Ghost track, ringardisme et Moriarty
En 1988, j’ai acheté en CD l’album Short, Sharp, Shocked de Michelle Shocked. Bel album troublant. En pleine période Tracy Chapman, j’aimais forcément cette artiste aux belles guitares acoustiques et à la voix chargée de réel (c’est l’album d’Anchorage, « But you know you’re in the largest state in the Union/When you’re anchored down in Anchorage »). Donc j’écoute dix chansons et soudain une guitare électrique à fond et un putain de machin rock à fond. Sur la pochette, seulement dix titres ; le lecteur de CD affiche 11. Alors je pars à la Fnac. Je n’étais pas le premier. Le vendeur me dit tranquillement que c’est normal. Il y a bien onze chansons.
Maintenant, on sait que la chanson s’appelle Fog Town. Mais, à l’époque, c’était mon premier ghost track. J’ai retrouvé une vieille liste de ghost tracks, qui cite un album de Chris Whitley, le deuxième album de Cracker, Geraldine Fibbers, un Jad Wio… Parce que, dans les années 90, on en a vu partout. Et même des bizarreries, comme un titre que l’on atteignait en faisant défiler à rebours à partir de la piste 1, des pistes vides qui faisaient tourner les chiffres sur l’écran du lecteur jusqu’à 99, des plages de vingt minutes de silence et soudain un énorme accord de gratte qui réveille la maison…
Et puis c’est devenu juste chiant. Trop de gags bidon, de trucs puérils, de blagues ratées. C’est devenu raisonnable, explicable. Laurent Voulzy met sa version de Duel au soleil d’Etienne Daho en ghost track sur La Septième Vague parce qu’il enregistre et mixe tellement tard que la pochette est déjà finie et qu’il n’est plus temps d’ajouter un titre au tracklisting.
Mais il y a de la résistance. Bizarrement, c’est dans le rock plus ou moins indé, dans l’électro, dans le folk basse tension, que l’on en entend toujours. Ainsi sur le disque de Moriarty qui sort à cette rentrée et que j’ai écouté aujourd’hui. De belles choses, assurément, de belles textures sonores. Mais qu’est-ce que vient faire ce machin à la fin du dernier titre, comme une chute de bande mal collée à la fin du disque (tout le monde n’est pas les Beatles découvrant Her Majesty en codicille d’Abbey Road). Une impression un peu gênante, finalement, comme si le ringardisme s’invitait dans un beau moment de musique. Peut-être le ringardisme ne se niche-t-il plus que là, d’ailleurs, dans la manière d’offrir la musique…
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