Soft au défi du deuxième album
Le premier album de Soft, Kadans a péyi-la, portait avec une certaine majesté les ambiguïtés des directions possibles de cette musique antillaise qui rêve de sortir du zouk. La recherche d’une expression à la fois « authentique » (je tiens aux guillemets, tant ce mot peut être dérisoire en culture créole) et explorant de nouveaux territoires passait par le retour à l’acoustique et donc par une navigation aux parages de la bossa brésilienne, de l’art des troubadours haïtiens, du jazz et de la musique latine les plus dépouillés, mais avec un soin égal à ne pas retourner à l’expression littérale de la biguine ancienne ni à la chanson française tropicalisante. Et les textes à l’engagement parfois fervent de Fred Deshayes finissaient de donner à l’ensemble des couleurs de nouveauté et de radicalité. Exagérément ? Si on se contente d’écouter le premier disque de Soft, oui. Si on le compare au tout-venant de la production antillaise, cette surévaluation se justifie, tant le zouk-love et le r’n’b ont stérilisé la création.
L’enjeu du nouvel album (on peut l’entendre à la scène ce soir au Casino de Paris) était donc intimidant : poursuivre la même route sans se perdre, confirmer les espérances, dépasser le « peut mieux faire ». Premier constant : ni virage, ni salto, ni plongeon. Les mêmes humeurs mélancoliques et subtilement politiques (joli, cette ouverture des chœurs chantonnant « bumi, bumi, bumidom, bumidom, dom, dom », du nom du Bureau d’immigration des départements d’outre-mer, qui organisa le départ de milliers d’îliens vers la métropole), les mêmes constructions musicales précises qui se gardent bien d’aborder les styles dans leur pureté, la même alternance de colère et de douceur romantique… On trouvera que les titres les plus virulents empruntent à la parole du conteur créole comme à l’insolence du We Insist ! de Max Roach, à la rage maintenant historique d’Eugène Mona comme à l’obsession identitaire de la poésie antillaise contemporaine. Et l’on peut aussi remarquer que, pudeur pour pudeur, il vaudrait mieux accepter un plus large emploi du français courant des Antilles (comme dans Partout étranger, avec ses subtiles singularités guadeloupéennes) que s’affadir dans l’anglais scolaire de la soca de clôture de l’album.
Le projet d’ensemble conserve ses ambiguïtés, n’étant ni tout à fait un nouveau style (et, même, il est de plus en plus difficile de contester la proximité avec Beethova Obas), ni vraiment une entreprise commerciale orthodoxe. Mais il y a assez de belles chansons pour hausser l’album à un niveau remarquable et confirmer que le chemin de Soft, pour étroit et risqué qu’il soit, est d’une nourrissante pertinence culturelle.
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