Manu Chao, la marge et le travers
Comme tout le monde, j’aime Manu Chao. Hier, le concert surprise à la Boule Noire (d’ailleurs, on aurait pu deviner que ce serait là, en bas de chez lui) était évidemment énorme. Un grand chaudron bien nourrissant de son jambalaya de musiques à bouger.
Il reste que nous sommes forcément frustrés, mes camarades et moi. Il sera à peine resté à Paris, n’a pas parlé à la presse, parlera on ne sait quand, ou peut-être pas, ou plus tard… Cette absence-là est-elle inscrite dans sa musique ? Sa liberté doit-elle nécessairement prendre ces couleurs de départ ? Au-delà de notre frustration à nous, journalistes, je ne sais pas s’il n’y a pas aussi une ambiguïté foncière dans ce rapport à l’apparat du business, à ses habitudes de promo, à ses pratiques codifiées.
Le mouvement chez Manu Chao est une dialectique de retrait et de surgissement, d’évitement et d’épiphanies. En se faisant explosion, commando, geyser, orage, il ne peut se résoudre à la sage rectitude de son métier. Cela n’en fait pas une autre nature d’artiste pour autant : il reste musicalement très accessible, voire prévisible, même son travail et sa manière sont réellement uniques ; il reste sensible aux mêmes pousse-au-jouir que ses confrères, des acclamations du public à l’extase des critiques ; il reste engagé dans la même course que, disons, Têtes Raides ou Tiken Jah Fakoly (close to the edge mais dans une économie commerciale assez clairement délimitée)… S’il se rapproche du modèle Bob Dylan (disert et secret, très présent et très absent à la fois), Manu Chao ne parvient pas encore à montrer un autre modèle, à retourner le système. Autrement dit, j’ai l’impression qu’en choisissant la marge de ce système, il s’y réintroduit par le travers, ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors, ni vraiment complice ni vraiment exilé. Une posture durablement provisoire et passionnante, certes. Mais une posture ambiguë néanmoins.
Je ne lui demande pas une position plus extrême, non. J’aimerais juste quelque chose de plus lisible. Mais je crois aussi que l’époque ne lui donne guère l’occasion de fabriquer son utopie ; ou alors elle n’est plus accessible à la souveraineté du vieux rêve alternatif qu’il continue d’incarner.
Et voilà, c’est ça : je ne sais pas s’il incarne toujours une ferveur vieille d’au moins vingt ans ou s’il dessine un futur des musiques. Un vieux gamin des années 80 ou le prophète des prochaines années 10 ?
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