mercredi 13 février 2008

Henri Salvador, André Salvador, une histoire créole

Le départ d’un doyen laisse toujours une tristesse sans doute plus sereine que de voir fauché une star de vingt-huit ans dans un accident bêta. On se dit qu’il a bien profité de sa seconde carrière, de l’adoration finale des bobos et – par anticipation – du défilé de corps constitués au pied de sa dépouille.
Il reste que la mort de Salvador semble de celles qui closent le XXe siècle – un homme qui a joué dans les années 30 avec Django Reinhardt ! Car il n’a pas appartenu à notre monde relativiste, à notre univers culturel aussi rassuré par l’âge que par la nouveauté, il a connu les combats de générations, le ringardisme et l’opprobre du succès. Il appartient à ce monde de violence symbolique et d’exclusions mutuelles auquel la postmodernité a mis fin.
Mais il appartient aussi à son univers créole, au combat compliqué d’un peuple abandonné (chez qui ai-je lu cela ?) dans le brouillard sans lanterne mais avec un bâton. J’aime qu’il ait toute sa vie porté cet accent parigot à couper au couteau, qu’il n’ait jamais vraiment réussi à parler créole comme un créolophone courant, qu’il ait subi tant de choses – Charles Trenet qui parlait de lui comme du « petit nègre », les si bonnes blagues à la télévision sur les bananes… – sans brandir le poing. On revient à ce qu’on se disait il y a quelques mois avec
Viktor Lazlo : il y a une histoire des mulâtres qui porte beaucoup de souffrances, de renoncement, de volonté, d’ambition, et qui ressemble beaucoup à la vie de Salvador. Je ne veux pas faire de sa vie et de sa carrière la métaphore, le parangon ou l’exemple de la situation d’un certain nombre de lignées dans les sociétés créoles, mais je suis convaincu que la dureté du personnage, son mélange singulier de nonchalance et d’acharnement, tout cela a quelque chose à voir avec l’histoire douloureuse de son univers natal.
Si on croise son histoire avec celle de son frère telle que racontée dans le livret de
l’intégrale Ernest Léardée publiée il y a quelques temps par Frémeaux & Associés (les activités de fantaisiste, le Québec, le sport, la France…), c’est le même climat de négociation permanente avec les lois du commerce, de tension entre ce qui est indispensable à la survie et de ce qui constitue le plaisir naturel (et que l’on appelle parfois l’identité), de quête d’une histoire qui soit souverainement individuelle et non plus strictement collective.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

sinistre...