Johnny Hallyday, la séduction de la mesure
Voici donc que Johnny ne crie pas. Nous commençons à recevoir les copies de presse du Cœur d’un homme, son nouvel album qui sortira le 12 novembre et c’est peut-être cela la première surprise : un Johnny Hallyday qui adopte un chant moins expansif, moins exclamatif, moins obsessionnellement viril. Il commence à donner de la voix seulement au cinquième titre, Vous madame, après avoir pourtant traversé quelques titres dans lesquels, en d’autres temps, il aurait mis tous les vumètres dans le rouge.
Et qu’on n’aille pas me dire que c’est parce que le concept de cet album est d’aller vers le blues classique. Mais je me souviens avoir entendu Yvan Cassar s’interroger sur le tout-à-fond-tout-le-temps de Johnny. Sur une bonne partie de cet album, c’est comme si convergeaient les idées de mesure et de sincérité. On voit bien ce qui aurait pu être fait de Que restera-t-il, chanson sans grandes ailes de Didier Golemanas : on connait des albums sur lesquels seront montés de couplet en couplet une grosse escouade de cuivre et un lourd plafond de chœurs tenant les notes fortissimo, des albums sur lesquels Johnny aurait sorti la bonne grosse voix jaillie des tripes, le front en sueur et les poings serrés. Là, tout tient en un bon country-blues à peine beurré de pedal steel guitar.
Evidemment, on retrouve ses majuscules en caractères gras ici ou là, comme dans Ma vie (avec Abraham Laboriel, pour le recours constant au canon de marine) ou Ce que j’ai fait de ma vie (ah ben, en voilà une thématique qu’on la fréquente !). Mais on aurait pu craindre l’attaque des grosses paluches dans sa reprise de Sarbacane de Cabrel – eh non !
On dirait qu’il abandonne ses habitudes au profit d’une orthodoxie : dans T’aimer si mal avec Taj Mahal en guest star, il ne s’amuse pas à essayer de dominer la forme, la bonne pratique, le cliché. (Au passage, ne refusons pas de goûter le texte de Marc Lévy : « Je vais t’haïr si bien/Que je serai fou de toi/Et coulent dans tes veines/Mon opium et ma peine/Je veux sentir ta bouche/Te coller à ma peau ». Je pense que, quand je parlais des questions d’esthétique dans la chanson française avec les étudiants du DESS à Angers, ce texte aurait très bien collé pour le module sur « sens vs abstraction ». Un beau modèle de prolifération de signes sans souci de leur cohérence de détail, quelque chose qui fait penser aux évolutions des textes de Mick Jagger pour les quelques derniers albums des Rolling Stones. Clichés et abstraction, clichés et décollage des réalités tangibles. Enfin, c’est une autre histoire, mais je pourrais continuer jusqu’à demain matin.)
Curieusement, cet album est d’autant plus séduisant qu’il montre un Johnny dépouillé de ses séductions les plus usuelles, mais sans jamais prétendre à une originalité nouvelle. Un coup de génie, peut-être : la révolution par l’ordinaire, le renouvellement par le classicisme, le retournement par le lieu commun… Joli coup.
Et puis une belle chanson, franchement, Chavirer les foules, de Michel Mallory : « Une idée forte sur un bon thème/Qui sonne bien, qui sonne actuel/Un truc qui parle de nos problèmes/De nos amours et de nos peines/En un langage universel/Ça, ça fait chavirer les foules ». Voici qui me rappelle une chanson enregistrée il y a presque quarante ans, Hit parade, pour le film Les Poneyttes, bien oublié depuis : « Dans un fauteuil vous êtes là/Sans problèmes et sans tracas/Moi je dois chercher déjà/La chanson qui sera dans le hit-parade (…) Une chanson qui devra plaire/Au public voilà l’affaire/Qui parlerait de l’amour/Désespéré sans retour ».
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