mercredi 22 août 2007

Björk, le changement comme continuité

Il y a quelques années, alors que je venais de sortir ma biographie de Gréco, j’avais été invité à la Sorbonne pour parler aux étudiants d’un DEA. J’avais choisi d’évoquer trois moments de sa carrière dans leur rapport à la mode, au contexte culturel du moment, aux tendances commerciales et « chic » de l’époque. A la fin, le prof m’avait posé une question assez désarçonnante : pourquoi est-ce Juliette Gréco qui passe à la postérité, qui occupe la place dans les livres d’histoire, qui est perpétuellement présente dans les bacs, alors que Catherine Sauvage, disait-il, était une bien meilleure chanteuse, et s’efface peu à peu de la mémoire, à mesure que ses contemporains disparaissent. Il m’était venu à l’esprit une réponse un peu idiote : parce que Gréco était belle, souriante et élégante, alors que Catherine Sauvage avait toujours l’air d’engueuler son monde et s’habillait de toile de jute. C’était idiot, et d’ailleurs je ne l’avais pas dit. J’avais répété ce que j’avais dit sur la cohérence entre un parcours artistique et un temps historique, mais cette fois-ci du côté du perdant – l’austérité janséniste de ses orchestrations quand Gréco travaillait avec Legrand ou Popp, la noirceur unie du répertoire quand Gréco rejoignait parfois la note heureuse de l’époque…
Même question pour Björk. Pourquoi elle et pas Yoko Ono, Nina Hagen, Lene Lovich ou Kim Gordon ? Pourquoi est-ce elle que l’on met non seulement en long dans les dictionnaires du rock, mais aussi en photo sur le pêle-mêle de la couverture ?
Hier soir à Nîmes, elle était superbe, évidemment. Peut-être plus historique que servant le plaisir au comptant : le public de la fosse s’est brièvement dégourdi les jambes sur Hyperballad, à la fin du set, et c’est un peu tout pour les accros du boumboum. Il y a quelque chose de prémédité dans l’effet qu’elle fait : elle vient annoncer un nouvel âge chaque année, une nouvelle révolution à chaque tournée, comme si le rock ne devait jamais être laissé en repos.
C’est peut-être pour cela que, finalement, « elle et pas… ». Björk pratique la rupture permanente, la subversion par système, le changement comme continuité. C’est cette attitude-là qui peut-être la sauve, et en tout cas lui assure l’entrée de son vivant au Panthéon : comme quelques artistes du siècle (Picasso, notamment, disais-je un jour dans Le Figaro), elle ne se résout pas à simplifier son monde, à aller à la rencontre de ce qu’on lui demande, fut-ce de rejouer sa révolution précédente. Une solitude, finalement. Mais quel règne…

1 commentaire:

Bertrand a dit…

Catherine Sauvage est une interprète magnifique qui a toujours mis son talent, son intelligence, son extrême sensibilité et son humour au service des textes et des musiques qu'elle avait choisi de défendre. Elle a refusé de jouer la diva. Elle a quitté la chanson sans un regret car elle n'avait plus sa place dans un monde de l'artifice.
J'ai beaucoup aimé Barbara, j'ai aimé Gréco mais en vieillissant, je trouve la pureté "janséniste" de Sauvage bien plus bouleversante que le maniérisme exacerbé de Barbara ou de Gréco.