jeudi 20 mars 2008

Bashung, le catholicisme, « Les Tontons flingueurs » et Kafka

L’autre jour, au cours de notre longue conversation à partir de l’album Bleu pétrole, dont une partie est parue ce matin dans Le Figaro, j’ai demandé à Bashung comme il se situait par rapport au religieux, entre un Daniel Darc protestant et un Gérard Manset qui incline vers le bouddhisme. Sa réponse :
« Je ne sais pas si on peut dissocier ça de l’enfance. J’ai été élevé dans la religion catholique, j’ai été enfant de chœur. Je me souviens, quand j’étais gamin, que ça me faisait du bien de penser qu’on pouvait croire à cette générosité, à cette espèce d’espoir permanent pour tout le monde. Il doit m’en rester un peu mais c’est dilué.
» J’ai été très déçu par des comportements. On ne peut pas séparer tellement une église de ses représentants : on m’expliquait que sur Terre il y avait des gens de couleurs différentes mais que les Blancs étaient légèrement mieux ; qu’il y avait des religions différentes mais que les catholiques étaient légèrement mieux ; qu’il y a les riches et les pauvres, comme Dieu l’a voulu… Très vite, je me suis dit que si je vivais avec ces choses-là, j’allais crever. A l’âge de dix ans, la ferveur est partie. Comme c’était mes premières années, il reste des idées comme « tu ne tueras point », mais que je n’applique pas comme une religion. D’ailleurs, comme je pensais que, de toute manière, chacune avait certainement quelque chose qui ne me convenait pas, je n’ai pas adhéré à une autre religion.
» J’ai préféré être curieux. Je viens d’un milieu plutôt humble mais je voulais voir ce qui se passait de l’autre côté du populaire. Ça n’avait rien à voir avec le snobisme. Je savais que ça pouvait m’enrichir. Alors j’allais voir Les Tontons flingueurs mais aussi des films dans les cinémas d’art et d’essai. Et j’ai eu très vite besoin des deux – Edith Piaf et Orson Welles. Je me souviens des films de Joseph Losey, comme The Servant. C’était fascinant, il racontait des choses d’une perversité… Des choses dont ne parlait pas dans la vie de tous les jours et dont je me disais qu’elles existaient quelque part.
» J’ai lu Kafka, La Métamorphose, et j’avais l’impression de comprendre d’un seul coup le fonctionnement de la société. Mais on ne s’étendait pas là-dessus à l’école – ça aurait pris trop de temps ou ce n’était pas urgent. On avait plus Chateaubriand ou Flaubert devant les yeux que les œuvres qui tiraient un petit peu vers les âmes sombres et tortueuses. Je me disais qu’il fallait quand même les connaitre, même si on n’est pas d’accord avec certaines attitudes. Je me disais qu’il faut savoir que ça existe, que ce n’est pas parce que la famille vit dans le silence qu’il ne faut pas chercher un peu de documentation. Ce n’était pas par fascination du glauque, mais seulement pour connaitre et avoir une vision plus complète de ce que pouvaient être les autres et moi-même.
» Je découvrais progressivement qu’il y a des tas de choses en nous qui se révèlent de temps en temps, dans certaines situations, et qu’il ne faut pas faire semblant de les ignorer. Je voulais savoir ce qui peut nous passer par la tête, je voulais savoir les nuances. Mais quand j’étais gamin, on était dans des schémas Bien-Mal… On ne parlait pas de toutes les situations intermédiaires, que j’ai découvertes par des films. Je n’avais pas beaucoup de sous et je me débrouillais pour aller dans des petits cinémas. Je ne voyais plus les autres pareils. Je me disais que les amis, la famille, me cachaient des choses. Ce n’était pas une inquiétude de luxe, mais seulement une curiosité.
» Je me suis méfié assez tôt de tout ce qu’on pouvait m’asséner. Les mathématiques, d’accord ; mais on peut discuter de tout le reste. Or à cette époque-là, on n’en discutait pas. C’était comme ça et ça ne devait pas bouger, ce qui me déplaisait profondément. Ce n’était pas la réalité qui me posait des problèmes, c’était les mensonges, les choses occultées. J’aurais pu faire des études pour essayer de comprendre par des livres tous ces fonctionnements. Mais je me suis documenté par le cinéma parce que d’un seul coup il y avait de l’art en plus – des images, des éclairages, une mise en scène qui déjà racontait autant, voire plus, que les dialogues. »

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