Denis Cuniot, le klezmer en solitaire
C’est fort agréable de revenir de temps à autre au disque Confidentiel Klezmer de Denis Cuniot. Depuis sa parution il y a quelques mois, je le reprends régulièrement pour ses mystères autant que pour ses qualités familières – l’oxymoron, d’abord, de jouer de la musique klezmer en solo au piano ; l’évidence, ensuite, d’une telle proposition.
Dans le son, il y a les médiums métalliques qui font penser à la manière dont Keith Jarrett manie aussi les ostinatos. Et il y a ces aigus grenus et envoutés, parents des Orients du qanun ou du santour. Et surtout une incroyable grammaire rythmique qui avoue tout, qui assume et revendique une identité musicale d’une virtuosité magnifique autant que d’une insondable mélancolie.
On imagine que peut-être jadis et là-bas cette musique a été jouée par un pianiste solitaire. Mais était-ce un pianiste équipé de ce matériel harmonique, de cette vision de l’espace, de cette richesse dans les approches mélodiques ? Etait-ce un pianiste qui jouait tout ensemble la musique et le désir de musique ?
Autrement dit, la musique traditionnelle, la musique des musiciens routiniers, la musique des premiers jours du monde, est-elle trahie ou magnifiée par notre idée de l’interprète créateur, du musicien libre d’aller au-delà de sa culture (ou de sa partition, ce qui est en l’occurrence la même démarche) ?
Ce que j’aime chez Denis Cuniot en solitaire, c’est justement l’exploration personnelle d’une tradition, d’un corpus collectif, d’une humeur historique. Et que cette exploration personnelle est magnifiquement respectueuse du klezmer ancien. On peut même imaginer qu’il y prend le geste originel des klezmorim sans l’urgence de la danse, de la pièce dans le chapeau, des frottements humains qui faisaient jouer russe, ukrainien ou parisien en Yiddishland. Une sorte de klezmer sans l’histoire, et dans la paix, et dans la richesse culturelle de notre siècle – celui qui en sait le plus long sur la musique.
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