jeudi 22 novembre 2007

Berry et les doux mots de mort

Il faut citer cette chanson de Léo Ferré et Jean-Roger Caussimon, en 1972 : « Ne chantez pas la mort, c'est un sujet morbide/Le mot seul jette un froid, aussitôt qu'il est dit/Les gens du show-business vous prédiront le bide ». Il reste que la mort (« La mort, la mort, la mort », chante Brassens en gonflant la voix dans Le Nombril des femmes d’agent, ce qui est merveilleux à chaque écoute) est un bon sujet, peut-être même le meilleur. D’ailleurs, que chante-t-on si principalement, le dimanche au temple, sinon l’énorme jubilation du « tombeau vaincu » dans le cantique A toi la gloire ô ressuscité ?
Après que furent morts tant d’enfants dans la chanson réaliste, de L’Hirondelle du faubourg à Maman est une étoile, la chanson moderne fait beaucoup mourir les parents. Le père de Nantes par Barbara (est-ce un blasphème de dire que ce n’est pas le plus léger-léger qu’elle ait écrit ?), le père de Vierzon par Jamait, le père de Mon papa de Sarclo…
Puisqu’il faut préparer la rentrée de janvier, qui depuis quelques années est la saison des nouveaux artistes, parvient aux journalistes le disque de Berry, jeune femme dont l’album est un choc doux et élégant. (On entend déjà ce qui va se dire à propos d’une chanson comme Le Bonheur, son habileté magnifique et ses carlabrunismes du genre « Le bonheur conjugal/Restera de l’ar-/Tisanat local ». Ce ne sera qu’un moment agaçant à vivre pour Berry.)
Il y a dans ce disque une chanson particulièrement troublante, Plus loin. D’abord, on croirait une habituelle chanson de rupture. Et puis il y a des mots très choisis, des images pastel, des vers au sens oblique, qui font de plus en plus – puis tout à fait – penser à l’agonie et à la mort d’une mère. Il est bien possible que je me trompe, d’ailleurs, dans ma lecture de cette chanson. (Il faudrait ouvrir un wiki « Polysémie de la chanson » avec tous les doubles sens, faux doubles sens, rumeurs de doubles sens…) Mais tout converge, et de manière aussi légère qu’insistante. L’émotion s’impose de manière d’autant plus têtue que mille pudeurs semblent chercher à lui faire contourner la chanson. Et c’est peut-être cela qui fait la valeur de Plus loin : toucher sans rien dire, dire sans rien dévoiler vraiment. Une jolie rupture avec les impudeurs usuelles de l’exercice. Une exemplaire sincérité, un exemplaire mystère.

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