Une promenade au pays du piano-jouet
Le piano-jouet est une sorte de sauf-conduit : il signale une sensibilité forcément dégagée des académismes, une capacité à se dépouiller des fausses dignités, une propension au dérisoire assumé. Pascal Comelade (je parle souvent de lui et j’en reparlerai tout bientôt) fronce un peu le sourcil en revendiquant une manière d’antériorité dans l’usage du plus limité et du plus mal timbré des instruments à clavier. Dommage : Yann Tiersen a tiré les marrons du feu avec ses petites chansons sans paroles vendues par millions d’exemplaires et qui ont associé pour toujours le piano-jouet à une émotion automnale, amoureuse et curieusement optimiste. C’était raté pour les sarcastiques, pour le johncagisme, pour l’ironie distanciée, pour la critique illichienne du piano de concert : avec Tiersen, le piano-jouet est devenu à l’oreille postmoderne et bobo ce que la harpe fut aux salons bourgeois du XIXe siècle.
C’est alors que l’on a commencé à parler plus souvent de toy piano, par un de ces glissements sémiotiques qui transmutent l’objet en transformant son nom. Le toy piano, ça n’est donc pas une musique aimablement tristounette, mais c’est un discours du travers, de la diagonale, de l’incision. Démonstration avec la cassette Une ode au toy piano qui, après avoir été totalement épuisée sous forme physique, existe maintenant au téléchargement gratuit, avec tout un habillage dépouillé et chic. Compilation ? Cela en a l’apparence, avec des artistes aux noms aussi bien construits que les alias de Katerine : Top Montagne, Monsieur Free, Cosmo Helectra, Toy Piano Fanfare… Partout, le son aigrelet du piano-jouet, ses harmoniques courtaudes, ses souplesses de goutteux. Tempo lent ou vif, c’est toujours la même propension à la gambade engourdie, qui fige toute tentation de faire le malin. Et si on fait le malin, c’est forcément avec une distanciation forcée : les dialogues enfantins, les titres crétins (Donnez de l’argent aux petits enfants pour qu’ils achètent nos diks par Snugtrio), les samples vertigineusement second degré, rien n’ira jamais vers la franche poilade, tant le piano-jouet tire le discours vers les parages d’Erik Satie – le délire guindé, le bizarre sous la fantaisie, le baroque de la pensée.
2 commentaires:
Très bonne cette réflexion autour du toy piano... symbole du musique naïve, légèreent moqueuse, comme un pied de nez à l'académisme français...
a quand l'élaboration du pianocktail de Boris Vian ??
et que pensez-vous de Klimperei ...?
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