment autoproduit. Et cela fait luire un soleil sur la journée, tant il fait jaillir la ferveur, l’élan, la tendresse, la compassion, l’amitié, la foi. On voudrait tout citer, évidemment, les arrangements flûtés et les percussions géniales de Celui qui s’en va, les franchises bouleversantes de Chemin de terre (« Un jour ayant compris que vivre était souffrance/Combat contre mourance espérance et folie/Un jour ayant compris que vivre est un voyage/Qu’il faut peu de bagages qu’il faut beaucoup d’amis »), les poèmes de René-Guy Cadou, de Pierre Reverdy et de Henri Pichette qu’il a adaptés, ses magnifiques déclarations d’amour à l’amour (allez, citons :
« Que j’en appelle à l’homme à la femme ou bien à Dieu
Et à tous les jeunes les vieux au serpent ou à la pomme
Toutes routes vers Rome tous les chemins d’écoliers
A ta suite font collier chaque brin d’herbe te nomme
Aimant et admirable insaisissable et donné
Juste à la pointe du nez de la plume ou de la lame
Tu es la girouette à la cible de tous chants
Tous les soleils t’approchant tu les tiens dans ta musette »
)…
Cet enracinement dans une langue éblouie, travaillée, jaillissante et dominée, ce n’est pas seulement le jadis de la chanson. D’ailleurs, son regard sur aujourd’hui peut avoir parfois une perspicacité tragique, comme dans Magazine, qui feuillette notre réalité et notre indifférence.
J’en sais qui trouveront son art bavard, difficile, trop ardu pour les radios. J’entends bien leur sous-texte, qui aurait volontiers réservé Brassens aux manuels de français et Gréco aux pages thématiques du site de l’INA. Je persiste à croire que Forcioli incarne le meilleur de la chanson, sa part qui exige de nous d’être aussi grands que la mélodie, d’être dignes des émotions qu’elle nous apporte, de faire chemin en nous pour la rareté des sentiments plutôt que pour le flot ininterrompu des sensations sonores. Cette chanson-là nous ennoblit, élargit nos âmes, agrandit notre vie. C’est pour cela, sans doute, qu’elle est si rare et si rétive au commerce.

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