vendredi 5 octobre 2007

Michel Fugain peut-il être un devin ?

« C’est comme un artisan qui regarde les travaux qu’on a fait chez vous qui demande : « Et il vous a fait payer combien ? » Conversation mercredi avec Michel Fugain, qui en vient à la condition d’artiste présent depuis quarante ans, à l’expérience de l’aîné qui voit, sous les énormes succès du moment, qui va rester et qui va disparaitre. Un regard qui ne se partage pas, affirme-t-il. « Si on aime le saucisson, on ne va pas derrière voir travailler le charcutier. » Mais en revanche il peut y avoir l’œil de l’artisan et ses sous-entendus quand il regarde le boulot de son collègue…
Je suis curieux de tout cela, évidemment. J’ai bien sûr des intuitions, parfois même des prédictions motivées, mais il y a toujours la part de mystère, d’imprédictibilité irréductible. Ceci dit, je pense qu’il y a toute une part de ce métier qui est transparente, qui est pour une part objectivable. Quand on est backstage ou dans les allées d’un festival avec Jean-Claude Camus ou Olivier Poubelle – qu’on peut prendre pour les symboles de deux générations de producteurs –, on entend forcément tomber des jugements lapidaires qui expliquent pourquoi ils n’ont pas voulu tourner Untel ou pourquoi ils se sont séparés d’Untel. Et il y a forcément, outre leur décision d’entrepreneur, quelque chose qui s’attache au fonctionnement général de notre société. (Par exemple, sans parler de ces deux producteurs-là, je me souviens de ces deux années au cours desquelles l’énorme majorité des gros tourneurs ont bazardé leurs artistes de rap. Mouvement général, avant le backlash commercial et idéologique.) Tous ces gens-là ont une compétence, des références, un savoir collectif et individuel qui peut sans doute éclairer une bonne partie des évolutions culturelles et commerciales dans le domaine des musiques populaires.
Mais où se trouve la limite ? La part d’imprévisible est-elle la même que la part d’inexplicable ? Autrement dit : peut-on prévoir si Rose aura un gros succès et pas Orly Chap ? peut-on vraiment comprendre, a posteriori, pourquoi Rose et pas Orly Chap ? Evidemment, c’est là toute la question : à partir de quand et jusqu’à quand ne sait-on pas ? Et quand Julien Clerc se découvre en première partie de Gilbert Bécaud à l’Olympia et qu’on voit, toujours Fugain dixit, « un soleil », ne peut-on pas le voir aussi quand passe un des météores de l’époque ?
Comme critique autant que comme cinglé de chanson, je me pose souvent ce genre de question : peut-on voir, deviner, prédire ? Et pourquoi, quand j’avais raison sur Vincent Delerm, me suis-je trompé sur Arielle ? Et à partir de quand sait-on mieux prévoir ? Fugain peut-il être sûr de lui après quarante ans dans la chanson, ou cela fait-il quarante ans qu’il est sûr ?

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